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Littérature et racisme, le cas Saul Bellow

"Le capitalisme, le colonialisme et le racisme sont intrinsèquement liés"  écrit Franklin  Frederick. Analysant l’œuvre  de Saul Bellow, Nobel de littérature en 1976, il montre ainsi "l'importance des récits culturels réactionnaires qui imprègnent insidieusement la culture occidentale".

Dans une interview accordée au New York Times en 1987, Saul Bellow, lauréat du prix Nobel de littérature en 1976, a posé la question suivante :
« Qui est le Tolstoï des Zoulous, le Proust des Papous ? J’aimerais les lire. »

Cette question n’a aucun sens, mais elle révèle la croyance de Bellow en la supériorité de la culture occidentale. L’art des Zoulous et des Papous, comme celui de tout autre peuple, se développe dans le contexte de leurs histoires et de leurs cultures respectives. Les romans de Tolstoï et de Proust sont des produits de la culture européenne à une certaine période de son histoire. Pour Saul Bellow, la culture des Zoulous et des Papous n’était pas seulement différente de la culture occidentale, mais inférieure. C’est la croyance fondamentale de la suprématie blanche.

Dans son roman La planète de Monsieur Sammler, publié aux États-Unis en 1970, Bellow avait déjà révélé tout son racisme et son alliance avec le projet politique de la suprématie blanche. Connaître cette œuvre et le contexte dans lequel elle a été produite peut nous aider à mieux comprendre notre propre époque.

Les années 1960 aux États-Unis

Au 20e siècle, les années 1960 ont été une période d’intenses changements sociaux dans tout l’Occident. Ce sont les années de la lutte pour la libération sexuelle, des protestations croissantes contre la guerre du Vietnam, des mouvements anticoloniaux et de la remise en cause du patriarcat et des hiérarchies qu’il impose. Aux États-Unis, ce sont surtout les années de mobilisation intense dans la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains, le plus grand défi à la suprématie blanche.
La classe dirigeante a paniqué. La Commission trilatérale, une organisation mondiale réunissant des dirigeants politiques et des chefs d’entreprise fondée par David Rockefeller en 1973, a publié un célèbre rapport avertissant que la vague d’insubordination de la société civile devait être contenue. Comme l’écrit Chomsky (1) :
« Ce qui a particulièrement alarmé les chercheurs de la Trilatérale, c’est “l’excès de démocratie” pendant la période de troubles, les années 60, lorsque des parties de la population normalement passives et apathiques sont entrées dans l’arène politique pour faire valoir leurs préoccupations : les minorités, les femmes, les jeunes, les vieux, les travailleurs… ».

La classe dirigeante a estimé qu’il était nécessaire de mettre un terme aux “excès de la démocratie” de cette période et, avant même la fin de la décennie, a commencé à organiser la réaction : une véritable guerre culturelle contre l’activisme des années 60.


Dans une analyse intéressante du film Dirty Harry – projeté en France sous le titre L’Inspecteur Harry – du réalisateur Don Siegel, sorti en 1971 aux États-Unis, Quentin Tarantino a écrit dans son livre Cinema Speculation :
“Et il suffit de regarder les voleurs dans Dirty Harry pour comprendre qu’ils ont puisé leur garde-robe dans la section Black Panther du département des costumes de la Warner Bros. Pour de nombreux Américains blancs d’un certain âge, les militants noirs en colère les effrayaient plus que la “famille” Manson, le tueur du Zodiaque et l’étrangleur de Boston réunis. Les hippies les dégoûtaient. Parce que les hippies étaient leurs enfants et qu’ils étaient dégoûtés par leurs enfants. Les hippies qui brûlaient le drapeau américain pour protester contre la guerre du Viêt Nam les rendaient livides de colère. Mais les militants noirs leur faisaient peur. La colère, la rhétorique, le programme, l’uniforme, le fait de poser pour des photos avec des armes automatiques, leur haine de la police, le rejet de l’Amérique blanche”.


