Les déclarations exagérées sur le succès militaire remarquable d'Israël dans la lutte contre les frappes iraniennes ne tiennent pas compte du fait que l'Iran s’est délibérément retenu pour éviter une guerre régionale, tandis que les frappes ont forcé Israël à abandonner ses positions défensives.
Peu après que la frappe de représailles de l’Iran sur Israël se soit achevée apparemment sans incident, les proclamations retentissantes sur les exploits défensifs d’Israël ont suivi. Le porte-parole militaire israélien, Daniel Hagari, a déclaré que les représailles de l’Iran avaient “échoué”, 99 % des missiles et des drones lancés ayant été interceptés par les systèmes de défense aériens israéliens. Le président américain Joe Biden a salué la “capacité remarquable” d’Israël à se défendre contre ces “attaques sans précédent”, envoyant ainsi à l’Iran le message qu’il “ne peut pas menacer efficacement la sécurité d’Israël”.
L’analyste militaire israélien Amos Harel a etoffé ces déclarations, en évoquant les “incroyables capacités opérationnelles” de l’armée de l’air israélienne et de ses alliés, qui ont permis d’éviter un véritable désastre en empêchant que des bases militaires clés ne soient prises pour cible. Il va même jusqu’à dire que “l’on peut supposer que Téhéran est extrêmement déçu”, car l’intention de l’attaque, selon Harel, était de montrer ses capacités en frappant des cibles militaires comme la base aérienne de Netavim :
“Il semble que les Iraniens avaient l’intention de détruire la base et les avions de chasse F-35 qui y sont stationnés, qui sont le joyau de la couronne de l’aide américaine à Israël. L’Iran a complètement échoué”.
De telles évaluations sont erronées pour deux raisons : premièrement, elles confondent ( ou obscurcissent intentionnellement ) les intentions de l’Iran derrière l’attaque, et deuxièmement, elles interprètent incorrectement les résultats de l’attaque.
Le premier point est assez peu controversé. Pratiquement personne, à l’exception des têtes parlantes israéliennes, ne croit que l’Iran a lancé l’attaque avec l’objectif d’élargir la confrontation. Le fait que l’Iran ait constamment préparé la communauté internationale en déclarant bruyamment ses intentions une semaine à l’avance et en promettant aux États-Unis que son attaque serait “sous contrôle” et menée de manière à “éviter l’escalade” confirme que l’Iran a fait preuve d’une grande retenue dans ses frappes. Même les détracteurs arabes de l’Iran ont raillé les attaques comme un exercice impuissant de “théâtre” politique et militaire.
Le second point a été moins évoqué car l’interprétation des résultats de l’attaque a été filtrée par les différents prismes de propagande des différents acteurs. Il est assez évident que des Israéliens comme Harel – qui, au cours des six derniers mois, a infléchi son analyse militaire par des opérations psychologiques journalistiques dirigées contre ses compatriotes – voudraient gonfler les réalisations militaires israéliennes. Après avoir perdu confiance dans la capacité de l’armée à protéger ses citoyens à la suite du 7 octobre, Israël s’est efforcé de projeter une image d’imprenabilité face aux agresseurs régionaux.
Plusieurs activistes et analystes militaires et politiques ont proposé une interprétation différente des résultats.
Le directeur de la campagne d’Avaaz, Fadi Quran, a indiqué sur X que “l’ampleur de l’attaque iranienne, la diversité des lieux qu’elle a ciblés et des armes qu’elle a utilisées ont forcé Israël à découvrir la majorité des technologies antimissiles dont les États-Unis et l’Israël disposent dans la région”.
“Les Iraniens n’ont pas utilisé d’armes dont Israël ignorait l’existence, ils en ont simplement utilisé beaucoup”, a ajouté M. Quran. “Mais il est probable que les Iraniens disposent désormais d’une carte presque complète de ce à quoi ressemble le système de défense antimissile d’Israël, ainsi que des installations américaines en Jordanie et dans le Golfe.
Selon M. Quran, cela signifie que l’Iran peut désormais “rétroconcevoir” les renseignements qu’il a recueillis, tandis qu’Israël et les États-Unis “devront revoir leur modèle actuel”, ce qui rend le coût du “succès” de l’arrêt de l’attaque très élevé.
“Quiconque pense qu’il ne s’agit que d’un coup de théâtre ne comprend pas comment les militaires évaluent la stratégie par rapport à la tactique”, a expliqué M. Quran, soulignant que la collecte de renseignements est un élément clé des longues guerres d’usure, un modèle que l’Iran préfère à la guerre totale.
Ali Jezzini, analyste militaire basé à Beyrouth et collaborateur d’Al-Mayadeen, a proposé une analyse similaire des frappes iraniennes, affirmant qu’elles étaient “très réussies” et qu’un plus grand nombre de missiles ont probablement atteint leur cible qu’Israël ne l’a laissé entendre.
Cela semble avoir été corroboré par des preuves vidéo enregistrées par les Palestiniens dans le cas de la base militaire de Netivim, montrant plusieurs missiles atteignant apparemment leur cible, bien qu’il n’y ait eu aucune confirmation de l’étendue des dégâts
“Le coût des interceptions de cette nuit dépasse certainement le milliard de dollars entre les Américains et les Israéliens”, a ajouté M. Jezzini, une affirmation qui semble être reprise par des sources israéliennes.
Jezzini a déclaré que dans le contexte d’une guerre à grande échelle, Israël ne serait pas en mesure de maintenir ce niveau de défense aérienne pendant plus de quelques jours avant que les missiles ne commencent à submerger les capacités de défense d’Israël.
L’analyste politique Sari Orabi a fait écho à cette analyse sur sa chaîne Telegram, affirmant que le “succès” d’Israël dans l’interception des missiles iraniens est “conditionné par la présence de couches régionales de protection fournies par les États-Unis”, ce qui expose la dépendance d’Israël à l’égard de son réseau d’alliés et l’oblige à renoncer à ses diverses positions défensives.
M. Orabi a ajouté que l’intention iranienne derrière cette frappe était “extrêmement prudente” et “cherchait à créer une nouvelle position de dissuasion qui n’évolue pas vers la guerre”, ce qui crée un nouveau précédent pour l’action iranienne qui augmente le coût régional de la poursuite d’une action belliqueuse à l’égard de l’Iran.
L’administration Biden a également fait comprendre ce coût à Israël, en déclarant à M. Netanyahou que les États-Unis ne soutiendraient pas une contre-attaque israélienne et qu’Israël devrait “remporter la victoire”.
Dans ce contexte, l’Iran a consciemment et délicatement augmenté les enjeux d’une confrontation plus large, ce qui tend encore plus les relations américano-israéliennes et crée une pression renouvelée pour désamorcer les tensions régionales. Il est possible que cela conduise également à des pressions pour mettre fin à la guerre génocidaire contre Gaza.
Source : Mondoweiss
Traduit de l’anglais par Falasteen pour Investig’Action
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