France, Paris, 2024-06-10, Photograph taken from campaign posters showing the president of the French republic, Emmanuel Macron (L) and the candidate of the French far-right party in the election for the europeans and possible future prime minister, Jordan Bardella (R). Legislative elections will therefore be held on Sundays 30 June and 7 July, Photograph by Serge Tenani / Hans Lucas, France, Paris, 2024-06-10, Photographie issue d affiches de campagne representant le president de la Republique francaise, Emmanuel Macron (L) et le candidat du parti d extreme droite francaise a l election pour les Europeennes et peut-etre futur Premier ministre, Jordan Bardella (R). Des elections legislatives vont donc etre organisees les dimanches 30 juin et 7 juillet, Photographie de Serge Tenani / Hans Lucas. (Photo by Serge Tenani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)AFP

Bruno Drweski : « La rencontre entre Macron et le Rassemblement national est assez logique »

Sans grande surprise, le Rassemblement national a remporté les élections européennes en France avec 31,37% des voix. Le coup de théâtre est venu d’Emmanuel Macron. Dans la foulée des résultats, le président français a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale avec de nouvelles élections prévues dans trois semaines seulement. L’extrême droite a le vent en poupe, Macron et son équipe sont discrédités, et la gauche est divisée. Bruno Drweski analyse les enjeux de cette situation chaotique.

Comment expliquez-vous le succès du Rassemblement national ?

La situation est catastrophique en France, que ce soit sur le plan social, économique ou autre. Et les différentes équipes qui se sont succédé au pouvoir, en particulier celle de Macron, ont tout fait pour nourrir le Front national devenu Rassemblement national. Car l’extrême droite est totalement utile au système. Elle ne le remet pas en cause idéologiquement. Et elle apparait comme une tentative de le sauver en cas de crise. L’Histoire nous l’a montré.

Un système dominé par les ultrariches qui accaparent la grande partie des richesses produites. Mieux vaut que les travailleurs s’en prennent aux étrangers plutôt qu’aux banquiers ? Et mieux vaut un pouvoir autoritaire pour gérer la contestation sociale que la crise va logiquement engendrer ?

Exactement. On peut ajouter que nous sommes dans une situation extrêmement tendue à l’international. Si nous devons aller à la guerre, nous pourrons compter sur l’extrême droite pour renforcer la militarisation et l’autoritarisme. Sur ce plan-là, l’extrême droite française est plutôt sur la ligne italienne que hongroise d’ailleurs. Plutôt Meloni qu’Orban. Pas très différente de la droite macronienne finalement.

Le fascisme, c’est bien le plan B du capitalisme ?

Oui. Et tactiquement, l’extrême droite est utile à Macron. Il sait qu’il est arrivé en bout de course. Les résultats lamentables de son parti l’ont montré lors de ce scrutin européen avec 14,60% des voix. Ce n’est même pas la moitié du RN. Donc la seule échappatoire de Macron, c’est l’extrême droite. Il va pouvoir jouer hypocritement sur plusieurs tableaux. Durant la campagne, il pourra sortir la vieille partition du barrage à l’extrême droite. Si le RN l’emporte malgré tout, nous aurons un gouvernement de cohabitation avec l’extrême droite. Je ne pense pas que ça fait beaucoup paniquer les cercles dirigeants français. Et ça permettra à Macron de quitter cette situation inconfortable où son gouvernement est contraint de diriger avec le soutien de l’extrême droite au parlement.

De fait, sur plusieurs dossiers, Macron et l’extrême droite ont déjà prouvé qu’ils étaient compatibles.

Difficile de voir la différence entre un Bardella ou un Darmanin ! Ce gouvernement a déjà prouvé qu’il menait une politique d’extrême droite. Entre le RN qui a cherché à se civiliser et le parti de Macron qui s’est droitisé, la rencontre est finalement assez logique.

Quand Macron disait « ni droite ni gauche », il voulait dire « extrême droite » ?

Force est de constater qu’il a réhabilité Pétain sur un certain nombre de sujets, qu’il a permis toutes les dérives islamophobes et anti-migrants et qu’il a rallumé la guerre coloniale en Kanaky en jetant les accords de Matignon à la poubelle et en multipliant les provocations. Rappelons enfin sa politique va-t’en guerre sur l’Ukraine et le soutien inconditionnel à Israël proclamé le 8 octobre par la présidente de l’Assemblée. Quand tout ça est mis ensemble, le message est assez clair.

