Kanaky ou le rejet du colonialisme français

Les révoltes populaires qui secouent la Kanaky depuis dix jours ne tombent pas du ciel. Sous tutelle coloniale française depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie (Kanaky) aspire à l'indépendance. Ses partisans pouvaient y croire lors d'une prochaine révision du statut de l'île. C'était sans compter une réforme législative, décidée à Paris, qui vise à minorer les futurs votes indépendantistes. C'est cette loi néocoloniale, à motivations économiques, qui a plongé la Kanaky dans la colère et « l'état d'urgence »... (I'A)  

Le sang coule de nouveau en Kanaky sous les balles des soldats et gendarmes français. Le bilan de la répression des manifestations indépendantistes, qui secouent depuis le 13 mai cette île colonisée par la France depuis 1853, est déjà lourd. On compte ainsi déjà au moins six morts, des centaines de blessés et plus de quatre cent arrestations.

Le fait que le gouvernement français ait décrété l’État d’urgence et l’envoi de renforts militaires dans les ports de Kanaky et sur l’aéroport de la capitale, Nouméa, suffit à lui seul à démontrer le caractère massif de la révolte du peuple kanak.

De même, l’envoi des forces spéciales du GIGN ou du RAID témoigne de l’ampleur populaire du mouvement. La conclusion s’impose : en Kanaky, c’est tout un peuple exigeant son indépendance qui s’insurge contre l’État colonial français.

Médias français pro-colonialistes


La couverture médiatique des principaux grands médias français est sans surprise décontextualisée. Les contextes historiques, économiques et politiques de la révolte sont globalement passées sous silence ou minorées et laisse la place à une description en boucle des destructions commises par les insurgés kanaks.

La plupart de ces médias donnent abondamment la parole aux colons français appelant Paris au secours, décrivant les manifestations populaires comme barbares et aveuglément violentes, expliquant la nécessité pour eux de s’organiser en milices d’auto-défense.

Dans le même temps le gouvernement français bloque les réseaux sociaux et en particulier Tik Tok empêchant ainsi un accès aux scènes de répression violente de l’État français.

« État d’urgence », envoi de troupes, censure, construction d’un peuple en révolte comme barbare et aveuglément violent, etc., ces dimensions ne sont pas sans rappeler la guerre du Vietnam ou la guerre d’Algérie où les mêmes procédés étaient utilisés, les mêmes leitmotivs de propagande de guerre employés, les mêmes décontextualisations en œuvre.


Loi sur « le dégel du corps électoral »


Comprendre les raisons de la révolte légitime du peuple Kanak nécessite donc de prendre en compte les contextes immédiats et historiques.

Sur le plan de l’actualité, la révolte légitime actuelle du peuple kanak trouve son origine dans le vote – dans la nuit du 14 au 15 mai dernier – par l’Assemblée nationale française d’une loi portant sur le « dégel du corps électoral ». L’objectif de cette loi est d’accorder le droit de vote pour le référendum d’autodétermination aux colons européens non nés sur le territoire kanak.

Avant cette loi qui n’est rien d’autre qu’une tentative d’imposer de force le maintien de la colonisation, seuls les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de signature des accords de Nouméa en 1998 et leurs descendants pouvaient voter au référendum d’autodétermination.

Il s’agit donc d’empêcher toute possibilité d’indépendance légale en rendant le peuple kanak électoralement ultra-minoritaire dans son propre pays. Une telle pratique revient à la logique décrite par le grand dramaturge progressiste Bertolt Brecht qui disait : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple et le remplacer ».

Devant une telle violence institutionnelle et légale, le peuple Kanak n’avait et n’a qu’un seul choix : soit renoncer à son droit à l’indépendance, soit se révolter. Nous avons ici une nouvelle confirmation de la nécessité de ne pas confondre légitimité et légalité. L’esclavage fut jadis légal mais jamais légitime, l’apartheid fut légal mais toujours illégitime.

Le peuple Kanak n’a jamais accepté la colonisation de son pays qui fut comme toutes les colonisations de peuplement sanglante. Une publication de l’UNESCO le rappelle comme suit, je cite : « l’île principale de la Nouvelle Calédonie comptait au moins cent mille habitants en 1800, un siècle plus tard, on n’en recense plus que le tiers ».

Longue lutte pour l’indépendance


Les révoltes du peuple Kanak, en 1878 et 1917, contre cette colonisation sont réprimés dans le sang.

L’ethnologue Jean Guiart rappelle ainsi qu’en 1878 « une prime était donnée pour chaque paire d’oreilles de soi-disant rebelle tué. Comme les soldats apportaient des oreilles de femmes et d’enfants, on édicta qu’il faudrait apporter les têtes et l’on tint état de ces macabres pièces à conviction ». Abordant la révolte de 1917, il poursuit : « En 1917, à la dernière rébellion, la prime était de 20 F pour un prisonnier et de 25 F pour un mélanésien mort! ».

La dernière révolte en 1988 se conclut par le massacre de la grotte d’Ouvéa se soldant par la mort de 19 militants kanaks et de deux militaires français.

Malgré cette répression brutale la mobilisation populaire contraint le gouvernement français à signer les accords de Matignon prévoyant un référendum d’autodétermination. C’est ce référendum que l’État français tente définitivement de piper avec sa loi de « dégel du corps électoral ».

Alors que la Kanaky est inscrite par l’Organisation des Nations-Unies sur la liste des territoires à décoloniser depuis 1946 et que la France est annuellement épinglée pour son refus de respecter le droit à l’autodétermination du peuple kanak, l’État français tente par cette nouvelle manœuvre coloniale d’enterrer définitivement la perspective d’une Kanaky indépendante.


Enjeux économiques et stratégiques


Cet acharnement colonial trouve son origine dans les enjeux économiques et géostratégiques de grandes ampleurs pour Paris. Sur le plan économique on trouve d’abord l’enjeu du Nickel que l’historien Vincent Adoumié résume comme suit : « La Nouvelle-Calédonie regorge de ressources en nickel […] : 10 % de la superficie du territoire en contient, soit 20 % des réserves mondiales prouvées, voire 40 % des réserves estimées pour les plus optimistes. L’île est donc « un bloc de nickel » : 7.5 millions de tonnes de minerai brut extraites chaque année et 45 000 tonnes de ferro-nickel transformées, 9 % de la production de la planète, soit le 5e rang mondial ».

A cet enjeu s’ajoute celui de la « zone économique exclusive », c’est-à-dire de la zone maritime dont dispose légalement la France du fait de sa possession de la Kanaky. Avec une superficie de dix-huit mille cinq cents kilomètres carrés, la Kanaky dispose légalement d’une zone maritime d’ un million sept cent quarante milles kilomètre carré.

Le sous-sol de cette zone est décrit comme suit par une note de l’Institut d’Emission d’Outre-mer (IEOM) : «Le sous-sol marin de la Nouvelle-Calédonie présente, comme ceux de Wallis ou de Papouasie-Nouvelle-Guinée, un ensemble de zones propices à la présence de métaux rares, de cobalt et de manganèse, présents sous forme de nodules polymétalliques, d’encroûtements ou de dépôts sulfurés hydrothermaux. Selon les géologues marins de la DIMENC, plusieurs éléments laissent par ailleurs supposer une éventuelle présence d’hydrocarbures dans le sous-sol marin calédonien.»

A ces enjeux économiques s’ajoute l’enjeu géostratégique lié à la zone Asie-Pacifique, où se joue une part importante de la concurrence entre la Chine et les États-Unis. Dans la contradiction centrale de notre monde, entre un hégémonisme États-uniens tentant de se maintenir par tous les moyens et une aspiration grandissante à un monde multipolaire, la Kanaky occupe une place particulière pour la stratégie occidentale d’endiguement et d’encerclement de la Chine. C’est une carte que l’impérialisme français met en avant, avec son allié états-unien, pour négocier sa place au sein du système impérialiste mondial.

Cette importance géostratégique est encore renforcée depuis que Paris subit des revers importants en Afrique de l’Ouest ; le second pilier important de la place internationale de l’impérialisme français. En se maintenant de force en Kanaky, la France négocie ainsi sa place parmi les puissants en mettant en avant le rôle-clef qu’elle peut jouer dans l’affrontement avec la Chine.

Hier comme aujourd’hui, en Kanaky comme ailleurs, la colonisation n’a pour seule raison d’être que le profit et les enjeux géostratégiques permettant de le maximiser. Quelle que soit sa couverture légale et la teneur des discours de propagande, cette colonisation est – dans l’Algérie ou le Congo d’hier comme dans la Kanaky d’aujourd’hui – un crime contre l’humanité.


Saïd Bouamama


Pour aller plus loin

Saïd Bouamama, L’œuvre négative du colonialisme français en Kanaky ; une tentative de génocide par substitution, consultable sur mon blog : https://bouamamas.wordpress.com

Institut d’Emission Outre-Mer, L’économie bleue en Nouvelle Calédonie, Un levier de croissance à actionner, Note expresse n° 185, mars 2016, consultable sur le site de l’IEOM : https://www.ieom.fr

Source : Investig’Action

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