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« L’Ukraine d’aujourd’hui n’est pas une démocratie » : entretien avec l’ancien ambassadeur Jack Matlock


Jack Matlock est un témoin privilégié de la diplomatie internationale des dernières décennies. Dans cet entretien passionnant, il répond à Gregor Baszak pour Antiwar sur la situation en Ukraine, les ratés de la politique étasunienne, de l'OTAN et comment interpréter les positions de la Russie. Il explique notamment comment après la fin des années 1990, "le complexe militaro-industriel américain a déployé un effort concerté pour trouver des "concurrents" afin de justifier des budgets de défense énormes et en augmentation (I'A).

Jack F. Matlock, Jr. a été ambassadeur des États-Unis en Union soviétique de 1987 à 1991 et de 1981 à 1983 en Tchécoslovaquie. Il a siégé au Conseil de sécurité nationale sous le président Reagan et a participé à plusieurs sommets sur le contrôle des armements, notamment à Reykjavik en 1986. Au total, il a servi 35 ans dans le service diplomatique américain, de 1956 à 1991. De 1996 à 2001, il a occupé le poste de Professeur George F. Kennan à l’Institute for Advanced Study de Princeton, dans le New Jersey. Il est l’auteur de trois ouvrages : Superpower Illusions (2010), Reagan and Gorbatchev : How the Cold War Ended (2004) et Autopsy of an Empire (1995). Ce qui suit est la transcription d’une conversation tenue le 22 avril 2024. La transcription a été légèrement modifiée pour des raisons de clarté et de longueur.

Monsieur Matlock, le 20 avril, une large majorité bipartite à la Chambre des représentants a approuvé un projet de loi de 95,3 milliards de dollars sur l’aide étrangère. Il envoie 60,8 milliards de dollars à l’Ukraine et le reste à Israël, à Gaza et à Taïwan. Le Congrès a également approuvé d’autres mesures, notamment l’extension de la surveillance sans mandat aux États-Unis. De nombreux membres du Congrès, en particulier des démocrates, agitaient des drapeaux ukrainiens au sein de la Chambre. Qu’est-ce qui vous est passé par la tête quand vous avez vu ces images ?


Je pense qu’ils font une très grosse erreur. Tout d’abord, ces crédits ne proviennent pas du contribuable. Nous devons emprunter de l’argent pour couvrir ces crédits et nous sommes déjà très endettés à l’étranger. La dette nationale dépasse aujourd’hui les 33 000 milliards de dollars et augmente de 2 000 milliards de dollars par an. Comme l’a déclaré le président de la Réserve fédérale, cette situation n’est pas viable.
Maintenant, quel est le but de ces crédits ? Le crédit le plus important a été alloué à l’Ukraine. L’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre dans les termes que les dirigeants ukrainiens ont énoncés. En fait, il ne serait pas dans l’intérêt de l’Ukraine qu’elle récupère tout le territoire que la Russie occupe actuellement. La grande majorité de ces habitants sont russophones, tandis que le gouvernement ukrainien actuel a déclaré que les russophones ne sont pas de vrais Ukrainiens. L’OTAN fait déjà ce qui serait nécessaire si l’Ukraine était membre de l’OTAN. Plus d’armes permettront tout simplement plus de destructions, la plupart en Ukraine même. Plus cette guerre durera, plus la Russie s’emparera de territoires et insistera probablement pour les conserver. Si cela dure plus longtemps, l’Ukraine se révélera être un État difficilement viable, surtout si elle continue à se définir comme anti-russe, son principal voisin et un pays auquel ses régions orientales et méridionales ont appartenu pendant plusieurs siècles.
Or, dans le cas de l’aide militaire à Israël, nous continuons à verser de l’argent et des armes alors qu’Israël est presque certainement en train de commettre un génocide. Il s’agit d’une question grave, et même si notre président a condamné de nombreuses actions d’Israël, même si Israël ne fait pas ce qu’il suggère, il continue à l’armer.
Quant à l’aide à Taïwan, le renforcement de la présence militaire américaine sur place risque d’inciter les Chinois à tenter d’absorber Taïwan par des moyens militaires. Les États-Unis ne devraient pas revenir sur la politique définie par le président Nixon lorsque les États-Unis ont reconnu la République populaire de Chine. Taïwan a une économie remarquablement bonne qui survivrait difficilement à une attaque de la Chine. Mais si la Chine décidait de l’envahir, ce serait une folie pour les États-Unis d’entrer en guerre avec elle. Une telle guerre pourrait facilement devenir nucléaire.


Je suis sûr que vous connaissez le travail d’Elbridge Colby. Il est un grand partisan de ce qu’il appelle une « stratégie du déni », qui consiste essentiellement à contenir la Chine, à l’empêcher, par l’intermédiaire de Taïwan, d’étendre sa puissance aux chaînes d’îles de la mer de Chine méridionale. Il affirme que c’est dans l’intérêt de la sécurité nationale des Etats-Unis, que c’est là que l’Amérique doit investir. Que répondez-vous à cela ?

