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Le Rassemblement National est-il au chevet des agriculteurs?

Le Rassemblement national (RN) séduit les agriculteurs mais que fait-il pour résoudre leurs problèmes structurels ? Les agriculteurs ont subi un effondrement démographique, passant de 45 à 2% de la population active entre 1980 et 2022. Les fermes familiales ont laissé place à de grandes exploitations intensives et mécanisées. Face à la dureté des conditions de vie et aux politiques de concurrence prônées par l'Union européenne, que propose le RN ? 

« Le parti d’extrême droite est au chevet des agriculteurs » écrivait France Info en janvier 2024. Mais que veut dire au chevet? Le RN soutient-il vraiment les agriculteurs?


Discours de façade et votes contradictoires

Dans un article sur le RN et les agriculteurs, France Info écrit : Bardella prône le « patriotisme économique » et s’insurge contre « l’inflation normative ». Comment ce soutien déclaré par le RN aux agriculteurs se concrétise-t-il ? Reporterre, comme de nombreux autres médias, pointe les incohérences entre discours généraux et votes dans les assemblées. « Le 23 novembre 2021, tous les députés RN ont soutenu la nouvelle politique agricole commune (PAC), main dans la main avec les macronistes et Les Républicains ». Jordan Bardella au Salon de l’Agriculture se justifiait ainsi: « la PAC, c’est mieux que rien : j’ai voté pour elle parce qu’elle va dans le bon sens » . Le 29 janvier 2024 le média de l’écologie précisait que le président du parti d’extrême droite assurait s’opposer aux accords de libre-échange alors que son seul collègue de la commission du commerce international (Inta), Thierry Mariani, s’était abstenu sur deux accords de l’UE avec le Chili et le Kenya.

A propos de l’artificialisation des sols, Mediapart pointait également une contradiction entre la communication et les positions politiques dans les parlements : « dans le flot des publications, un de ces nouveaux visuels réclame de « garantir la préservation des terres agricoles face à l’urbanisation excessive », sur fond de photo de champ. L’été dernier, le groupe RN de l’Assemblée nationale française a pourtant voté à l’unanimité l’assouplissement de la loi sur le zéro artificialisation nette (ZAN). Les ambitions de ce texte visait à ralentir drastiquement l’artificialisation des terres, ont alors été revues à la baisse ». Autre exemple, au parlement européen, les élus RN ont voté en faveur de l’autorisation de nouveaux OGM en Europe, allant à l’encontre des intérêts des agriculteurs biologiques et conventionnels.

Les différentes analyses sur le RN et le monde agricole montrent que le parti d’extrême droite, loin de s’affranchir de ses adversaires politiques, vote le plus souvent de la même manière que la droite européenne et les libéraux.

Une réalité agricole complexe

Emmanuel Aze, représentant syndical à la Confédération Paysanne, nous livre son regard sur le vote RN. Ce dernier est installé dans le Lot-et-Garonne, l’un des hauts lieux de la mobilisation agricole de janvier 2024. Il précise directement: « il y a une conflictualité dans le discours du RN, sur les accords de libre-échange »! Cet agriculteur spécialisé dans un fruit peu connu, l’asiminier, explique les positions des trois grands syndicats agricoles en France : la FNSEA, la Coordination Rurale et la Confédération Paysanne.

« Ils ont des postures et des stratégies très différentes face à l’effondrement programmé de la population agricole par le complexe agro-industriel. Les agriculteurs de la FNSEA se rangent du côté de leurs bourreaux. Du côté de la Coordination rurale (CR), ils cherchent la protection de la communauté paysanne, qui est en train de se recréer. » Les discours écologistes peuvent être vus comme des leçons de morale venus d’une classe bourgeoise et urbaine. « Ils voient dans le discours écolo dominant une répétition de ce qu’ils ont vécu dans les années 1950-1960 quand des banques et des techniciens leur sont tombés dessus » en leur imposant un nouveau modèle précise Emmanuel Aze. ” On leur demande maintenant de faire une bifurcation à 180 degrés, et on assiste à une répétition historique. Il leur est impossible d’exprimer cette analyse dans l’arène politique”.

