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Denis Sindete: “Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger étaient prévisibles!”

Coup de théâtre ce dimanche 28 janvier. Dans une déclaration conjointe Mali, Niger et Burkina Faso décident de quitter la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Une surprise, vraiment? Les sanctions imposées illégalement depuis six mois par la Cedeao, soutenues grandement par la France, impactent durement la vie des populations du Niger mais aussi de celles des pays voisins. Denis Sindete, interviewé en aout pour analyser les tentatives d'invasion du Niger par la Cedeao, nous alertait depuis plusieurs semaines d'une guerre économique et diplomatique contre le Niger. Il nous explique les conséquences graves des sanctions pour les populations au Niger comme au Bénin. Denis Sindete est rédacteur en chef de La Flamme (organe politique du Parti Communiste du Bénin- PCB) et président de l’Association Béninoise de Solidarité et d’Amitié avec les Peuples (ABÉSAP).

De quelle nature est la guerre menée par la CEDEAO contre le Niger?

La Cédéao, Macron et l’OTAN ont voulu faire endosser au Niger la responsabilité de leurs forfaits en cours et à venir dans le Sahel. Les sanctions sont une tentative pour chercher à rester présent dans le Sahel pour les besoins économiques, politiques et stratégiques. Avec le recul, il me semble que Macron et ses acolytes ont mal jugé le contexte, pensant pouvoir rester les maîtres incontestés et incontestables et continuer à dicter leurs volontés et se faire obéir au doigt et à l’œil.
Avec les mutations qui s’annoncent où l’Occident est en perte d’hégémonie et de vitesse, cette tentative pouvait leur permettre, si elle réussissait, d’avoir la garantie d’ un accès continu et sans entraves aux énormes ressources de la région que sont l’uranium, l’or, le pétrole et le gaz, le zinc, mais aussi l’hydrogène pur, l’eau… Les concurrents sur le terrain que sont la Russie, la Chine, la Turquie et peut-être aussi l’Inde et le Brésil deviennent nombreux et offensifs. Pendant plus d’un demi-siècle – et surtout ces dix dernières années avec le phénomène du terrorisme qu’ils organisent et entretiennent -, la France, les USA et l’OTAN ont pris en otage le Sahel.

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « organiser le terrorisme »?



Diverses sources indiquent le financement, la livraison d’armes et l’entraînement des groupes terroristes, établissant cette organisation du terrorisme. Des coupures d’Euro, de CFA, etc. ont été saisies sur des terroristes abattus ou arrêtés. Il avait déjà été documenté comment les anciens présidents malien Amadou Toumani Touré et burkinabé Blaise Compaoré servaient de médiateurs entre la France et les preneurs d’otage contre des rançons payées par la France. Pour le Mali, les rebelles Touareg de l’AZAWAD ont été organisés, armés et financés par la France pendant la période de l’agression contre la Libye et l’assassinat de Kadhafi en 2011. Ce n’est pas par hasard que la prétendue indépendance de l’AZAWAD a été proclamée en France et diffusée sur les organes de presse français, comme France 24.(1)
Ensuite, dès le coup d’État au Niger en juillet, c’est Macron qui convoque un conseil de sécurité intérieur pour décider d’intervenir au Niger pour déloger la junte et rétablir Bazoum. Des journalistes montent au créneau pour affirmer que la France doit intervenir en toute légitimité pour défendre ses intérêts au Niger en précisant même qu’il s’agit de préserver l’approvisionnement de la France en uranium. Cela a provoqué un tollé général au Niger et dans la diaspora panafricaine à travers le monde (France, Europe, Canada, USA, etc.) La France coloniale a réagi rapidement pour corriger le tir, elle a alors affirmé que si la CEDEAO décidait d’intervenir, « elle allait soutenir ses décisions ». C’est justement après cela que la CEDEAO s’est réunie pour décider de sanctions assorties d’une intervention armée si les militaires qui ont pris le pouvoir n’obtempèrent pas. On connaît la suite: sanctions illégales et inhumaines, mobilisation de la force d’attente de la CEDEAO. Avec à la manœuvre, au service de la France et de l’OTAN, quatre chefs d’État : Bola Tinubu (Nigeria), Dramane Ouattara [Côte d’ivoire], Macky Sall [Sénégal] et Patrice Talon [Bénin]. (2)


Parmi ceux-ci, les trois chefs d’État francophones ont accepté d’accueillir les forces militaires françaises chassées du Mali, du Burkina et du Niger. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire abritent depuis plusieurs années des bases militaires françaises. En Côte d’Ivoire, il y a une force et un commandement militaire français pour toute la sous-région sous domination française, un genre d’Africom pour l’Afrique entière. Le Président Talon a signé l’accord d’installation pour que les forces Barkhane chassées du Mali s’installent au Bénin. Et depuis 2022, il y a des forces militaires française au Bénin (Kandi).(3)
Le Nigeria ayant une longue frontière avec le Niger pouvait faciliter l’agression. Mais c’est l’opposition du Sénat, de députés et plus largement des populations qui ont bloqué les élans belliqueux de Tinubu contre le Niger.