Je ne pense pas que ces arguments aient du sens. Nous disons que notre marine doit dominer la mer de Chine méridionale. Comment réagirions-nous si les Chinois, les Russes ou n’importe quel autre pays disaient : « Nous devons dominer les Caraïbes » ? Comment nous sentirions-nous si les Chinois survoleraient régulièrement la frontière pour recueillir des renseignements ? Nous le faisons autour des leurs. Je n’adhère pas à l’argument selon lequel les États-Unis ont l’obligation de dominer les mers du monde. Bien sûr, nous voulons qu’ils soient ouvertes au commerce, et c’est aussi dans l’intérêt de la Chine.
Je pense que la militarisation des relations avec la Chine est une énorme erreur. Au cours des 30 dernières années, le gouvernement chinois a probablement amélioré la vie d’un plus grand nombre de personnes plus rapidement que n’importe quel autre gouvernement dans l’histoire. Le PIB chinois est égal ou supérieur au PIB américain. Certains y voient une menace, mais ce n’est pas mon cas. La Chine compte quatre fois plus d’habitants que les États-Unis. Alors pourquoi son PIB ne serait-il pas au moins quatre fois supérieur au nôtre ? L’idée que les États-Unis doivent être les premiers dans tous les domaines et que tout pays dont l’économie croît plus vite est une menace est tout simplement fausse.


Dans les deux questions suivantes, j’ai voulu remonter le cours de l’histoire. En 1997, vous avez cosigné une lettre ouverte rédigée par 50 personnalités du monde de la politique étrangère américaine, qui qualifiaient l’expansion de l’OTAN vers l’Est d'”erreur politique aux proportions historiques”. La lettre affirmait également que l’expansion de l’OTAN “renforcerait l’opposition non démocratique” en Russie, “diminuerait la sécurité des alliés et fragiliserait la stabilité européenne”. Récoltons-nous aujourd’hui ce que nous avons semé à l’époque ?


Oui, c’est le cas. J’étais fermement opposé à l’élargissement de l’OTAN à partir du nombre de membres qu’elle comptait en 1991. J’ai assisté à plusieurs réunions au cours desquelles les dirigeants américains, mais aussi britanniques et allemands, ont assuré à Gorbatchev et au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Chevardnadze, que si l’Allemagne de l’Est était autorisée à rejoindre l’Allemagne de l’Ouest et que l’Allemagne unie restait dans l’OTAN, celle-ci ne s’étendrait pas plus à l’Est. En fait, comme le secrétaire d’État Baker l’a déclaré à plusieurs reprises, l’OTAN ne s’élargirait “pas d’un pouce”.

Lors de leur rencontre au sommet à Malte en décembre 1990, lorsque Gorbatchev et le président George Herbert Walker Bush ont déclaré la fin de la guerre froide, plusieurs autres déclarations ont été faites. L’une d’entre elles était que l’Union soviétique n’interviendrait pas en Europe de l’Est en cas de changement politique et la seconde était que les États-Unis ne tireraient pas profit de cette situation. Or, étendre une alliance militaire à ces régions reviendrait manifestement à tirer parti de la situation. Je dirais que tout le concept de la fin de la guerre froide reposait en partie sur l’idée que l’alliance occidentale ne s’étendrait pas.
Il y avait de bonnes raisons d’éviter l’expansion. Après l’éclatement du Pacte de Varsovie et la démocratisation des pays d’Europe de l’Est encouragée par Gorbatchev, l’Union soviétique ne pouvait plus envahir l’Europe de l’Ouest. C’était l’objectif initial de l’OTAN et il a été atteint.
Et il y a un autre aspect, c’est notre triomphalisme. Nous avons mis fin à la guerre froide par la négociation et il a été possible d’y mettre fin lorsque Gorbatchev a abandonné le principe fondamental du parti communiste et de sa politique étrangère, la “lutte des classes” marxiste. Il l’a totalement abandonné dans un discours prononcé devant les Nations unies en décembre 1988. Gorbatchev a annoncé que la politique étrangère soviétique était désormais fondée sur “les intérêts communs de l’humanité”. C’est le contraire de la politique marxiste-léniniste précédente et, bien entendu, c’est sur cette base qu’il a tenté de réformer l’Union soviétique et de la rendre plus démocratique. Si l’Union soviétique permettait aux pays d’Europe de l’Est de devenir démocratiques et qu’elle se réformait elle-même, pourquoi devrions-nous les inclure dans une alliance occidentale qui était là pour empêcher une invasion soviétique de ces pays ? Il n’y avait plus de menace.
En fait, la Russie a accepté l’expansion initiale de l’OTAN et aussi l’élargissement aux États baltes, mais s’est opposée à l’extension aux Balkans et à l’établissement de bases militaires étrangères dans cette région.
Mais il n’y a jamais eu de raison valable d’élargir l’OTAN. Au début, nous avons proposé un partenariat pour la paix qui aurait très bien fonctionné. Il était acceptable pour Boris Eltsine, le dirigeant russe de l’époque, et pour d’autres. Mais le problème de l’expansion de l’OTAN n’était pas tant la garantie de l’article 5 selon laquelle une attaque contre l’un d’entre eux serait considérée comme une attaque contre les autres. Ce qui était sensible pour la Russie, c’était l’établissement de bases étrangères, et notamment américaines, dans ces pays. L’adhésion elle-même n’était pas si importante. Ce n’est que lorsque nous avons commencé à y installer des bases que nos relations se sont détériorées. C’était pendant la deuxième administration Bush, lorsque les États-Unis ont commencé à se retirer de pratiquement tous les accords de contrôle des armements que nous avions conclus et qui étaient à la base de la fin de la guerre froide.


