Le retour des Palestiniens dans les maisons et les terres dont ils ont été chassés en 1948, il y a 76 ans, est réalisable et, bien sûr, légal. Pour les Palestiniens, il est également sacré et indispensable.
Note de l’éditeur : Le texte suivant a été présenté à la Conférence mondiale anti-apartheid sur la Palestine qui s’est tenue à Johannesburg, en Afrique du Sud, du 10 au 12 mai 2024.
Chers amis d’Afrique du Sud,
C’est un grand honneur de m’adresser à vous aujourd’hui. Les millions de Palestiniens que nous sommes, éprouvons la plus grande gratitude et la plus grande admiration pour l’Afrique du Sud qui, parmi les 193 États membres des Nations unies, a été la seule à se présenter devant la Cour internationale de justice et à accuser Israël du crime odieux de génocide. L’Afrique du Sud, comme nous, sait ce que signifie l’apartheid, la colonisation, le nettoyage ethnique et l’élimination de tout un peuple de sa terre natale.
Nous nous souvenons tous de ce qu’a dit Nelson Mandela : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ».
Nos histoires présentent de nombreux points communs.
Le génocide israélien à Gaza a des racines profondes et est planifié depuis plus d’un siècle. Vous connaissez le mythe propagé en Europe il y a un siècle, selon lequel la Palestine était une terre sans peuple. Il s’est avéré qu’il s’agissait en fait du projet sioniste d’en faire une terre sans peuple, de la vider de ses habitants en les expulsant et en les tuant. En 1940, sous le mandat britannique, avant même la création d’Israël, le colon sioniste, Yousef Weitz, a affirmé que « pas un seul village [palestinien] » ne subsisterait en Palestine. Il nous annonçait la Nakba.
En 1948, 530 villes et villages ont été attaqués et dépeuplés par une armée sioniste européenne de 120 000 soldats répartis en 9 brigades qui ont mené 31 opérations militaires, commis 90 massacres et occupé 78 % de la Palestine. Ils ont fait du peuple palestinien des réfugiés jusqu’à aujourd’hui. Il y a aujourd’hui 9 millions de réfugiés palestiniens.
L’Occident dont l’hypocrisie n’a pas de limite, crie que les otages doivent rentrer chez eux. Ils envoient à Israël des bombes pour nous tuer, ils opposent leur veto à l’application du droit international, ils empêchent l’entrée de nourriture et de médicaments, ils facilitent et soutiennent la destruction totale de Gaza.
Tout cela pour libérer des colons venus d’Europe de l’Est et leur permettre de «rentrer chez eux ».
Je suis tout à fait d’accord pour dire que tous les otages doivent être libérés pour pouvoir rentrer chez eux. Mais qui sont les véritables otages ?
Ce sont les deux millions de réfugiés palestiniens du camp de concentration de Gaza, originaires de 247 villes et villages du sud de la Palestine expulsés par Israël en 1948, à la suite de dizaines de massacres. Ils sont entassés dans un camp de concentration appelé bande de Gaza avec une densité de 8000 personnes/km2. Sa superficie représente 1,3 % de la Palestine, soit 365 km2. Leurs maisons se trouvent dans le district sud de la Palestine, soit 12 500 km2.
Qui occupe leurs maisons aujourd’hui ?
Des colons d’Europe de l’Est venus de Roumanie, de Pologne, d’Ukraine et de Russie. Ils ne sont que 150 000, soit une densité de 7 personnes/km2, mille fois moins que les propriétaires de la terre, les réfugiés de Gaza.
Alors, qui sont les vrais otages ? Les 150 colons européens retenus à Gaza depuis 200 jours ?
Ou bien les deux millions de réfugiés palestiniens détenus dans les camps de Gaza, attaqués par voie terrestre, aérienne et maritime et soumis à un blocus depuis 76 ans, soit 27 000 jours ?
Je vous le redemande : qui sont les véritables otages ?
Je l’affirme sans hésitation : Tous les otages devraient être libres de retourner dans leur pays. Les Palestiniens en Palestine et les colons dotés de passeports étrangers à l’endroit de leur choix.
Depuis 76 ans, les Palestiniens n’ont jamais cessé de revendiquer leur droit au retour.
La résolution 194 des Nations unies appelant au droit au retour a été confirmée par les Nations unies plus de 130 fois. C’est unique dans l’histoire de l’ONU.
Le droit international et une myriade de conventions des Nations unies soutiennent le droit au retour.
Puis-je vous en citer quelques-unes ?
Quatrième Convention de Genève, article 4. La Déclaration universelle des droits de l’homme, articles 8 et 13. Le statut de Rome de la Cour pénale internationale, articles 7 et 8. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, articles 5 et 6. … et bien d’autres encore.
Pourquoi les Palestiniens ne sont-ils toujours pas autorisés à rentrer chez eux ?
Parce que ceux qui sont responsables du crime originel et leurs complices continuent de le commettre. Il s’agit des puissances occidentales qui ont créé Israël et qui ont récemment opposé trois fois leur veto aux résolutions de cessez-le-feu. Elles continuent à fournir à Israël des bombes tueuses et une protection diplomatique.
Le crime ne fait que s’amplifier.
Face à tout cela, les Palestiniens font preuve d’un courage et d’une détermination remarquables. Ils n’ont pas l’intention de renoncer à leur droit au retour. Ils ne veulent pas rester des réfugiés pour toujours.
Nous avons donc un devoir : planifier leur retour.
- Premièrement nous devons savoir qui sont les réfugiés et où ils se trouvent.
- Et deuxièmement qui occupe leur terre en Israël.
