Ce 17 janvier 2025 marquait le 64e anniversaire de l’assassinat de Patrice Lumumba (1925-1961). Au moins cinq policiers et militaires belges étaient également présents lors de l’assassinat. Le 20 juin 2022, la Belgique remet aux autorités congolaises ce qu'il reste du corps de Patrice Emery Lumumba, 61 années après son assassinat par les puissances occidentales. À partir de cet évènement, Samy Manga, poète camerounais, dénonce les atrocités coloniales belges au Congo et critique les discours de réparation actuels dans son livre La dent de Lumumba – Régicide contre la colonie, aux éditions Météores.
Pouvez-vous nous décrire la genèse du livre La dent de Lumumba ? Cette histoire était-elle connue pour vous ?
J’étais à Lausanne, un après-midi de 2022, un ami m’envoie un article qui parle de la cérémonie officielle à Kinshasa organisée pour la venue du roi et de la reine de Belgique pour rendre la dent de Lumumba. Je ne comprenais pas ! Je connaissais les circonstances du meurtre de Patrice Lumumba, la torture, la colonisation belge,… Mais cette histoire de dent, je pensais que c’était une blague. Il s’agit d’un policier belge qui a ramené la dent restante à Bruxelles. 60 ans après on entend parler de cette histoire, je remarque que l’horreur dépasse toujours l’horreur. La colonisation belge au Congo, c’est un génocide !
Il y a eu des mobilisations à Bruxelles pour une place Lumumba qui a mis plus de dix ans à être mise en place. Mais aussi la demande de la famille de Lumumba pour rendre cette dent.
Je mets en relation cette cérémonie avec ce qu’on entend ces dernières années, des restitutions, des réparations, mais je me demande comment appréhender un tel évènement. Il s’agit non seulement d’assassiner un homme d’État démocratiquement élu mais aussi 10 millions de personnes. Et après tout cela, on ose organiser une cérémonie qui met en valeur le colon qui rend une dent ? C’est un simulacre ! Jusqu’à aujourd’hui les guerres en Afrique et les génocides ont du mal à être reconnus de manière formelle. Que dirait-on si pour le génocide juif, en Allemagne on parlait seulement de responsabilité morale ? C’est ce qu’a fait le roi des Belges à propos du Congo et c’est honteux.
Comment interprétez-vous cette cérémonie ?
Il y a encore les entreprises belges qui pillent le Congo, un système d’exploitation perdure et je pense que c’est pour ça qu’on sort les tam-tams, on a les télévisions qui sont là pour célébrer. Ce genre de démonstration sert à faire perdurer le système, le maintenir et le maquiller. Mais pendant ce temps là, l’Histoire n’est pas dite, n’est pas reconnue et la situation du Congo est toujours aussi fragile et instable. La République Démocratique du Congo est parmi les pays les plus riches au monde si l’on parle de ses ressources mais concrètement il est utilisé comme un supermarché dans lequel on vient faire ses courses tranquillement.
Vous avez écrit ce livre à la première personne, incarnant différentes personnes victimes des méfaits de Leopold II et du gouvernement belge.
Oui j’ai même écrit une lettre qui a été envoyée au roi Philippe. On est pas de la même génération, je suis d’une génération de la rupture. On a pas envie que la domination coloniale se poursuive continuellement.
Ces derniers mois on assiste à Gaza à un génocide en direct. L’information est bien visible sans empêcher que les crimes continuent. Vous parliez d’éviter que les horreurs se répètent, on voit pourtant que ça se reproduit malgré l’opposition d’une grande partie des populations aux quatre coins du monde.
On ne raconte pas l’histoire de la chasse par les animaux. Tout comme avec Wikileaks, Assange a été arrêté pour avoir montré ce qu’a fait l’armée américaine en Irak et d’autres pays. Les gens qui défendent le pouvoir peuvent très bien te dire « non c’est un kamikaze » alors que c’est une maman qui conduit ses enfants à l’école. L’information est noyée. Et ce qui n’arrange pas les pouvoirs ne sera pas raconté par les médias dominants.
La guerre d’indépendance du Cameroun est occultée par l’histoire officielle, en travaillant sur le Congo avez-vous vu des similitudes avec votre pays d’origine?
Je n’ai jamais souscrit à ce complot dévastateur de 1884 à Berlin, celui qui a consisté à démembrer notre continent pour des intérêts purement capitalistes et racistes. Dans la réalité de mon esprit, l’Afrique est un pays et la capitale de ce pays c’est le Congo, je me considère avant tout comme un fils Bantu originaire du Royaume du Kongo. Le principe de mon africanité refuse d’être dilué par les politiques séparatistes, tous les jours, je suis un objectif, celui de rétablir l’identité, la dignité du peuple Noir, des peuples, et l’intégrité de la planète.
Quant aux points communs entre le Cameroun et le Congo, ces deux pays d’Afrique centrale ont tous subi la même barbarie du colonialisme, assiégés par les mêmes puissances occidentales qui employaient les mêmes brutalités dans des territoires occupés et pillés. L’histoire du génocide Français des années 50 au Cameroun reste étouffée et pourtant bien réelle et inscrite dans la profonde chair de ce pays. Nos morts attendent toujours d’être enterrés, les morts ne sont pas morts. Tout comme au Congo, des têtes et des mains étaient coupées et exhibées, des gens étaient battus, torturés, et emprisonnés.
Source : investg’Action
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