Ces 50 experts en politique étrangère n’étaient pas les seuls à s’opposer à l’expansion de l’OTAN. George Kennan et Henry Kissinger s’y sont également opposés. William Burns, alors ambassadeur des États-Unis en Russie, a envoyé en 2008 un câble publié par Wikileaks qui exposait clairement l’opposition de la Russie à la proposition d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN. Le titre de ce câble est célèbre : “Nyet means nyet”. Si tout cela semblait si clair pour les responsables de la politique étrangère à Washington DC à l’époque, comment se fait-il qu’aujourd’hui, on ne trouve plus guère de voix éminente s’opposant à l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN ? Qu’est-ce qui a changé ?

Il est très clair qu’au cours des décennies qui ont suivi la fin des années 90 et en particulier la première décennie du XXIe siècle, le complexe militaro-industriel américain a déployé un effort concerté pour trouver des “concurrents” afin de justifier des budgets de défense énormes et en augmentation. Ceux d’entre nous qui ont négocié la fin de la guerre froide prédisaient que les bases de l’OTAN dans les pays libres d’Europe de l’Est allaient provoquer la Russie, qui se trouvait alors dans une situation économique très difficile.
Je voudrais rappeler à ceux qui disent “oh, la Russie est toujours l’agresseur” que c’est le dirigeant élu de la Fédération de Russie qui a mené et permis l’éclatement de l’Union soviétique, qui s’est déroulé de manière pacifique. Les États baltes ont bénéficié du soutien de Boris Eltsine pendant toute la période où ils ont tenté d’obtenir leur indépendance. Dans ce cas, le dirigeant russe élu est le principal responsable de l’éclatement de l’Union soviétique et lorsque les gens disent “la Russie fait toujours ceci, la Russie fait toujours cela”, cela n’a aucun sens car l’Union soviétique était un État communiste très différent de la Russie actuelle. Je dirais qu’en termes de recours à l’espionnage et à la propagande, la Russie et l’Ukraine ont exactement le même héritage, et il s’agit en fait d’une compétition entre ceux qui diffusent la propagande la plus tendancieuse. Mais le fait est que les gens qui partent de notions abstraites et en tirent des conclusions oublient tous les détails qui, en fait, rendent leurs conclusions irrationnelles.
Permettez-moi d’ajouter ici que je pense que la politique actuelle, celle qui a produit bon nombre de ces erreurs actuelles, repose sur une base philosophique faible. Beaucoup disent que notre mission est de promouvoir la démocratie dans le monde. Ils ne définissent pas exactement ce qu’est la démocratie. En fait, le mot ne figure pas dans la Constitution américaine. Il ne figure pas dans le serment que nous prêtons. Il ne figure pas non plus dans le serment d’allégeance. Nous prêtons allégeance au drapeau des États-Unis d’Amérique et à la république qu’il représente. Pour en revenir à la Première Guerre mondiale, l’une des raisons pour lesquelles Wilson s’est engagé dans cette guerre était de protéger la démocratie. Attendez un peu. Tous les pays qui se sont battus pendant la Première Guerre mondiale étaient des empires. La Grande-Bretagne était un empire au même titre que l’Allemagne et la Russie. La Grande-Bretagne et la France ont continué à étendre leurs empires une fois la guerre terminée. Alors, les États-Unis ont-ils vraiment soutenu la démocratie ?


En d’autres termes, vous pensez qu’il est faux de croire que l’OTAN défend réellement la démocratie contre l’autoritarisme en Ukraine.