Thématique absente des « débats » politiques, Emmanuel Aze pointe également la question du machinisme agricole version 4.0. “Le RN et la Coordination rurale se positionnent comme des conservateurs face à la menace du remplacement par des machines et de la robotisation ».
 Enfin, à propos de son syndicat, la Confédération Paysanne, il précise qu’elle se retrouve “dans une logique de niche avec l’agriculture biologique. Ce n’est pas un outil pour renverser le système actuel mais plutôt pour le compléter. S’il y a bien une agriculture qui survit, c’est celle de la Confédération Paysanne qui est la moins menacée, même si le budget alimentaire des ménages diminue ».

Dans une tribune publiée par Marianne, l’agriculteur expliquait comment les protestations des paysans et agriculteurs étaient utilisées par le pouvoir afin d’imposer de nouvelles mesures qui ne feront que réduire leur autonomie et par conséquent les affaiblir. Une stratégie de choc: « Du revenu agricole à la viande synthétique, en passant par les pesticides et les accords de libre-échange, l’ordre et la dynamique existants restent intacts, et le remplacement des agriculteurs par l’industrie poursuit son cours morbide » écrivait-il.

Il évoquait dans son argumentaire une brève histoire sociale des agriculteurs et des traumatismes répétés. «Il y a quelques années, le lobby français des pesticides a muté pour inclure des entreprises de robotique, de biotechnologie et de numérisation de l’agriculture, prêtes à recevoir des milliards du plan France 2030 pour une “révolution agroécologique” sans agriculteurs qui fait froid dans le dos. L’histoire se répète. Les voilà, dans la machinerie oligarchique du complexe agro-industriel, leurs vrais ennemis. Prêts à exploiter l’errance identitaire de ces paysans et à achever leur remplacement. »


Positionnements avant les élections

Prenant position sur l’échéance électorale du 30 juin suite à la dissolution décidée par Emmanuel Macron, la Confédération paysanne a affirmé ses principes et perspectives:

« La Confédération paysanne et la Fadear – Réseau de l’Agriculture paysanne portent le projet d’agriculture paysanne, un projet agricole et de société, basé sur la solidarité, l’ouverture à l’autre et le partage des communs. Nous portons des propositions visant à améliorer le revenu paysan, à accompagner la transition agro-environnementale, à protéger le foncier agricole de tous les phénomènes d’accaparement, à garder nos campagnes vivantes notamment grâce à la présence de services publics. Pour y parvenir, il est indispensable de rompre avec le modèle ultralibéral car ce modèle détruit les paysan·nes, les travailleur·euses et le vivant, creusant inégalités et brisant l’espoir en milieu rural comme urbain. Ce modèle est responsable de la montée du populisme et des idées de l’extrême droite. »

La Conf paysanne en profite pour lister une série de propositions. Premièrement la régulation des marchés agricoles à travers l’établissement de prix rémunérateurs garantis, la sortie des accords de libre-échange et de l’OMC, l’interdiction de la spéculation alimentaire…


L’Atelier Paysan, une coopérative qui construit elle-même son matériel agricole, prend également position : «en milieu rural, le “malaise social” sur lequel capitalise le RN a puisé dans le vivier inépuisable de l’élimination économique des paysans. On a vu se développer la crise alimentaire, un Français sur deux sautant désormais des repas pour des raisons économiques, à la campagne comme dans les quartiers populaires.»

Au sein de ce collectif, on cherche à comprendre le vote RN de leurs collègues agriculteurs, ils ajoutent :« cette mise sous pression permanente, couplée à une politique intentionnelle de dégradation des services publics pour mieux privatiser, a offert un terreau fertile à l’extrême-droite : quelques jours avant le scrutin des européennes, une étude montrait que 32,5 % des agriculteurs et agricultrices avaient l’intention de voter RN ou Reconquête, dont le score montait à 40 % dans l’ensemble du milieu rural. » Eux aussi soulignent l’incohérence de la communication du RN avec ses actions politiques, qui «a fait de l’agriculture l’un de ses chevaux de bataille électoraux, multipliant les manœuvres de séduction en totale contradiction avec son programme économique et social».

La coopérative précise également : « une élection ne suffira pas à mettre un terme à l’extrême droite et à cette idéologie nauséabonde que les précédents gouvernements de droite, de gauche et du centre ont largement contribué à installer. En appelant à faire barrage au RN à chaque élection, ils ont tous “simultanément” mis en œuvre des politiques économiquement libérales, socialement réactionnaires et écologiquement rétrogrades. »


Source : investig’Action

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