Dirty Harry a été l’un des premiers films de la réaction culturelle et Saul Bellow était l’un de ces hommes blancs âgés décrits par Tarantino, effrayés par le militantisme des Afro-Américains, en particulier des Black Panthers. Pour Bellow et la classe dirigeante américaine, il était clair que la remise en cause de la suprématie blanche mettait en péril l’ordre établi et l’ensemble du système de domination capitaliste à l’intérieur et à l’extérieur des États-Unis. Son livre La Planète de Monsieur Sammler est une déclaration de guerre contre le mouvement des droits civiques des Afro-Américains.


La Planète de Monsieur Sammler et le racisme respectable

Saul Bellow a commencé à écrire La planète de Monsieur Sammler en 1966, l’année où Huey P. Newton et Bobby Seale ont fondé le Black Panther Party à Oakland, en Californie. Le livre a été publié en 1970, l’année où l’écrivain français Jean Genet est venu pour la première fois aux États-Unis pour donner son soutien aux luttes des Black Panthers.


Dans ce livre, le personnage de M. Sammler est un survivant juif de l’Holocauste qui incarne les valeurs humanistes de la culture européenne. Le roman se déroule à la fin des années 1960 à New York et son épisode central est la rencontre de M. Sammler avec un pickpocket afro-américain dans un bus. Saul Bellow décrit le pickpocket comme suit :
“Le pickpocket lui-même portait des lunettes noires. C’était un nègre puissant, vêtu d’un manteau en poils de chameau, habillé avec une élégance extraordinaire (…). Les cercles parfaits des lunettes du nègre, d’un violet gentiane bordée d’un bel or, étaient tournés vers Sammler, mais le visage montrait l’effronterie d’un gros animal.”
Et aussi :
“(…) ce pickpocket frappant et arrogant, ce prince africain ou cette grande bête noire.”
La “gros animal” et la “grande bête noire” ne sont que deux exemples du langage raciste utilisé par Bellow.
À propos d’un autre personnage du roman, Angela, M. Sammler fait la réflexion suivante :
“Angela envoyait de l’argent aux fonds de défense des meurtriers et violeurs noirs. C’était son affaire, bien sûr”.
Bellow prend soin d’indiquer que les fonds de défense étaient pour les  « meurtriers et les violeurs noirs ». Apparemment, il n’y avait pas de meurtriers ou de violeurs blancs.
Ce commentaire a une implication qui peut passer inaperçue aujourd’hui mais qui était très claire pour les lecteurs de l’époque : à partir de 1955, lorsque Rosa Parks a refusé de céder sa place à un Blanc dans un bus, et tout au long des années 1960, divers fonds ont été créés pour la défense juridique des militants afro-américains du Sud des États-Unis engagés dans la lutte contre la ségrégation raciale. Ces militants étaient souvent arrêtés et les fonds de défense permettaient de payer les avocats et la caution nécessaire pour les faire sortir de prison.
Ce sont ces luttes contre la ségrégation raciale dans les bus – les Afro-Américains devaient s’asseoir à l’arrière – qui ont fait connaitre un jeune connu pour son engagement à la fin des années 1950, Martin Luther King Jr. Le boycott de la ségrégation dans les bus fut le début de la mobilisation croissante du mouvement des droits civiques pour les Afro-Américains.


Dans La Planète de Monsieur Sammler, Saul Bellow transforme ce symbole de la lutte pour les droits civiques, le bus, en centre de l’action d’un voleur afro-américain, une “grande bête noire”, pour dire que l’intégration raciale dans les bus n’a conduit qu’à ce que de bons citoyens blancs soient volés en toute impunité par de “grandes bêtes noires”. L’argent collecté pour les fonds de défense qui sont si importants pour le mouvement des droits civiques, d’autre part, est transformé par Bellow en fonds pour la défense des “meurtriers et violeurs noirs”.
L’attaque de Saul Bellow contre la communauté afro-américaine dans son roman se poursuit dans un autre passage du livre, où il écrit :
“Sammler avait apparemment accepté de donner cette conférence dans le cadre d’un projet étudiant visant à aider les élèves noirs en retard avec problèmes de lecture. “
Une fois de plus, Bellow tient à nous informer qu’il s’agit « d’étudiants noirs arriérés » ayant des « problèmes de lecture ». Ils auraient pu être simplement des élèves arriérés ayant des problèmes de lecture – mais Bellow indique qu’il s’agit « d’élèves noirs », apparemment parce que des élèves blancs arriérés ayant des problèmes de lecture sont une impossibilité dans le monde mental de la suprématie blanche.
L’attaque raciste de Bellow s’étend également aux Latinos et aux peuples du Sud, comme dans ce passage :
“Bien sûr, le téléphone était cassé. La plupart des téléphones extérieurs étaient cassés, paralysés. C’était aussi des urinoirs. New York était pire que Naples ou Salonique. On aurait dit une ville asiatique, africaine, de ce point de vue.”

Le livre de Bellow contient également un dialogue entre d’autres personnages qui, je crois, revêt d’une importance fondamentale en raison de ce qu’il révèle de la mentalité de la suprématie blanche :
“Bien sûr, a dit Wallace, les Noirs parlent une autre langue. Un gamin a plaidé pour sa vie…”
“Quel gamin ?”
“Dans les journaux. Un gamin qui était entouré d’une bande de Noirs de quatorze ans. Il les a suppliés de ne pas tirer, mais ils n’ont pas compris ses mots. Littéralement pas la même langue. Pas les mêmes sentiments. Pas de compréhension. Pas de concepts communs. Hors de portée”.
(…)
“L’enfant est mort ?”
“L’enfant ? Après quelques jours, il est mort de ses blessures. Mais les garçons ne savaient même pas ce qu’il disait.”
Ce que Bellow tente de faire ici, c’est d’inverser l’histoire des Afro-Américains aux États-Unis et de nier toutes les violences qu’ils ont subies. Le fait que les Africains aient été réduits en esclavage et amenés de force en Amérique par les Blancs ne semble pas faire partie de l’histoire telle que Bellow la conçoit dans ce passage. Et toute la violence, l’oppression et les injustices subies par la communauté afro-américaine dans le pays même où Bellow a vécu ne semblent pas faire partie de sa conscience. Il est important de rappeler ici certains des événements qui ont eu lieu pendant la vie adulte de Bellow aux États-Unis et qu’il ignore. Comme dans le passage cité ci-dessus, Bellow crée une scène de violence de la part de jeunes Afro-Américains, une comparaison avec quelques exemples réels de violence suprématiste blanche contre de jeunes Afro-Américains peut être éclairante.
En septembre 1963 – Saul Bellow avait alors 48 ans – une bombe a été placée dans une église fréquentée par des Afro-Américains dans la ville de Birmingham, dans le sud des États-Unis. L’explosion tue Denise McNair, 11 ans, et Cynthia Wesley, Carole Robertson et Addie Mac Collins, 14 ans.


Ce meurtre a indigné la communauté de Birmingham. Le journaliste Karl Fleming, dans un article publié à l’époque (2), rapporte ce qui suit :
« Lorsque la nouvelle de l’attentat s’est répandue, des bagarres entre Noirs et Blancs ont éclaté au coin des rues. (…) Dans le quartier nord-ouest de la ville, James Ware, un Noir de 16 ans, rentrait chez lui à bicyclette avec son frère Virgil, 13 ans, au guidon. Sur Docena Road, une moto rouge, décorée d’autocollants confédérés et transportant deux jeunes blancs, s’est approchée d’eux. Le garçon qui roulait à deux a sorti un pistolet et a tiré deux fois. Virgil bascule du guidon. “Jim, on m’a tiré dessus”, s’écrie-t-il à terre. “Non, tu n’es pas touché. Tu n’es pas touché. Lève-toi, Virg”, dit James. Virgil, touché par des balles de calibre 22 à la tête et à la poitrine, est mort. Le lendemain, deux jeunes Blancs de 16 ans, Michael Lee Farley et Larry Joe Sims, sont passés aux aveux. Farley conduisait la moto. Slims a tiré les coups de feu. Plus tôt dans la journée, ils étaient allés à l’école du dimanche. L’après-midi, ils avaient assisté à un rassemblement ségrégationniste sur une piste de karting dans la ville voisine de Midfield. Tous deux étaient Eagle Scouts et les voisins les considéraient comme des jeunes “modèles” de Birmingham. Ils ne connaissaient pas Virgil Ware. Pourquoi l’ont-ils tué ? “Ils n’ont donné aucune raison, a déclaré le bureau du shérif. »