L’idée qu’une puissance extérieure puisse inciter un autre pays à devenir démocratique est tout à fait erronée. Après tout, si la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, comme l’a dit Abraham Lincoln, comment un étranger peut-il l’imposer ? Le fait est que lorsqu’un étranger commence à soutenir certaines factions dans un autre pays, il leur fait plus de mal que de bien. Il suffit de voir comment nous avons réagi à l’accusation, à mon avis erronée, selon laquelle la Russie aurait contribué à l’élection de Trump en 2016. Il s’agissait d’une énorme tromperie que beaucoup considèrent encore comme un fait. Oui, la Russie avait de la propagande et des trolls sur internet, mais il n’y a aucune preuve que cela ait eu le moindre effet sur le résultat de l’élection de 2016.
Mais ce que j’ai commencé à dire, c’est qu’à partir de la fin des années 90 et dans les années 2000, la soi-disant élite américaine en matière de politique étrangère, y compris les médias, de nombreux groupes de réflexion et le gouvernement, a essayé de développer une politique visant à répandre la démocratie à l’étranger. Aujourd’hui, lorsque nous disons que nous défendons la démocratie en soutenant les Ukrainiens, c’est un non-sens absolu. Le gouvernement ukrainien actuel est le résultat d’un coup d’État en 2014 qui a destitué un président élu. Les régions qui s’étaient détachées de l’Ukraine, mais que l’Ukraine revendique, n’ont pas eu le droit de vote. Le gouvernement actuel est dictatorial et corrompu.


Alors, que faire ? Je veux dire que du point de vue russe, il n’y a aucune chance de rétablir Minsk-2. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que les Européens avaient utilisé les accords de Minsk pour donner à l’Ukraine le temps de se réarmer (il n’est pas clair si elle a dit cela pour sauver sa réputation). Les Russes ne nous feraient donc pas confiance de toute façon. Nous sommes en colère contre eux pour avoir envahi l’Ukraine, alors pouvons-nous soudainement déclarer le conflit gelé Quelle est, selon vous, l’issue la plus probable et la plus préférable, tout en étant la plus réaliste ?


Les frontières que le gouvernement ukrainien actuel affirme vouloir conserver ont été créées par Joseph Staline et Adolf Hitler et, dans le cas de la Crimée, par Nikita Khrouchtchev. Il ne s’agit pas de frontières qui ont fait l’objet de luttes et de négociations à l’occasion de nombreuses élections, etc. L’Ukraine occidentale n’avait jamais fait partie de l’Empire russe lorsque Hitler l’a cédée à Staline. Pourquoi alors verser du sang pour recréer l’héritage d’Hitler et de Staline ? D’ailleurs, en Ukraine occidentale, il existe un mouvement néonazi très puissant, militarisé, qui constitue l’une des principales sources d’irritation pour la Russie. Nier cela, c’est tout simplement nier les faits.
Je ne comprends pas pourquoi il est dans l’intérêt du peuple allemand de suivre la politique de son gouvernement. Bien sûr, c’est à eux de décider. Ce n’est pas à moi de décider, mais en tant qu’observateur extérieur, j’ai trouvé qu’ils s’en sortaient plutôt bien lorsqu’ils avaient des relations économiques complètes avec la Russie. Je n’ai rien vu d’anormal avec Nord Stream. Avant la mise en service de Nord Stream 1, la majeure partie du gaz russe passait par l’Ukraine. Les Ukrainiens prenaient ce qu’ils voulaient, souvent sans payer, et si les Russes essayaient de récupérer le gaz en réduisant le flux, les Ukrainiens prenaient toujours ce qu’ils voulaient et réduisaient ce qui était acheminé vers l’Europe centrale et occidentale. Il était donc dans l’intérêt de l’Allemagne et de la Russie de construire Nord Stream. Je pense que les objections ont toujours été politiques.
Permettez-moi d’ajouter une chose dont nous n’avons pas parlé. Il s’agit des efforts déployés par les États-Unis et l’UE pour séparer l’Ukraine de la Russie. Cet effort s’est concrétisé en 2014 lors des manifestations de Maïdan à Kiev. Les violences ont d’ailleurs été déclenchées à l’Ouest par des formations néonazies qui ont commencé à tirer sur les manifestants. Il avait été convenu que des élections auraient lieu avant la fin de l’année, et il semblait y avoir de bonnes chances que Ianoukovitch perde. Néanmoins, un coup d’État a eu lieu, dont la Russie a toutes les raisons de penser qu’il a été fomenté par la CIA et par d’autres membres de l’OTAN, y compris le Royaume-Uni.


Vous soulignez qu’à la fin de la guerre froide, la position officielle des États-Unis était d’empêcher l’effondrement de l’Union soviétique. Le président George H. W. Bush a soutenu le traité d’union proposé par le président Gorbatchev et a déclaré, lors d’un discours remarquable prononcé dans la salle du Soviet suprême d’Ukraine à Kiev le 1er août 1991 : “Les Américains ne soutiendront pas ceux qui cherchent à obtenir l’indépendance afin de remplacer une tyrannie lointaine par un despotisme local. Ils n’aideront pas ceux qui promeuvent un nationalisme suicidaire fondé sur la haine ethnique”. Comme on pouvait s’y attendre, cette déclaration a suscité la colère des partisans américains de la ligne dure et des nationalistes ukrainiens et n’a pas eu d’effet : plus tard dans l’année, les Ukrainiens ont encore voté massivement pour l’indépendance de l’Union soviétique. Mais pourriez-vous expliquer pourquoi le président Bush père a adopté cette position à l’époque ?