Diviser pour mieux régner, occuper militairement pour les intérêts stratégiques mais aussi économiques ?

Oui, il leur était loisible, avec ce phénomène sur un terrain déjà ruiné et continuellement appauvri, d’y vendre des armes et de se faire payer de mille manières par un endettement plus accentué des pays du Sahel. Les armes vendues et la présence des forces militaires étrangères sont d’énormes dettes que ces pays remboursent, y compris les réparations et indemnisations des victimes de ces mêmes forces étrangères car les bavures ou assassinats délibérés de populations comme à Bounty au Mali sont fréquents.
Il y a effectivement la poursuite d’intérêts économiques avec le pillage des ressources existantes (uranium, pétrole, gaz, or, etc. mais aussi coton, et autres produits agricoles). Toute la région regorge de ressources d’avenir (des terres rares dont le lithium, l’eau, l’hydrogène, la géothermie, etc). Si le Niger n’exploite même pas une portion importante des gisements de pétrole et d’uranium identifiés, vous devez savoir qu’il y aurait plus de deux siècles de réserves d’eau potable dans les nappes phréatiques du Niger. Il y a d’autres ressources minières répertoriées mais encore intactes quant à leur exploitation. De même pour le Mali avec l’hydrogène et l’eau dont on parle peu. Les appétits sont élevés et l’esprit de domination s’aiguise de plus belle avec le souci de mieux contrôler la zone pour l’approvisionnement qui pourrait faire défaut ou à tout le moins être rendue plus difficile avec la présence de nouveaux concurrents.
Après cet aperçu, on peut observer que, plus d’un demi-siècle après leur indépendance, aucun de ces pays (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso) n’est devenu une puissance dans un quelconque domaine malgré les énormes ressources dont ils disposent. L’uranium du Niger fait de la France une puissance nucléaire qui revend de l’énergie.
On pourrait aussi évoquer la question du franc CFA, prétendument monnaie africaine par laquelle la France ruine l’économie des pays de la zone franc en Afrique. Sans parler des termes foncièrement inégaux des échanges où ce sont les pays occidentaux qui fixent les prix des produits qu’ils achètent en Afrique ( les ressources minières, café, cacao, coton, anacarde, thé, etc.) Bref, ces pays sont comme des « terres sans maître » où l’on vient faire ce qu’on veut, pendant que chaque jour, les populations sont plongées dans la misère, les maladies et l’analphabétisme.

On entend souvent dire « La Françafrique c’est du passé », ce que vous expliquez prouve le contraire…

Oui, il y a déjà cette forme de domination par les accords néolibéraux, ce système de dette, auquel s’ajoute les manoeuvres militaires qui sont une sorte de guerre silencieuse et cruelle contre les peuples. Depuis plusieurs mois, l’État français veut greffer une guerre plus atroce, avec le renforcement et l’extension du terrorisme hors du Sahel en se cachant derrière la CEDEAO, de sorte que les populations ne voient pas qui est derrière.(4) L’État français multiplie donc ses injonctions aux chefs d’État vendus qu’il traite d’ailleurs comme des petits enfants. L’extension du terrorisme permettrait d’installer l’insécurité permanente pour les populations. Les troupes étrangères assiègent les pays en même temps qu’elles protègent les chefs d’État-marionnettes ou les délogent lorsque ceux-ci ne font plus l’affaire. Dans plusieurs cas , elles constituent souvent la force d’appui pour le renforcement de la domination et le pillage des ressources.
Au Niger, la diversion consisterait à faire croire que la guerre contre le Niger rétablirait l’ordre dit « constitutionnel ». En réalité, il s’agirait à court ou moyen terme d’un embrasement de toute la région du Sahel jusqu’à la côte du Golfe de Guinée.
Cela devient plus clair lorsqu’on voit les manigances autour du retrait de la MINUSMA. Elle ne voulait pas partir et a été contrainte par les arguments du Mali pour sa souveraineté. En cours de route, elle n’a pas respecté les clauses convenues pour son départ, tentant de laisser le champ libre aux groupes rebelles ou terroristes d’occuper les camps que l’armée malienne devait reprendre ou a même laissé les terroristes s’emparer des armes et munitions qui devaient être rétrocédées à l’armée malienne.

