L’Afrique connaît actuellement d’importants bouleversement dont, notamment, la fin de ladite « Françafrique », vestige du colonialisme français et le retour d’un esprit de solidarité internationaliste illustré par la démarche sud-africaine auprès de la Cour Internationale de justice à propos des pratiques génocidaires d’Israël. Nous sommes devant un continent tiraillé par ses contradictions internes et par les tensions internationales. Tentative de panorama via quelques pays.
Niger : poursuite d’un processus d’émancipation risqué
Le samedi 16 mars dernier, les dirigeants du Niger répudient l’accord de coopération sécuritaire conclu avec Washington. Dans la soirée, le porte-parole du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le colonel Amadou Abdramane, n’hésite pas à déclarer à la télévision nationale que cet accord n’était rien d’autre qu’une « simple note verbale », imposée unilatéralement par les USA. En outre, les Tchadiens se plaignent de n’avoir aucune information à propos des opérations américaines sur leur territoire, tout comme à propos des effectifs et du matériel déployé.
La décision de Niamey doit être insérée dans un enchaînement de faits. Entre le mardi 12 et le jeudi 14 mars, une délégation venue de Washington a rencontré des membres du CNSP. Le colonel Abdramane a fustigé cette rencontre, qu’il n’a pas hésité à qualifier d’irrespectueuse des usages diplomatiques et d’imposée. Il a ajouté que les membres de cette délégation avaient fait preuve de condescendance à l’égard des Nigériens. Ils les auraient vitupérés et menacés de représailles pour avoir conclu des accords secrets dans le domaine sécuritaire avec la Russie et dans celui du nucléaire avec l’Iran. Le CNSP a répondu que les partenariats avec Moscou et Téhéran respectaient le droit international et a ajouté qu’en revanche des avions américains survolaient illégalement son territoire.
Après la France, c’est au tour des États-Unis d’essuyer un important revers. Pendant longtemps, ils avaient ménagé le CNSP, espérant le prendre sous leur aile. Ils avaient attendu deux mois, de juillet à septembre 2023, pour qualifier la prise du pouvoir par le commandant Abdourahamane Tchiani de coup d’Etat. Il faut dire que, comme le New York Times lui-même le souligne, le pays est considéré comme une pièce maîtresse par Washington à la fois pour des raisons stratégiques (avoir un œil sur le Sahel sous prétexte de lutter contre les groupes islamistes) et économiques (avec ses importantes réserves de matières premières). De surcroît, les USA avaient environ 1000 hommes présents sur place, regroupés dans la base 201 à Agadez. Cette base avait une valeur financière de 110 millions de dollars et était d’une importance vitale pour les services de renseignements US (avec son système de communication par satellite et sa flotte de drones). La fin de l’accord, conclu en 2012, signifie sa fermeture. Une gifle.
Le Sénégal : un modèle solide, mais équivoque
Dimanche 24 mars, des élections présidentielles ont eu lieu. Au grand soulagement de nombreux habitants, dans le calme. Les principaux partis politiques ainsi que les mouvements sociaux ont dépêché des représentants dans les bureaux de vote à travers le pays, afin de garantir l’acceptation finale du résultat.
Il faut dire que les raisons de craindre un déraillement étaient légion. Le 3 juillet 2023, le président Macky Sall avait annoncé qu’il renonçait à briguer un troisième mandat. Il avait ainsi mis fin à un intense suspense accompagné de fortes tensions politiques. Mais, alors que la crainte du dérapage semblait dissipée, il affirmait ce 3 février son intention de reporter l’élection présidentielle du 24 mars au 15 décembre. Il faut dire que les sondages concernant son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, étaient très défavorables. Sans oublier la crainte d’une victoire de Bassirou Diomaye Faye, du mouvement Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), fondé par le très populaire Ousmane Sonko, lequel prône l’indépendance nationale ainsi que la sortie du franc CFA, était inéligible en raison de plusieurs condamnations judiciaires.
Nouveau coup de théâtre : le 15 février, le Conseil constitutionnel invalide la décision de report au 15 décembre. Après quelques jours de silence, Sall annonce qu’il se soumet à la décision du Conseil. À partir de là, les événements s’accélèrent. Le 6 mars, le parlement de Dakar vote une loi d’amnistie. Parmi les bénéficiaires figurent Sonko et Faye, libérés après huit mois de détention.