J’étais dans l’avion avec Bush lorsque nous sommes partis de Moscou pour Kiev, et alors qu’il préparait son discours pour la Verkhovna Rada, il a personnellement écrit et formulé les phrases que vous avez citées. Il ne voulait pas voir l’Union soviétique se désagréger. Il voulait que les trois États baltes acquièrent leur véritable indépendance, et il soutenait totalement cette idée. Les États-Unis n’ont jamais reconnu les pays baltes comme faisant légitimement partie de l’Union soviétique. Quant aux autres républiques soviétiques, nous avons reconnu qu’elles faisaient légalement partie de l’Union soviétique.
Bush a soutenu les efforts de Gorbatchev pour créer une union volontaire pour au moins deux raisons. La première était que s’ils devaient être soudainement lâchés avant qu’il n’y ait plus de réformes démocratiques, les dirigeants communistes locaux prendraient tout simplement le pouvoir. Gorbatchev essayait de changer le système et, bien entendu, les dirigeants rouges, comme vous diriez, ceux qui dirigeaient réellement le système, s’opposaient à ces réformes.
L’autre raison est que nous ne voulions pas assister à une prolifération des armes nucléaires. Nous pensions que ce serait très dangereux. Auparavant, des armes nucléaires étaient stationnées dans bon nombre de ces républiques. Au moment de l’éclatement de l’Union soviétique, il n’y avait d’armes nucléaires que dans quatre d’entre elles, et la politique américaine voulait qu’en cas d’éclatement de l’Union, les armes soient concentrées en Russie, où elles pourraient être plus facilement contrôlées. La destruction d’un grand nombre de ces armes était prévue dans le cadre du traité START en vigueur. Nous ne voulions donc vraiment pas d’un éclatement.


Vos détracteurs pourraient s’y opposer : Attendez, vous avez dit que nous voulions empêcher la prolifération nucléaire et que nous voulions empêcher l’Ukraine d’être dirigée par un despote. Ces critiques diraient qu’aujourd’hui, l’Ukraine est un phare brillant de la démocratie et que la prolifération n’a pas eu lieu. Bush avait donc tort, et la stratégie belliciste à l’égard de l’Union soviétique était la bonne.


La prolifération n’a pas eu lieu parce que l’Ukraine, le Belarus et le Kazakhstan ont transféré les armes nucléaires à la Russie comme l’exigeaient les États-Unis. Mais il est ridicule de dire que l’Ukraine est aujourd’hui une démocratie. Ce n’est pas le cas. Elle est probablement moins démocratique que la Russie. Et comme je l’ai déjà souligné, le gouvernement actuel est le résultat d’un coup d’État en 2014. Dès sa création en tant qu’État indépendant en décembre 1991, l’Ukraine a été profondément divisée sur le plan politique.
Je me suis rendu à Kiev, en 1993 ou 1994, avec un groupe de personnes qui avaient travaillé au sein de notre Conseil de sécurité nationale. Nous avions conclu un accord avec le gouvernement ukrainien pour venir leur décrire la manière dont nous fonctionnions au sein du Conseil de sécurité nationale à Washington. Lorsque nous avons terminé notre présentation, un haut fonctionnaire ukrainien a fait le commentaire suivant : “Vous parlez de relations extérieures, mais notre problème est interne”. Ils nous ont ensuite montré des cartes indiquant où s’était déroulé le vote, avec un côté commençant avec 85, 90 % pour un parti à l’Ouest et ensuite à l’Est 85 ou 90 % pour l’autre parti. En fait, ces élections ont été partagées presque à 50-50. Au cours des années suivantes, il est arrivé qu’un parti obtienne 50,1 %, parfois l’autre, mais c’était toujours très serré.
Ce qui rendait la situation particulièrement dangereuse, c’était la constitution ukrainienne qui prévoyait que le Président nomme ce que nous appellerions les gouverneurs d’État, les chefs de province. Il n’y avait pas d’élection au niveau provincial, comme c’est le cas aux États-Unis. Évidemment, cela ne fonctionnerait pas si le pays est très divisé, mais c’est ainsi que le problème a commencé et qu’il s’est aggravé de plus en plus. En 2014, la violence a commencé dans l’Ouest, principalement par ces groupes néo-nazis qui ont commencé à prendre le contrôle des bureaux des gouverneurs provinciaux.
C’est pourquoi l’une des exigences des accords de Minsk était que l’Ukraine adopte une constitution fédérale qui permettrait à ces entités russophones d’élire leurs propres dirigeants, de la même manière que les citoyens des États américains élisent leurs gouverneurs. Si nous, Américains, avions eu le même type de système que l’Ukraine, nous nous serions séparés depuis longtemps. Il faut un système fédéral comme celui de la Suisse, par exemple, ou de la Belgique, ou encore de la Finlande, où la minorité suédoise jouit de tous les droits culturels. Mais c’est une chose que le gouvernement ukrainien actuel, ceux qui le contrôlent, n’a jamais concédée et, comme je l’ai dit, c’était l’une des exigences de l’accord de Minsk. Je ne sais pas pourquoi l’Allemagne et la France n’ont pas insisté pour que les Ukrainiens s’y conforment s’ils voulaient recevoir davantage d’aide. Les États-Unis auraient dû le faire aussi. Nous avons approuvé l’accord, bien que nous n’en soyons pas signataires.
La tragédie actuelle est que la situation est mauvaise pour tout le monde. Il est évident que les personnes qui souffrent le plus sont les Ukrainiens et nous savons également que quelques semaines après l’invasion russe, ils ont été très proches d’un accord mais ont été découragés par Boris Johnson. Ils ont également été découragés, j’en suis sûr, par les États-Unis.