La violence des suprémacistes blancs était monnaie courante aux États-Unis pendant toute la vie adulte de Saul Bellow. Plus de 50 attentats à la bombe ont été perpétrés contre des églises fréquentées par des Afro-Américains dans le sud des États-Unis au cours des années 1960, sans parler des nombreux meurtres et passages à tabac qui ont terrorisé la communauté afro-américaine. Cependant, Bellow rejette la faute sur les victimes de la violence des suprémacistes blancs, affirmant qu’elles “n’avaient pas les mêmes sentiments” que les Blancs. “Il n’y avait pas de compréhension. Il n’y avait pas de concepts communs” entre les Blancs et les Afro-Américains qui étaient “hors de portée” de la civilisation blanche et de ses vertus. Ce déni de la violence de la suprématie blanche et l’inversion de l’histoire sont fondamentaux pour la construction du récit raciste qui a déclenché la réaction contre l’héritage des luttes et des réalisations des années 1960 et qui a des conséquences brutales aujourd’hui avec le meurtre du peuple palestinien.
La Planète de Monsieur Sammler, acclamée par la critique lors de sa publication et récompensée par le National Book Award en 1971, révèle à quel point le racisme est encore profondément enraciné dans la culture occidentale. Il s’agit d’un racisme respectable, déguisé en humanisme, enveloppé dans l’aura de la haute culture européenne représentée par M. Sammler.

Les récits culturels de la suprématie blanche

L’élite suprématiste blanche des États-Unis a certainement compris l’importance de la contribution de Saul Bellow à la construction de récits culturels essentiels à la légitimation de son pouvoir et au maintien de l’ordre établi.
À la fin d’une violente décennie de lutte pour les droits civiques, au cours de laquelle Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King Jr, les plus connus parmi tant d’autres, ont été brutalement assassinés pour avoir défié la suprématie blanche, la publication d’une œuvre littéraire dans laquelle le seul personnage afro-américain est un voleur est une réussite que la suprématie blanche se doit de célébrer. Saul Bellow ne se contente pas d’ignorer complètement la lutte des Afro-Américains pour les droits civiques, il nie même toute importance à leur existence dans la société américaine. Les Afro-Américains sont présentés comme des problèmes – des enfants insensibles qui ont du mal à apprendre, des violeurs, des meurtriers et des voleurs – qui ne font que perturber le bon ordre de la société. Il s’agit d’un récit culturel important entretenu par la suprématie blanche, mais ce n’est pas le seul récit culturel réactionnaire de cette œuvre.


Dans ce passage de La Planète de Monsieur Sammler, Bellow introduit subtilement un autre renversement historique d’une importance considérable pour la construction de récits culturels réactionnaires :
“Il y a eu Napoléon, un gangster qui a bien arrosé l’Europe de sang. Il y a eu Staline, pour qui le vrai grand prix du pouvoir était la jouissance sans entrave du meurtre”.