La rengaine à la mode était de dire au moment du retrait de la Minusma que le Mali ne s’en sortirait pas.


En effet, combien de fois n’a-ton pas affirmé que les putschistes de Bamako seraient incapables d’assurer la sécurité ou feraient plus de morts après le départ des forces Barkhane, etc. Mais la réalité a démenti les pronostics des oiseaux de mauvais augures. La prise de Kidal a été une démonstration éloquente de ce que les forces étrangères n’étaient présentes au Mali que pour des objectifs de consolidation de la domination et du pillage. S’il y a encore quelque résistance et attaque terroriste, c’est bien le fait de groupes appuyés et protégés de différentes manières. On observe aussi qu’à part quelques groupes radicaux, nombre d’autres groupes acceptent la main tendue du Président Assimi Goita pour un dialogue inter-malien en vue d’en finir avec le terrorisme et les tentatives de division du pays. La puissance de feu de l’armée malienne en impose désormais

Les responsabilités politiques devraient pourtant être identifiées…

La nature de la guerre apparaît comme une agression perverse pour affamer un peuple nigérien déjà affaibli par des dizaines d’années d’arbitraire politique, de ruine économique. Celle-ci vise à le soumettre davantage le pays pour garantir le pillage des ressources, anciennes et nouvelles, en vue de se faire une place convenable dans les repositionnements géopolitiques et stratégiques qui s’annoncent. Évidemment, les puissances impérialistes (la France en tête) et leurs alliés peuvent nourrir ce dessein cynique, puisqu’elles n’ont jamais payé pour leurs crimes du passé et dont les effets se font encore sentir aujourd’hui  : esclavage, racisme, colonialisme, nazisme, fascisme, guerres de rapine, assassinats de patriotes, etc.
Ces puissances n’ont pas vu venir le vent de la révolution patriotique humaniste qui souffle sur l’ Afrique ou veulent l’ignorer. Il est clair que si la France, les USA, l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Belgique, etc. étaient passés devant des juridictions internationales spéciales pour les crimes passés et nouveaux, on n’assisterait plus à leurs politiques et pratiques inhumaines d’agressions, d’occupations, de pillages, d’empoisonnements de masse, d’assassinats de dirigeants patriotes, perpétrés encore de manière plus ou moins cachée.

Comment la population du Niger s’est-elle organisée pour faire face aux sanctions?


Les populations du Niger font preuve d’une résistance inouïe à l’agression économique et à la famine programmées par la France et la CEDEAO via ces sanctions illégales, inhumaines et criminelles ! Celles-ci concernent tous les domaines de première nécessité : les vivres, les médicaments, l’énergie. Le Nigeria a stoppé sa livraison d’électricité au Niger. Outre les régions plongées dans le noir, les hôpitaux, les maternités et autres services publics ne pouvaient plus assurer la bonne conservation des vaccins et produits sensibles pour les enfants et les malades, par exemple. C’est horrible et criminel… mais ça ne fait pas la Une des médias occidentaux. Dès les premiers jours des sanctions, il y a eu une solidarité extraordinaire : les jeunes qui tenaient le siège des armées d’occupation se faisaient nourrir et relayer ; la diaspora nigérienne a lancé un appel à l’humanisme révolutionnaire à travers le monde pour venir en aide au peuple nigérien ; le Faso a envoyé des camions de vivres ; le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie a lancé un appel au peuple à constituer un fonds de solidarité pour faire face à la situation… Enfin, dès le départ, les transporteurs n’ont jamais été d’accord avec la fermeture des frontières. Par tous les moyens, ils ont tenté de faire rentrer les produits de base. Sans oublier la forte pression du Sénat et des populations nigérianes pour rejeter cette guerre comme les assistances diverses qui se développées entre populations frontalières sœurs.

Ressentez-vous les effets de ces sanctions au Bénin ?