Vous avez été un proche conseiller du président Reagan, que la plupart des gens considèrent comme une personnalité particulièrement dure à l’égard de l’Union soviétique et de la Russie. Il a qualifié l’Union soviétique d'”Empire du mal”. Selon le récit historique, c’est lui qui a gagné la guerre froide pour nous. Il a essentiellement dépensé plus que l’Union soviétique parce qu’il cherchait à la faire disparaître. En fait, son nom est régulièrement cité par les « faucons américains », comme quelqu’un qui serait aujourd’hui dur avec le président Poutine et que M. Reagan « se retournerait dans sa tombe » s’il était témoin de l’opposition de certains républicains à une aide militaire accrue à l’Ukraine, comme l’a récemment déclaré le président polonais Donald Tusk. Le Reagan que vous décrivez dans vos livres, en revanche, était loin d’être le faucon que beaucoup d’entre nous lisent. Que représentait le Reagan que vous avez connu en ce qui concerne la Russie et le rôle de l’Amérique dans le monde ?

Il s’agissait alors de l’Union soviétique et non de la Russie en tant qu’entité. Le président Reagan connaissait la différence entre l’Union soviétique et la Russie. Il ne voyait aucun conflit d’intérêt entre nous et la Russie. Son problème était le communisme et les tentatives soviétiques d’imposer le communisme aux autres. Oui, il a qualifié l’URSS d'”empire du mal”, mais en 1988, lorsqu’il s’est rendu sur place, il a dit que c’était du passé, que ce n’était plus vrai, et il a reconnu à Gorbatchev le mérite d’avoir changé les choses. Alors oui, il était un opposant au communisme et à l’expansionnisme soviétique. Mais il était parfaitement conscient des pertes russes pendant la Seconde Guerre mondiale et de leur contribution à la victoire sur l’Allemagne.
Un autre élément qui différencie l’approche de Reagan de celle de nos présidents plus récents est que, bien qu’il ait critiqué le communisme, il n’a jamais insulté publiquement un dirigeant soviétique par son nom. Lorsqu’il a rencontré Gromyko, le ministre soviétique des affaires étrangères, il lui a serré la main en disant : “Nous tenons la paix du monde entre nos mains. Nous devons agir de manière responsable. Il s’est efforcé de comprendre Gorbatchev et d’instaurer un climat de confiance avec lui.

Reagan n’était pas un intellectuel ayant une grande connaissance de l’histoire, mais il était désireux d’apprendre. Il savait comment traiter avec les autres. La dernière chose qu’il ferait serait d’insulter publiquement un dirigeant soviétique. Comme je l’ai dit, il comprenait que la Russie avait beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, plus que les États-Unis, et que les Russes devaient être respectés pour cela. En fait, dans les lettres aux dirigeants soviétiques que je rédigeais pour lui, il ajoutait toujours, de sa propre main, un mot sur le grand respect qu’il avait pour leur performance pendant la guerre et leurs énormes pertes.
Plus tard, lorsque nos dirigeants occidentaux ont refusé d’inviter le président Poutine aux célébrations de la Seconde Guerre mondiale, comme l’anniversaire du débarquement en Normandie, et qu’ils ont commencé à le diaboliser, principalement pour les choses qu’il a faites chez lui, et non pour ce qu’il nous a fait, c’est tout le contraire de ce que Reagan aurait fait ou de ce qu’il a fait.
Au fond, Reagan était un homme de paix et un homme qui savait négocier, qui ne partait pas tant d’idées abstraites que de faits concrets. Comme il le disait parfois, ils ont un système minable, ces communistes, mais si c’est ce qu’ils veulent, c’est leur affaire. Il pensait que les États-Unis devaient être une ville brillante sur la colline, un exemple pour le monde, et non un pays qui se mêlerait de la politique des autres. L’approche de négociation qu’il a approuvée était presque à l’opposé de ce que nous avons fait depuis. Il a essayé de comprendre le point de vue de Gorbatchev, ce dont il avait besoin, et nous avons présenté tous nos objectifs, non pas comme des demandes de faire quelque chose que nous voulions qu’ils fassent, mais comme des suggestions de coopérer pour atteindre un objectif commun. Nous n’avons pas dit “vous devez assainir votre situation en matière de droits de l’homme”. Nous avons dit : “Coopérons pour améliorer le respect des droits de l’homme”. Lors de sa première rencontre avec le secrétaire d’État George Shultz, Chevardnadze a demandé : “Pouvons-nous parler du statut des femmes et des Noirs aux États-Unis ?” Shultz a répondu : “Absolument, je pense que nous faisons des progrès, mais nous avons encore du chemin à parcourir, et nous avons besoin de toute l’aide possible”. Tout ce que nous avons demandé était réciproque. Nous avons coopéré pour mettre fin à la plupart de nos affrontements dans d’autres points chauds.
Depuis lors, nous avons fait preuve de triomphalisme et nous avons d’abord considéré la Russie comme un adversaire vaincu, puis comme un ennemi alors qu’elle n’avait rien fait pour nous menacer. Et je dois dire que la ligne de démarcation entre la Russie et l’Ukraine n’a jamais été une question vitale pour les États-Unis ou tout autre membre de l’OTAN. Ce n’est pas notre affaire. Les combats actuels présentent tous les éléments émotionnels d’une guerre civile. L’Ukraine et la Russie ont une histoire profondément liée et il n’y aura pas de paix entre eux à moins qu’ils ne parviennent à un accord accepté par les deux parties.