Nous avons réalisé une étude détaillée, village par village, ville par ville, pour déterminer combien de Juifs vivent sur les terres palestiniennes et où exactement.
Nous avons obtenu un résultat surprenant :
- Dans 246 villages palestiniens, il n’y a aucun juif aujourd’hui.
- Dans 272 terres appartenant à des villages, il y a peu de Juifs, moins de 5 000.
De sorte qu’il est possible de laisser les réfugiés palestiniens revenir peupler leurs villages, sans que cela pose le moindre problème de relocalisation aux Juifs. En Galilée, dans le Petit Triangle du centre et à Beer Sheba, il y a déjà une population palestinienne assez importante, prête à accueillir leurs proches.
Alors, où sont les Juifs en Israël ?
En général, les Juifs vivent dans 924 localités répertoriées, pour une population totale de 5 509 778 personnes (en 2020) à l’intérieur de la ligne d’armistice de 1949. Mais ce nombre élevé peut être trompeur. Seules 14 d’entre elles ont une population supérieure à 100 000 habitants ; 12 ont une population comprise entre 50 et 100 000 habitants, et 29 localités entre 20 et 50 000 habitants.
Cela signifie que 87 % des Juifs vivent dans seulement 55 localités, soit 5 % du nombre total de localités. La superficie qu’ils occupent est de 1 400 km2, soit 6 % de la superficie d’Israël.
Conclusion ? Le retour est possible et bien sûr légal. Pour les Palestiniens, il est également sacré et inéluctable.
Nous pouvons planifier le retour des réfugiés. Nous savons exactement d’où ils ont été chassés. Rentrer chez eux prend entre 15 à 45 minutes. Le trajet ne dépasse jamais 45 km. Les réfugiés de Gaza n’ont même pas besoin de bus, ils peuvent rentrer à pied.
Lorsqu’ils arriveront chez eux, ils ne trouveront que des débris. Le Fonds national juif a planté des arbres sur les restes de leurs maisons pour effacer les traces du crime. Ils pourront alors se mettre à reconstruire leurs maisons.
Nous avons confié la tâche de préparer cette reconstruction à de jeunes architectes palestiniens dans le cadre de leur projet de fin d’études. Nous organisons un concours annuel depuis huit ans. Les prix sont décernés par un jury international à Londres.
Jusqu’à présent, 270 jeunes architectes palestiniens ont participé aux plans de reconstruction de 60 villages, répartis dans toute la Palestine.
Une fois de plus, les jeunes ouvrent la voie de la libération. Justice sera enfin rendue.
Mais tout cela nécessite de passer par une étape essentielle, juste, non négociable et incontournable. Il s’agit de l’abolition du sionisme et de toutes ses œuvres : crimes de guerre, dépossession, occupation, apartheid, racisme, discrimination et GENOCIDE.
Soixante-seize ans ont passé et nous, Palestiniens, nous sommes toujours aussi déterminés de rentrer chez nous. Comme vous le voyez, le droit au retour est sacré pour tous les Palestiniens, il est légal selon le droit international, il est réalisable et nécessaire.
C’est pourquoi je demande à cette auguste assemblée de faire tout ce qui est en son pouvoir pour venir en aide à la Palestine.
Il faut arrêter immédiatement le génocide de Gaza :
- Arrêter le massacre quotidien des Palestiniens, à Gaza, plus de 120 000 morts et blessés en sept mois.
- Traduire tous les dirigeants d’Israël devant la Cour pénale internationale.
- Se porter volontaire, de toutes les manières possible, pour aider la Palestine.
- Appeler tous les États à intervenir aux côtés de l’Afrique du Sud devant la CIJ contre Israël.
- Appeler les Etats à boycotter Israël et à cesser d’y investir des fonds.
- Diffuser la vérité sur la Palestine sur la scène mondiale.
Qui a peur de la vérité ? Seulement les coupables, les criminels.
C’est le remède au génocide actuel à Gaza.
Mais la paix définitive ne viendra en Palestine qu’avec la justice :
- La justice signifie le retour de tous les réfugiés dans leurs foyers.
- La justice signifie la fin de l’apartheid, de l’occupation et des crimes de guerre.
- La justice signifie qu’il doit être mis fin au sionisme, comme au nazisme et au fascisme et à tous les maux de l’humanité, et que les criminels doivent être punis.
Depuis plus de cent ans, le peuple palestinien lutte vaillamment pour sa liberté contre le colonialisme occidental et son instrument, Israël. Un tout petit nombre de personnes se battent contre une force puissante. Ils n’ont jamais abandonné, ils n’ont jamais capitulé, ils méritent d’être libres.
Je le proclame, comme vous et comme toutes les personnes honorables dans le monde, LA PALESTINE SERA LIBRE DU FLEUVE À LA MER !
Je vous remercie.
Dr Salman Abu Sitta
Source: Mondoweiss
Traduit de l’anglais par Dominique Muselet
Notes
Salman Abu Sitta est le fondateur et le président de la Palestine Land Society, à Londres, qui se consacre à la documentation de la terre et du peuple palestiniens. Il est l’auteur de six livres sur la Palestine, dont le compendium « Atlas of Palestine 1917-1966 », en anglais et en arabe, l’« Atlas of the Return Journey » et plus de 300 documents et articles sur les réfugiés palestiniens, le droit au retour, l’histoire de la Nakba et les droits de l’homme. On lui doit une documentation et une cartographie exhaustives de la terre et du peuple palestiniens sur une période de 40 ans. Ses mémoires Mapping my Return, largement acclamés, décrivent sa vie en Palestine et sa longue lutte en tant que réfugié pour rentrer chez lui.