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Viktor Dedaj: “On a assisté au bal des faux-culs pendant la campagne, maintenant on va assister au bal des cocus”

La victoire de Donald Trump semble surprendre de nombreux médias occidentaux. Le candidat républicain l'emporte d'une manière plus large que le score serré prévu par les sondages. Quels enseignements tirer de ce résultat? Le point avec Vikor Dedaj, animateur du site Le Grand Soir.

Comment expliquer cette victoire ?

Un titre dans un média disait La victoire de la frustration. Je crois que le terme s’il fallait en choisir un, c’est bien la frustration face à une absence de résultats concrets de la part de l’administration de Joe Biden. On a minimisé en Europe l’impact de certains évènements, comme dans la ville de Palestine, où il y a eu une intervention de l’État très faible, avec un déversement de produits chimiques et une gigantesque pollution. Ensuite, il y a les cyclones qui ont frappé notamment la Caroline du Nord, Kamala Harris a proposé 700 dollars d’aide pendant que des centaines de milliards étaient envoyés pour l’Ukraine et Israël. Je crois que ça a marqué beaucoup de gens, notamment dans la classe ouvrière. On peut se demander comment la classe ouvrière peut voir en Donald Trump un sauveur.

Je pense que la vision de l’Américain moyen est de se dire qu’il y a d’un côté une femme sortie d’on ne sait où, avec une légitimité étonnante, qui a perdu les primaires démocrates et a tout de même été bombardée candidate alors que personne n’en a voulu. De l’autre, il y a un homme d’affaires, un « boss capitaliste », soutenu par quelques poids lourds de la scène médiatique américaine comme Elon Musk. Quoiqu’on en pense, il veut nous transformer en robots, il fait voler des fusées, mais c’est un mec qui « fait des choses ». Il y a Kennedy Junior du côté de Trump, avec ce nom il touche également des électeurs. Dans les derniers moments de la campagne je pense que les Républicains ont bien manœuvré, en montrant une façade originale et plus diversifiée que ce que l’on croyait, avec des gens « apparemment compétents ». Et les questions sociétales portées par les Démocrates n’ont pas convaincu une majorité des Américains. Soulignons que Donald Trump a gagné non seulement les grands électeurs mais aussi le vote populaire. Ce qui n’était pas le cas la première fois, cette fois c’est une victoire sans bavure.

On a assisté au bal des faux-culs pendant toute la campagne, maintenant on va assister au bal des cocus. Car je pense qu’avec Trump gagnant ou si Harris avait gagné, les deux camps auraient été déçus ou vont être déçus. Pourquoi les gens choisissent un camp et pas l’autre? Cela se joue sur des questions ténues, c’est une sensation de quelque chose, comme lorsqu’on entend que Trump ne va pas faire de guerre. Il y a deux candidats qui sont des coquilles vides et qui va remplir ce vide ? On a vu les néoconservateurs à la manœuvre, ils ont un fer dans chaque feu. Dick Cheney et sa fille se sont rassemblés derrière Harris et dans les derniers jours Trump a fait les louanges de Mike Pompeo.

Le seul espoir qui puisse résider avec Trump, comme c’est un homme d’affaires et pas un idéologue, serait que par accident il puisse faire quelque chose de bien. Uniquement parce que ça l’intéresse et parce que ça correspond à son intérêt immédiat.

Quels changements peut-on attendre ?

Selon moi, cela tiendra plus au niveau géopolitique, l’intelligence politique des dirigeants en face, Iraniens, Russes, Chinois. Je crois au discours de Scott Ritter, ancien inspecteur des armements, qui parle de véritable risque de guerre nucléaire. Il y a une volonté ferme de nombreux pays d’en finir avec l’hégémonie américaine, en finir avec la domination du dollar, mettre en place quelque chose face à la menace des États-Unis. Il convient d’agir lentement tout en sachant qu’il y a des limites et des exaspérations. Je pense par exemple aux Iraniens qui doivent en avoir vraiment ras-le-bol d’être traités de la sorte, entre autres par Israël.

Je pense qu’on va assister à deux choses, pas forcément dans le bon sens, un changement de leur politique au Moyen Orient, soit une surenchère pour en finir avec la Résistance soit des initiatives diplomatiques. Et il peut y avoir un réveil face aux BRICS, qui jusqu’ à présent étaient vus comme un club, sans être pris au sérieux. Trump a déjà dit qu’il allait prendre des mesures contre les BRICS. Ted Cruz a dit il y a quelques mois, « si il y a une dédollarisation, on ne pourra plus prendre des sanctions ».

Harris a déçu notamment pour ses positions pro-Israël, qu’en est-il des petits partis ?

Il y a eu des coups bas et des tiraillements autour des Verts, des indépendants. Je crois que la seule qui méritait d’être citée de par son indépendance et sa compétence, pour s’être opposée au génocide en Palestine, c’est Jill Stein. Malheureusement, elle n’a pas fait un gros score avec 0,5 % alors qu’il faut 5 % pour obtenir des fonds fédéraux aux élections suivantes. Le problème pour les Verts c’est qu’ils étaient totalement absents du terrain. A New York, ils étaient introuvables. Il y a tout à reconstruire.

On a un système à deux partis, qui se ressemblent, c’est les deux ailes du même oiseau. Certains disent qu’il faut tenir compte que le système était contre Trump. Oui, le système apparent a tout fait pour l’empêcher de gagner. Selon moi, c’est comme dans une mafia, il y a des gangs qui se battent entre eux et vont jusqu’au meurtre s’il le faut. L’appareil d’État est une mafia et nous assistons à une guerre à l’intérieur de la classe dirigeante mais qui est publique.

Est-ce que la victoire de Trump va être contestée ? Ou sa candidature est-elle contestable ?

La déclaration de Harris se fait attendre. Les médias ont déjà déclaré que Trump a gagné, c’est difficile de revenir en arrière. Il sera investi début janvier, il faudra surveiller ce qu’il va se passer durant cette période, sur le plan judiciaire ou autre. Certains disent qu’il y a un amendement qui interdit de présenter une personne impliquée dans une rébellion comme celle sur le Capitole. Ce serait extraordinaire de le destituer avant qu’il entre en fonctions.

Mon intuition est plutôt que nombreux sont ceux qui vont essayer d’infiltrer son administration, il y a une guerre d’influence. Trump est une coquille vide, la question est de savoir qui va obtenir son écoute. C’est un moment historique qui va être délicat. La grande question est comment on a pu avoir comme candidats deux personnages aussi médiocres ? On a affaire à des gens médiocres, ce qui me pousse à dire qu’ils sont plus des outils de forces politiques que les moteurs de ces forces.

L’inculture aux États-Unis est tout de même flagrant, quand on voit des républicains dire que Kamala Harris serait une communiste, c’est une gymnastique intellectuelle. Ce qui prouve que la culture politique aux États-Unis est proche de zéro. Des gens disent « si ils se détestent, c’est qu’il y a une différence politique ». Ce sont des clans, des groupes d’intérêts qui se sont formés selon leur perception de la situation et leurs intérêts personnels. Leur niveau de détestation n’est pas la preuve de divergences politiques. Je répète que notre espoir réside dans la capacité de ceux d’en face au niveau international à gérer les situations et pas dans l’hypothèse de convaincre Trump de ne pas faire de bêtises. Il faut le leurrer dans les bonnes directions.


Source: investig’Action

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