De nombreux analystes de l’OTAN estiment que d’ici quelques années, la Russie sera capable d’envahir le territoire de l’OTAN et qu’il est probable qu’elle le fasse. Simple folie ?

Je ne pense pas qu’ils en aient la capacité ni le désir. En fait, je ne pense pas qu’ils aient envie de contrôler les Ukrainiens de l’Ouest de l’Ukraine. Je doute qu’ils veuillent prendre Kiev, par exemple. Maintenant, s’ils continuent d’avancer, ils pourraient prendre Kharkiv et Odessa. Et si nous continuons à leur fournir des armes et que certaines d’entre elles sont utilisées pour frapper le territoire de la Russie proprement dite, je ne sais pas. Ils se sont réservés le droit d’utiliser des armes nucléaires si nécessaire et j’espère qu’ils ne le jugeront jamais nécessaire.
Mais je voudrais également souligner qu’il semble y avoir aux États-Unis, ainsi que parmi certains éléments en Allemagne et au Royaume-Uni, l’idée que tout ce qui est russe est inférieur. Il est vrai que la Russie a parfois, au cours de son histoire, été en retard sur certains aspects de la technologie, tout en étant à l’avant-garde sur d’autres. Elle a été la première à aller dans l’espace. À certaines époques, nous ne pouvions pas nous rendre à la station spatiale sans utiliser des fusées russes. L’idée qu’elle dispose d’une technologie totalement inférieure et que nous pouvons l’affaiblir en lui coupant les vivres oublie que c’est un pays qui dispose d’énormes ressources, tant humaines que physiques, et que dans un certain nombre de domaines où nous avons exercé une pression, elle nous a devancés.
Malgré les sanctions. 
Je pense que la politique des sanctions économiques a été galvaudée. Je ne me souviens pas d’une époque où les sanctions économiques ont entraîné des changements politiques liés à la sécurité. Nous avons développé une énorme bureaucratie pour sanctionner non seulement des personnes qui sont des ennemis, mais aussi des sanctions pour des choses qu’elles font chez elles et qui devraient les concerner, et aussi, accessoirement, pour sanctionner d’autres pays qui ne sont pas sous notre juridiction. Je pense qu’il s’agit là d’un mauvais usage de la position que nous occupons, et que cela va la miner. Et le fait que nous fassions cela, en fait de plus en plus sur des fonds empruntés, n’est pas soutenable indéfiniment. Je me demande combien d’Européens, en particulier d’Allemands, y prêtent attention.


À 94 ans, vous continuez à vous exprimer sur l’actualité. En février, vous avez écrit dans un essai que le vice-ministre soviétique des affaires étrangères, Ivan Aboimov, vous avait dit en décembre 1989 : “Nous vous avons remis la doctrine Brejnev avec nos compliments. Considérez-la comme un cadeau de Noël ». Que voulait-il dire par là ? L’Occident poursuit-il aujourd’hui une sorte de doctrine Brejnev ?