Il est curieux que Hitler ne soit pas mentionné dans cette phrase. La Planète de Monsieur Sammler a été écrit en pleine guerre froide. À la fin des années 1960, les nazis n’étaient plus un problème pour les élites dirigeantes. Au contraire, des industriels allemands soutenant les nazis et d’autres fascistes en France et en Italie avaient participé sans problème à la reconstruction du capitalisme en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Et de nombreux nazis ont été recrutés par la CIA pour aider à combattre les nouveaux ennemis, Staline et l’URSS.
Saul Bellow était juif et dans son roman sur un survivant juif de l’Holocauste, il ne dit rien du rôle fondamental de Staline et de l’URSS dans la défaite de l’Allemagne nazie, ne mentionnant Staline que comme un criminel. Il s’agit là d’une autre inversion historique de la plus haute importance pour la construction de récits culturels réactionnaires.
Il est éclairant de comparer le silence de Saul Bellow sur l’URSS et sa condamnation de Staline avec ce que le politologue juif américain Norman Finkelstein a déclaré dans une interview en 2018 (3) :
“Mes parents ont vécu l’holocauste nazi. Leurs familles entières, des deux côtés, ont été exterminées pendant la guerre. Mes deux parents étaient dans le ghetto de Varsovie jusqu’à ce que le soulèvement soit réprimé en avril 1943. Ils ont ensuite été déportés au camp de concentration de Majdanek. Mon père a fini à Auschwitz et a participé à la Marche de la mort d’Auschwitz. Ma mère a séjourné dans deux camps de travail forcé. Après la guerre, ils ont séjourné dans un camp de personnes déplacées en Autriche et sont arrivés aux États-Unis en 1948 ou 49′. Tous deux étaient de fervents partisans de l’Union soviétique, mais pas parce qu’ils étaient communistes ni même parce qu’ils étaient engagés politiquement – ils ne l’étaient pas. Ils soutenaient l’Union soviétique parce que l’Union soviétique avait vaincu les nazis et qu’ils voyaient le monde entier à travers le prisme de l’holocauste nazi. Ils avaient donc un réel sentiment de dette envers l’Union soviétique et l’Armée rouge, envers Staline – en particulier envers Staline – et je suppose qu’on pourrait les appeler les derniers staliniens jusqu’à leur mort en 1995. En leur présence, il était interdit de prononcer ne serait-ce qu’un seul mot critique à l’égard de Staline. »
Le contraste entre la réalité historique décrite par Norman Finkelstein et l’inversion de l’histoire par Saul Bellow est évident. Mais l’inversion historique de Bellow est une contribution importante à la légitimation du récit culturel réactionnaire qui cherche à effacer de l’histoire le rôle de l’URSS et de Staline dans la défaite du nazisme.
En 1984, le livre From Time Immemorial : The Origins of the Arab-Jewish Conflict over Palestine, de Joan Peters, a été publié aux États-Unis. La thèse centrale de ce livre est que beaucoup de ceux qui se considèrent comme faisant partie du peuple palestinien n’étaient en fait pas des Palestiniens, mais des immigrants de Syrie, d’Égypte et d’Arabie Saoudite.


Parmi ceux qui ont d’abord salué cette publication comme un jalon dans l’historiographie, on peut citer l’historienne Barbara W. Tuchman et Saul Bellow, qui a déclaré :
« Chaque question politique qui retient l’attention d’un public mondial a ses “experts” (…) Le grand mérite de ce livre est de démontrer que, sur la question palestinienne, ces experts s’expriment dans l’ignorance la plus totale. Des millions de personnes dans le monde, étouffées par l’histoire et la propagande mensongères, seront reconnaissantes de ce récit clair des origines des Palestiniens. From Time Immemorial n’enlève pas ses droits à ce peuple malheureux. Il dissout cependant les affirmations des agitateurs nationalistes et corrige la fausse histoire par laquelle ces malheureux Arabes sont imposés et exploités”.
Edward Said, dans un article de 1985 sur ce livre, a déclaré (4) :
“L’impression générale était que Joan Peters avait enfin fait tout le travail nécessaire pour régler l’un des problèmes les plus contrariants et les plus persistants du vingtième siècle. Plus aucun universitaire ou propagandiste ne pouvait soutenir que “les Palestiniens” (Peters a autorisé tout le monde à placer la désignation d’un peuple entre les guillemets du soupçon) étaient en fait un vrai peuple avec une vraie histoire en “Palestine”. Son livre affirme que leur existence nationale et réelle, et par conséquent leurs revendications à l’égard d’Israël, sont au mieux suspectes et au pire totalement inventées. En d’autres termes, From Time Immemorial décharge Israël et ses partisans de toute responsabilité à l’égard des réfugiés créés par l’établissement de l’État juif en 1948, et à l’égard du peuple sujet de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. »
Un étudiant de l’Université de Princeton de l’époque, Norman Finkelstein, a analysé les statistiques et autres éléments sur lesquels Joan Peters a fondé sa thèse. Edward Said, dans le même article cité plus haut, a commenté le travail de Finkelstein :
“Finkelstein a démontré que le travail de Peters était ce qu’il a appelé un « canular» : ses preuves n’étaient pas solides de toutes sortes de façons ; ses statistiques démographiques étaient incohérentes, mathématiquement impossibles, sauvagement exagérées ; et, plus important encore, dans tous les cas qu’il a pu vérifier, elle a soit plagié des sources de propagande sioniste, soit délibérément altéré des citations de manière à en changer complètement le sens”.

Noam Chomsky a également soutenu le travail de démystification de Finkelstein et aujourd’hui Joan Peters et son livre sont complètement discrédités et oubliés.
Ce que Joan Peters a tenté de faire avec le peuple palestinien – effacer son histoire et délégitimer sa lutte – est exactement ce que Saul Bellow a tenté de faire avec les Afro-Américains. Bellow a écrit que “les gens du monde entier, étouffés par la fausse histoire et la propagande” seraient éclairés par le travail de Peters, ce qui est ironique étant donné que lui-même a tellement falsifié l’histoire pour faire de la propagande en faveur du mythe de la suprématie blanche. Et la première étape de la falsification de l’histoire est précisément de dénoncer l’histoire vraie comme fausse.

Racisme, colonialisme et capitalisme


Le massacre actuel du peuple palestinien par l’État d’Israël, sous le silence complice de l’écrasante majorité des gouvernements occidentaux et de la presse grand public, expose avec une clarté crue la permanence du racisme en Occident. Les Palestiniens sont considérés comme des sous-hommes et leur mort n’a pas la même importance et ne suscite pas la même indignation que celle des “Blancs civilisés”. Les récits racistes tels que ceux créés par Saul Bellow jouent un rôle important dans ce processus de déshumanisation des peuples colonisés à la peau plus foncée du Sud.


Le capitalisme, le colonialisme et le racisme sont intrinsèquement liés. L’impérialisme utilise le racisme pour rationaliser et légitimer son projet de pouvoir et la suprématie blanche est l’expression politique du racisme.
L’importance des récits culturels réactionnaires qui imprègnent insidieusement la culture occidentale, comme dans le cas de Saul Bellow, ne doit pas être ignorée. Les dommages qu’ils causent sont énormes.
La croissance actuelle de l’extrême droite dépend fondamentalement de ces récits réactionnaires qui unissent Bolsonaro au Brésil à Milei en Argentine, Orban en Hongrie à Meloni en Italie et Trump aux États-Unis.
Dans les rues du monde entier, cependant, les protestations contre le massacre des Palestiniens s’amplifient de jour en jour. L’esprit des années 1960 revient hanter la suprématie blanche et remettre en question ses récits et son projet de pouvoir. Avec des couleurs et des genres différents, avec colère et indignation, mais aussi avec une certaine joie et beaucoup de créativité, au Sud comme au Nord de la planète, l’humanité réagit.
Franklin Frederick

  1. Noam Chomsky, “Who Rules the World?”
  2. Birmingham: “My God, You’re Not Even Safe in Church” , by Karl Fleming , published in Reporting Civil Rights, Library of America.
  3. https://www.counterpunch.org/2018/05/17/an-interview-with-norman-finkelstein-im-not-betraying-the-legacy-of-my-parents-in-order-to-make-myself-palatable/
  4. https://merip.org/1985/10/conspiracy-of-praise/

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