C’est ce qui explique la décision de dissoudre l’Assemblée ?

Le calcul est simple. Soit le barrage à l’extrême droite permettra au parti de Macron de revenir avec une majorité absolue. Soit ce sera une cohabitation claire et assumée avec le RN. En espérant sans doute que l’exercice du pouvoir lui  fera perdre des plumes. De sorte que le parti de Macron pourra revenir plus fort lors des prochaines élections présidentielles. De toute façon, l’avenir est assez sombre…

Loi sur l’immigration, 49/3 sur les retraites, répression policière… Si Macron retente le coup du barrage à l’extrême droite pour sauver la démocratie, les électeurs le suivront-ils encore ?

Pas sûr que ça passe à nouveau. Mais qui pourrait faire barrage de toute façon ? À gauche malheureusement, c’est Raphaël Glucksmann qui va essayer de jouer cette carte. Avec 13,83% des voix, il a ramené le PS à la troisième place alors que ce parti était encore largement déconsidéré il y a quelques mois encore. Mais du point de vue des intérêts de la bourgeoisie impérialiste, Glucksmann est le va-t’en guerre par excellence. En réalité, il n’est pas mieux que Macron, voire pire si on pense notamment à ces liens avec les milieux plus ou moins mafieux de Géorgie.

Un front populaire pour empêcher l’arrivée du RN à Matignon, c’est possible ?

Si on se limite aux forces politiques représentées au parlement, il n’y a pas grand monde à part La France insoumise. Le PCF par exemple soutient l’envoi d’armes à l’Ukraine et des positions très ambiguës sur la Palestine. L’espoir est un front uni antifasciste qui aille au-delà des forces politiques représentées au parlement. Il faut intégrer les formations extraparlementaires, mais aussi les syndicats et les militants de base. Une grande mobilisation sur le terrain. C’est à partir de là que nous pouvons construire quelque chose. Mais ça demande un minimum de temps. Ce qui explique sans doute pourquoi Macron organise le scrutin si rapidement : trois semaines de délai seulement avant les législatives. Comment peut-on partir en ordre de bataille en si peu de temps ?

Il faut s’attendre à une victoire du RN ?

C’est mal parti, j’en ai bien peur. Mais ça ne semble pas effrayer Macron et son équipe.

Qu’est-ce que ça pourrait changer concrètement pour la France d’avoir le RN à Matignon ?

C’est la grande inconnue, car ce parti n’a jamais été au pouvoir. D’un côté, il essaie de se montrer plus respectable. Mais il y a toujours cette vieille droite rance dont il est issu. Difficile de savoir ce que le RN va faire. Par ailleurs, il ne faut pas oublier non plus Zemmour et toute sa clique, dont Marion-Maréchal Le Pen. Ils exerceront des pressions pour que le RN mène une politique le plus à droite possible.

C’est donc un jeu dangereux entre la droite et l’extrême droite. Sans une gauche radicale et populaire véritablement constituée. C’est un défaut de LFI. C’est un mouvement assez hétéroclite avec un chef charismatique à son sommet. Il est loin d’être idiot. Parmi les responsables politiques français, c’est certainement le moins incompétent. Mais LFI n’est pas dépourvue d’ambiguïtés et ne garantit pas un rassemblement populaire à la base.

Un gros travail reste à faire sur le terrain.

Si la France était seule dans cette position, on pourrait compter sur les pays voisins pour contrebalancer. Mais ces élections viennent de confirmer que des forces douteuses émergent dans tout paysage politique européen. C’est même tout le bloc occidental qui bascule dans la mauvaise direction.

Pas étonnant au regard des grands bouleversements que nous traversons : système économique en crise, fin de l’hégémonie étasunienne, partis traditionnels en perte de crédibilité…

Oui, mais la grande différence avec les années 1920 et 1930 et avec la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, c’est qu’à l’époque, il y avait un puissant mouvement ouvrier et un puissant mouvement communiste dans de nombreux pays. Nous n’en sommes pas encore là, pour le moment…

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