Je pense que c’est le cas. Notre politique actuelle s’appelle “l’ordre international fondé sur des règles”. Bien sûr, nous violons ces termes lorsque nous le souhaitons. Dans de nombreux cas, il semble que nous fonctionnions sur les mêmes principes que ceux qui ont conduit à la Première et à la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire que nous nous battons pour savoir qui contrôle quel territoire. Si nous n’avons pas appris, au cours de la première moitié du XXe siècle, que tout le monde est perdant, je pense que nous ignorons l’histoire qui aurait dû nous enseigner des leçons essentielles.
Selon Marx et Lénine, il devait y avoir une révolution prolétarienne mondiale qui éliminerait la classe bourgeoise, la classe dirigeante, comme ils le disaient, et créerait le socialisme qui évoluerait vers le communisme. Selon la doctrine Brejnev, si un pays a atteint le socialisme, il est du devoir des autres pays socialistes de le protéger en cas d’opposition. C’est dans cette logique que l’Union soviétique a envahi la Hongrie lorsqu’elle s’est révoltée en 1956, puis la Tchécoslovaquie lorsque le Printemps de Prague a commencé à la démocratiser. C’était la doctrine Brejnev.
Ce que nous disons maintenant, c’est que nous devons protéger et défendre la démocratie à l’étranger et la créer pour d’autres peuples. N’est-ce pas la même chose que ce que Brejnev disait à propos du socialisme ? Peu importe que le socialisme qu’ils ont eu n’ait pas été celui que Marx avait prédit. L’idée était qu’il était dans l’intérêt de chacun de changer la forme de gouvernement des autres pays et que s’ils adoptaient votre forme de gouvernement, ils deviendraient des amis. Bien entendu, toute notre expérience historique réfute cette idée, même dans le cas de l’Union soviétique. Tout d’abord, la Yougoslavie et l’Albanie se sont libérées du contrôle soviétique, puis la grande scission avec la Chine. Plus tard, nous avons craint qu’en cas de victoire des communistes vietnamiens, Moscou ne contrôle pratiquement toute l’Eurasie. En réalité, la même forme de gouvernement ne fait pas nécessairement des pays des amis.
Lorsque nous pensons que nous pouvons créer la démocratie ailleurs ou même la faciliter en intervenant directement dans leurs affaires, je pense que nous prenons les choses à l’envers. Nous devrions revenir à l’idée que le sénateur Fulbright a exprimée dans deux de ses livres : la seule façon de répandre la démocratie est de prouver qu’elle fonctionne chez soi. Et je dois dire que nous ne donnons pas un grand exemple ces jours-ci.
Les pays deviennent autoritaires parce qu’ils se sentent menacés et qu’ils ont besoin d’un dirigeant fort pour repousser ces menaces. C’est pourquoi de nombreux Russes, bien que mal à l’aise avec la guerre en Ukraine, la soutiennent encore. Ils la considèrent comme une défense contre l’OTAN et les États-Unis. Nous avons déclaré que nous essayions d’affaiblir la Russie. Nous avons imposé des sanctions qui ne sont normalement autorisées que pendant une guerre déclarée. Nous nous trouvons donc dans une situation où un plus grand pourcentage de Russes approuvent la politique de Poutine que le pourcentage d’Américains qui approuvent Biden ou Trump. Tous deux se situent aux alentours de 40 %, voire moins. Qui est le plus démocratique ?


Ma dernière question peut sembler étrange. Si quelqu’un d’autre avait dit ce que vous venez de dire, les critiques qui lisent cette interview, les Anne Applebaum (NDLR : éditorialiste et membre de la rédaction du Washington Post) du monde entier, diraient : “Eh bien, Jack Matlock est un larbin du Kremlin. C’est une marionnette de Poutine. Il diffuse des informations erronées”. Ils diront même cela à votre sujet. Que se passe-t-il dans votre tête lorsque vous voyez ce type de rhétorique, où l’opposition nationale à la politique étrangère des États-Unis est considérée essentiellement comme de la haute trahison ?

Je pense que c’est absolument ridicule. Tout d’abord, ces critiques ne citent jamais rien de ce que j’ai dit qui soit de la propagande du Kremlin. Je ne voulais pas que ces conflits se produisent et c’est pourquoi j’ai mis en garde contre l’expansion de l’OTAN. La guerre en Ukraine était prévisible pour les raisons que j’ai données. Le type d’actions entreprises par “l’Occident” allait entraîner une réaction, et je pense que c’est une tragédie. C’est une tragédie ce qui est arrivé à la Russie, ce qui arrive à l’Ukraine. Et bien sûr, je suis d’accord pour dire que l’invasion de Poutine était un crime. Je suis également tout à fait conscient que mes présidents ont commis des crimes, et je pense que dans certains cas, la provocation était moindre. L’Irak ne représentait pas une menace pour les États-Unis. Une Ukraine dotée de bases de l’OTAN serait une menace pour la Russie. Ne nous voilons pas la face. Pourquoi les gens ne comprennent-ils pas cela ? Je ne défends certainement pas Poutine, mais je ne défends pas non plus mon propre président lorsqu’il envoie des bombes à Israël pour déclencher une guerre génocidaire. Ce n’est donc pas de la propagande. Je parle en connaissance de cause, pour avoir vécu différentes périodes, en essayant d’en tirer des leçons, et pour avoir contribué à concevoir un ensemble de politiques qui ont mis fin à la très dangereuse guerre froide, des politiques qui ont été inversées depuis et qui nous amènent à une nouvelle crise.
L’interview a été menée par Gregor Baszak, un écrivain et universitaire basé à Chicago. Ses écrits ont été publiés dans The American Conservative, The Bellows, Cicero, Sublation, UnHerd et ailleurs. Vous pouvez suivre Gregor sur X @gregorbas1.


Source : Antiwar

Traduction : Daniel G

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