Le Bénin ressent très durement les effets des sanctions. La fermeture de la frontière a paralysé le trafic commercial régulier entre le Bénin et le Niger. Ceci implique un appauvrissement pour de nombreuses couches de populations de part et d’autre des frontières. Par exemple l’oignon du Niger ne vient plus au Bénin ; l’igname et le riz du nord Bénin ne vont plus au Niger, en tout cas pas aussi facilement qu’avant. On a vu ces produits pourrir sur place. Le port de Cotonou tourne au ralenti. Ce qui impacte négativement le travail des dockers, des transporteurs… Des milliers de camions sont bloqués à la frontière. Les commerçants se plaignent; leurs marchandises bloquées entraînent des pertes financières. Les navires et les transporteurs se sont vus obligés de contourner la fermeture de la frontière en se tournant vers le Togo puis le Faso, à partir du Togo, pour gagner le Niger. On a assisté au Nord Bénin à des manifestations des apprentis chauffeurs qui ont clamé leur ras-le-bol face à la faim et l’insécurité qu’entraînent la fermeture des frontières. Ils sont abandonnés avec leurs camions et livrés à eux-mêmes. Sans ressources pour vivre et sans protection aucune aux abords de la voie Bénin-Niger. Dormant dehors, menacés par les attaques des animaux sauvages comme les hyènes, subissant les intempéries, les moustiques, et
Les transporteurs exigent des solutions et le dédommagement pour les produits qui pourrissent, les manques à gagner divers, etc. Tout cela pèse aussi sur les entrées fiscales du pays. Pourtant, le pouvoir béninois habitué à une gestion opaque fait croire qu’il n’y a aucun impact sur l’économie nationale. Mais la vérité a fini par éclater : le FMI – avec lequel le Bénin négocie des accords financiers – a tout de même annoncé que la fermeture de la frontière, la dévaluation du Naira, la hausse du prix du carburant au Nigeria influencent négativement l’économie béninoise.

Quel est le rôle des USA dans la situation au Niger ?


Lorsque les USA disent rester au Niger mais s’abstenir de coopérer en matière de renseignement avec le pouvoir, tout cela dit sans vergogne, ils ne sont pas là pour lutter contre un quelconque terrorisme. Au contraire ! Ceux qui doutaient du soutien ou de l’entretien des terroristes par les puissances impérialistes et leurs forces d’occupation peuvent en tirer les leçons… Aux yeux des incrédules honnêtes, il est maintenant clair que les bases d’Agadez et d’autres servent aux USA et à leurs alliés pour faciliter le pillage des ressources naturelles de l’Afrique et y garder une bonne position stratégique. Les États-Unis ont plus d’une trentaine de bases en Afrique, également dans des zones aussi où sévissent les guerres, par terroristes interposés, ou des pillages et attaques contre les paisibles populations : Libye, Mali, Niger- Agadez, Ouallam, Arlit- Faso, Tchad, Sénégal, Soudan, RDC, RDC-Rwanda, Somalie, Cameroun… La plus grande base nord-américain étant située à Djibouti (environ 4.000 soldats).
A cet égard, les dernières révélations sur les conditions d’assassinat de Patrice Lumumba, avec l’implication des USA, confirment s’il en était encore besoin le degré de criminalité de ces puissances impérialistes dans leur volonté de dominer et de piller quoiqu’il en coûte. En lien avec l’actualité au Moyen-Orient, on peut observer que ceux qui veulent rétablir un individu au pouvoir au Niger sont les mêmes qui refusent d’appeler et faire appliquer un cessez-le-feu à Israël et s’atteler à la résolution de la question palestinienne. Le déluge de bombes qui a tué des dizaines de milliers d’enfants et de femmes ne les émeut guère…

(1) cette affirmation est controversée, d’autres sources divergent à ce sujet : https://information.tv5monde.com/afrique/video/la-france-soutient-elle-le-projet-politique-de-lazawad-2684097
(2) Le 11 août dernier, Philippe Toyo Noudjènoumè, secrétaire général du Parti communiste du Bénin, a écrit une lettre au président de son pays et lui a posé une question simple et précise : quels sont les intérêts qui ont poussé le Bénin à entrer en guerre avec le Niger pour affamer sa population “sœur” ?
(3) en effet comme le note Vijay Prashad “Le ressentiment latent à l’égard de la France s’est intensifié après la destruction de la Libye par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord en 2011 et la propagation de l’instabilité dans la région sahélienne de l’Afrique”.
(4) La Flamme N°470 du 7 octobre 2022 à propos des bases militaires françaises au Bénin.
(5) Comme c’était le cas avec la guerre au Mali il y a plus de dix ans, voir https://investigaction.net/les-mensonges-de-la-propagande-de/


Source: investig’Action

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