Le Sénégal a longtemps été célébré comme une « exception démocratique ». Cette image est à nuancer. Après des années d’un despotisme relativement éclairé, celui de Léopold Sédar Senghor, le multipartisme a été peu à peu instauré. Mais cela n’a pas empêché le pays de connaître des moments de répression. Au lendemain de l’élection présidentielle de 1988, qui avait porté au pouvoir le contesté dauphin de Senghor, Abou Diouf, son principal opposant, Abdoulaye Wade, avait été incarcéré avec d’autres dirigeants de l’opposition et l’état d’urgence proclamé. Et depuis 2021 la répression des manifestations a fait des dizaines de morts et de blessés. Il n’empêche, ce qui fascine, c’est que les Sénégalais, face à ces problèmes, ont mis en place des mécanismes de sortie de crise sophistiqués et uniques en leur genre en Afrique francophone. Ces mécanismes illustrent leur attachement à une certaine idée de la démocratie. Qu’en auraient pensé Tocqueville et Castoriadis ?
Une fois élu président, Faye a nommé Sonko Premier ministre. Les défis sont énormes. La pauvreté et les injustices sociales demeurent galopantes. L’objectif d’indépendance nationale est périlleux face à l’Occident. Et la question de la répartition des bénéfices de l’exploitation prochaine des gisements de pétrole et de gaz, découverts il y a peu, agite la société.
Le Rwanda, mercenaire du bloc occidental
Le 19 février, l’Union européenne et le Rwanda ont conclu un accord « pour favoriser le développement de chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques ». Dans les six mois qui suivent, les deux parties signataires devront élaborer « une feuille de route comportant des mesures concrètes pour mettre en œuvre le partenariat stratégique ».
Etrange lorsque l’on sait que ce petit pays d’Afrique centrale n’a quasiment rien comme matières premières sur son territoire. Alors qu’il ne possède aucune mine de coltan ni de tantale, il est devenu respectivement le premier et le troisième exportateur mondial de ces minerais. En revanche, son voisin, le Congo-Kinshasa, voit l’est de son territoire – au sous-sol incommensurablement riche – gangrené par la violence depuis un quart de siècle. Plusieurs rapports de l’ONU pointent sans ambiguïtés le régime de Paul Kagame comme le responsable de ces violences qui connaissent une nouvelle flambée depuis janvier 2024. Lorsque des militaires rwandais n’y prennent pas directement part, cela se fait par l’intermédiaire de groupes armés comme le M23. Selon l’OCHA, plus de 25,4 millions de personnes – soit un quart de la population du pays – souffrent d’insécurité alimentaire sévère, dont 3,5 millions sont en situation d’urgence alimentaire. La violence et l’insécurité dans les provinces orientales y sont pour beaucoup : elles compromettent le relèvement économique d’un pays ravagé par le mobutisme. Et il y a fort à parier que les récents accords conclus avec l’UE vont aggraver la situation.
Mais il est un autre dossier où Kigali joue le rôle de mercenaire des Occidentaux : les migrants. A la mi-avril 2022, le Premier ministre Boris Johnson a annoncé la conclusion d’un deal : 120 millions de livres au Rwanda si celui-ci accepte l’envoi de migrants « en situation irrégulière » au Royaume-Uni. En décembre 2022, la Haute Cour a déclaré que ce deal était légal. Le 29 juin 2023, la Cour d’appel a en revanche estimé que l’expulsion vers le Rwanda de personnes arrivées de façon dite « irrégulière » était illégale. Cette décision se base sur le fait qu’étant donné les lacunes de son système d’asile le petit pays ne pouvait être considéré comme sûr. Le gouvernement Rishi Sunak a déclaré qu’il entendait faire appel de cette décision devant la Cour suprême. Celle-ci a émis un jugement semblable en novembre. Cela a amené Sunak à présenter un projet de loi faisant du Rwanda un pays sûr, comme par enchantement. Il doit encore être approuvé par les deux chambres. Certains le critiquent déjà par ce qu’il est en porte-à-faux avec les conventions internationales, d’autres lui reprochent de ne pas aller assez loin…
L’Afrique du Sud, au nom de l’universalisme
En décembre 2023, Pretoria a saisi la Cour Internationale de Justice contre Israël pour génocide à Gaza. Dernier pays colonisé d’Afrique, sous la férule de l’apartheid, l’Afrique du Sud a une légitimité incontestable. Son attachement à la cause palestinienne est ancien. Le dossier constitué s’attache à répondre avec minutie aux critères constitutifs du crime de génocide. Les soutiens politiques à son initiative viennent de plus de cinquante pays du monde entier. Mais aucun du monde occidental, pourtant si prompt à condamner la Russie. Deux poids deux mesures…
Source: Le Drapeau Rouge
Pingback: