Le même mois où le président de l’Autorité Palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, présentait, en septembre 2011, la demande de reconnaissance de l’Etat Palestinien aux Nations Unies, Qusai Abdul-Raouf de la Fondation palestinienne des droits humains, basée au Liban, entreprenait la tâche de documenter le nombre croissant d’attaques contre des Palestiniens et Palestiniennes dans le quartier al-Baladiyyat à Bagdad. Alors qu’il faisait un tour dans le quartier, trois hommes armés – dont on a signalé qu’ils portaient l’uniforme du ministère de l’intérieur – l’on enlevé. Personne ne l’a revu depuis lors.
Avant l’invasion de l’Irak par les forces armées américaines et britanniques, on estimait que le nombre de Palestiniens et Palestiniennes en Irak s’élevait à approximativement 35’000 personnes ; bien que d’autres estimations portaient ce chiffre à hauteur de 90’000)[1]. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), seulement 13’000 demeuraient en Irak en 2009. Ce chiffre s’élève aujourd’hui à environ 7’000. La menace contre les Palestiniens en Irak a cru dans la mesure où leur présence continue dans le pays est actuellement sérieusement en péril. Les réfugiés palestiniens en Irak sont vulnérables, sans Etat et oubliés. Ils constituent une fraction des trois quarts de la population globale de onze millions de Palestiniens auxquels est nié leur droit au retour.
Le terme Nakba – qui signifie littéralement désastre ou catastrophe – fait communément référence au nettoyage ethnique des Palestiniens de leur patrie, en 1948. Pour les Palestiniens, toutefois, la Nakba ne s’est jamais achevée et leur dépossession se poursuit. Les réfugiés palestiniens sont dispersés à travers le monde, mais 88% demeurent à proximité de leur pays et vivent en Israël, à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie [2]. Nombre d’entre eux vivent dans des conditions abjectes, sans que ne semble exister le moindre signe qu’un un terme quelconque à leurs souffrances se profile.
Cette crise permanente – malgré son ampleur et ses conséquences sur les relations internationales – est largement marginalisée dans la production occidentale d’informations ainsi que dans les débats parlementaires. Le droit au retour, qui est garanti par le droit international et inscrit dans les résolutions de l’ONU, est central dans la vie des réfugié·e·s. Le droit au retour des réfugiés palestiniens est systématiquement refusé au même titre où leurs droits à la sécurité, à la liberté de circulation, au travail, au logement et à pouvoir se nourrir sont violés de façon routinière. Le HCR a décrit le sort des réfugiés palestiniens plus généralement comme étant «de loin le plus durable et le plus vaste de tous les problèmes des réfugiés dans le monde aujourd’hui.» Ces quelques éléments fournissent l’arrière-fond qui permet de comprendre plus largement la situation des réfugiés palestiniens en Irak.
Première phase de la Nakba : 1948, 1967 et 1991
C’est à la suite de plusieurs vagues successives que les Palestiniens se sont rendus en Irak, fuyant à chaque fois une guerre. Le premier groupe était originaire de la ville de Haïfa et de villages alentours situés dans ce qui est aujourd’hui l’Etat d’Israël. Ce groupe initial a résisté aux attaques des sionistes contre leurs villages durant la guerre de 1948, mais il a ensuite dû fuir vers Jenin, ville où l’armée irakienne était alors basée. Sous la protection des forces armées irakiennes, des femmes et des enfants furent évacués en direction de l’Irak alors que les hommes furent incorporés dans une unité spéciale de l’armée irakienne : la brigade Karmel. Les villageois qui composaient cette brigade (dont on évalue le nombre à environ 4000) se sont retirés avec l’armée irakienne lorsque celle-ci a quitté la Palestine en 1949. A la suite de la guerre de 1967, une seconde vague importante de Palestiniens sont arrivés en Irak. Enfin, il y eut un troisième «afflux» de réfugié·e·s comme conséquence de la guerre du Golfe de 1991 – lorsque la plupart des Palestiniens furent expulsés du Koweït et que beaucoup d’autres, particulièrement des habitants de la bande de Gaza, n’avaient pas d’autre endroit où aller.
Contrairement aux réfugiés palestiniens vivant dans les Territoires occupés par Israël ou en Jordanie, en Syrie et au Liban, ceux et celles établis en Irak ne relèvent pas de la compétence de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UN Relief and Works Agency, UNRWA). L’Irak refusa l’autorisation à l’UNRWA d’être actif sur son territoire lorsque cet office a été fondé à la fin des années 1940 [1949]. Les Palestiniens en Irak bénéficièrent de documents de voyage «spéciaux» ; ils avaient le droit de travailler ainsi qu’un accès entier aux soins, à l’éducation et aux autres services étatiques. Ils vivaient également dans des logements appartenant à l’Etat ou payaient des loyers subventionnés s’ils vivaient dans des maisons privées. Cette situation était selon toute vraisemblance meilleure que les conditions de vie déplorables des camps de réfugiés dans divers autres pays…
Les réfugiés palestiniens en Irak ne bénéficièrent ni de la citoyenneté ni ne purent accéder à la propriété de maisons ou de terres [3]. Cela ne les empêcha pas de devenir une source d’un ressentiment qui couvait au cours des années 1980 et 1990 lorsque certains Irakiens supposaient que les Palestiniens jouissaient d’un traitement préférentiel. Ce sentiment malsain a crû en raison des pratiques du régime irakien [de Saddam Hussein – président dictateur de 1979 à 2003], en particulier après le début de la seconde Intifada en 2000, lorsque de l’argent a été envoyé aux familles de martyrs en Palestine, alors que l’économie irakienne connaissait de grandes difficultés [sous l’embargo, les sanctions des Etats-Unis et des puissances impérialistes initiés au tout début des années 1990, et la guerre de 1991, suite à l’invasion du Koweit, «piège» tendu à Saddam Husein].
A l’instar du reste de la société irakienne, les Palestiniens d’Irak furent soumis au régime de sanctions le plus complet de l’histoire. Introduit par l’ONU en août 1990, ces sanctions furent décrites en 2000 par l’ancien coordinateur humanitaire de l’ONU en Irak, Denis Halliday, comme étant un «génocide» [4]. Les réfugiés ont également souffert aux côtés des Irakiens des bombardements continus du pays par les forces militaires des Etats-Unis entre la fin de la première guerre du Golfe et le début de l’invasion en 2003.
2003 : la Nakba continue
La précarité de la situation des réfugiés Palestiniens a été mise a nu en 2003, après l’invasion de l’Irak par la coalition dirigée par les Etats-Unis. Alors que la société irakienne était sous le coup de décennies de guerres, de sanctions [donc : guerre terrifiante entre l’ Iran et Irak entre 1980 et 1988, examinée avec contentement par les impérialismes ; et invasion-guerre-bombardement de 1991, etc.] et que l’invasion engendra de gigantesques déplacements de population à l’intérieur de l’Irak, le ressentiment né du supposé «traitement préférentiel» dont auraient bénéficié les Palestiniens en firent des cibles de représailles. La communauté palestinienne est devenue extrêmement vulnérable sans qu’aucune force armée ne soit en mesure de les défendre. En outre, contrairement aux citoyens irakiens, les titulaires palestiniens de documents de voyage irakiens ne pouvaient généralement pas chercher refuge dans l’un des pays voisins. Cette situation obligea des milliers de réfugiés de fuir vers des camps inhospitaliers dans les zones frontières bordant la Jordanie; où ils avaient le choix d’être placés sous la garde supervisée de la police jordanienne dans des camps clôturés ou de retourner subir des persécutions à Bagdad. Certains Palestiniens ayant des relations familiales vivant en Jordanie eurent le droit d’entrer dans ce pays, sans, toutefois, qu’ils puissent y travailler. L’Autorité palestinienne (AP) a répété à plusieurs reprises sa volonté de permettre aux Palestiniens fuyant l’Irak de s’établir dans la bande de Gaza, mais Israël parvint à bloquer ces mouvements en vertu de son contrôle exercé sur les frontières de la bande de Gaza.
Dans les camps de Al-Hof, Al-Tanaf, Al-Ruweished et Al-Waleed, situés dans un désert plein de scorpions, la santé des réfugiés se détériora rapidement en raison du manque d’accès aux services médicaux. José Riera et Andrew Harper du HCR ont rapporté, en 2007, que les réfugiés «ont fui des menaces de mort et d’assassinat de membres de leur famille uniquement pour se retrouver dans un environnement mortel en raison des chaleurs torrides et des nombreuses tempêtes de sable.» [5] Les Palestiniens d’Irak ont bouclé la boucle: ils vivent dans des tentes de la même façon où vivaient leurs ancêtres immédiatement après le nettoyage ethnique de 1948.
La Syrie a finalement accepté l’établissement, sous le contrôle de l’UNRWA, de quelques centaines de déplacés. La Jordanie accepte l’installation d’un nombre restreint de réfugiés qui sont en capacité de faire la démonstration d’un lien avec le pays, comme le mariage avec un citoyen ou une citoyenne de Jordanie. Toutefois, le plus grand nombre ne sont autorisés qu’à vivre dans le désert frontalier dans des conditions qui sont «semblables à celles d’une détention»[6]. Parmi les familles réinstallées, beaucoup le furent dans des pays aussi lointains que le Brésil, le Canada, l’Inde ou la Nouvelle-Zélande.
Les autres réfugiés palestiniens vivent dans les quartiers At-Tweija, Al-Za’faraniyya, Al-Doura et Al-Hurriyya de Bagdad. Selon Daleel Al Qassous, ambassadeur palestinien en Irak, «ils vivent dans une pauvreté extrême en raison du coût de la vie élevé et du manque de travail. L’ONU leur fournit quelques services mais la situation d’ensemble est vraiment lamentable.» [7]
A la suite du renversement du régime baasiste, les propriétaires n’étaient plus obligés de fournir des logements subventionnés à des réfugiés palestiniens en contrepartie d’une petite aide étatique telle que c’était le cas sous le règne de Saddam Hussein. Ces propriétaires ont alors expulsé les familles palestiniennes de leurs logements. En outre, les Palestiniens d’Irak sont sous la coupe de bureaucraties hostiles comme le Ministère de l’intérieur qui a décidé de les traiter comme s’ils étaient des étrangers non-résidents plutôt que comme des réfugiés reconnus, statut qui était le leur sous le régime de Saddam Hussein[8]. En conséquence de cette situation, les Palestiniens sont contraints d’obtenir des permis de résidence de courte durée, d’un à deux mois.
La plupart des réfugiés palestiniens en Irak y sont nés et y ont passé toute leur vie. Ils sont actuellement contraints de régulièrement faire des démarches en vue de l’obtention d’une autorisation de résidence sans aucune garantie que celle-ci leur soit octroyée. Aujourd’hui, l’absence de documents de résidence valides en Irak soumet à tout moment les réfugié·e·s à une arrestation possible aux passages des check points. A la suite de la modification de leur statut (les obligeant à changer régulièrement de lieu de résidence), après l’invasion du pays, les réfugiés palestiniens sont sujets à des humiliations et à des harcèlements permanents.
Alors que la situation politique en Irak s’est détériorée sous l’occupation, les Palestiniens sont devenus de plus en plus les victimes du harcèlement et des menaces de milices armées qui voient en eux des vestiges du régime baasiste. En outre, suite au développement de l’insurrection sunnite, une partie des médias irakiens tentent d’établir un lien entre les Palestiniens et les attentats à la bombe [9]. Ils sont devenus une cible aisée pour ceux qui voient en eux un élément «étranger» sur lequel faire porter la responsabilité de tous les malheurs.
Des dizaines de Palestiniens en Irak ont été assassinés, torturés, pris en otage et emprisonnés, cela principalement par des groupes militants chiites [10]. Nombre d’entre eux furent expulsés de leurs logements et prirent refuge dans des tentes au milieu du stade Haïfa de Bagdad. Pour ceux qui restent dans leurs logements, leur situation est devenue désespérément dangereuse à la suite de la flambée d’attaques des forces de sécurité irakiennes en 2011.
Pendant que l’attention internationale était concentrée, en septembre 2011, sur les «manœuvres d’Abbas» à l’ONU, les attaques contre des palestiniens menées par des militants inconnus et des agents du ministère de l’intérieur augmentèrent [11]. La violence contre eux était telle que certains réfugiés étaient assez désespérés pour tenter de fuir dans un pays déjà dangereux: la Syrie [où se déroule depuis mars 2011 une répression d’une brutalité inouïe contre les soulèvements populaires visant à abattre la dictature d’Al-Assad]. En coordination avec les agences des Nations unies en charge des réfugiés, le gouvernement syrien a accepté, au début de l’année 2010, de fournir un abri temporaire aux réfugiés palestiniens dans le camp d’Al-Hol, tandis que le HCR oeuvrait à l’organisation de déplacements plus convenables vers d’autres pays [12].
Les principaux envahisseurs de l’Irak – les Etats-Unis et le Royaume-Uni – ont échoué à établir des principes démocratiques élémentaires en Irak ainsi qu’à protéger les réfugiés palestiniens. La sécurité des Palestiniens en Irak n’a cessé de se détériorer, même après l’installation d’un nouveau gouvernement. Cette situation met en outre à nu la faiblesse des prétentions américaines et britanniques à «promouvoir la démocratie» comme justification de leur invasion et à la destruction de la société irakienne qui s’en est suivie.
Plusieurs tentatives visant à réduire les souffrances des réfugiés ont été entreprises. Différents éléments de la société irakienne, parmi lesquels des dirigeants religieux des communautés sunnites et chiites, rencontrèrent l’ambassadeur Al-Qassous afin de tenter de mettre en œuvre des solutions. Au nombre de ces dirigeants se trouvait même le Grand Ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite en Irak.
En dépit de ces gestes de bonne volonté, le fait demeure toutefois que la situation des réfugiés palestiniens en Irak est extrêmement vulnérable. Ils ne disposent, à l’instar de tous les autres réfugiés palestiniens de la diaspora, d’aucune possibilité d’influer sur les décisions et les politiques menées par l’Autorité palestinienne. Les dirigeants palestiniens ont plus que simplement souhaité l’abandon de la revendication du droit au retour, lequel est défendu par un petit nombre tout à fait symbolique parmi eux [13]. Une telle faiblesse sera toujours mise à profit par les forces les plus fortes qui cherchent en retirer des gains politiques. En l’absence de pouvoir économique et d’une capacité d’expression propre, les réfugiés ne pourront obtenir la juste place qui leur est due dans les médias ou dans les agendas politiques des puissances occidentales, à moins que de sérieuses mesures soient prises, du niveau le plus bas jusqu’à celui des gouvernements, de sorte qu’ils puissent mettre en lumière quel est leur sort ainsi que l’importance qu’il y a à leur rendre justice.
En Irak tout comme dans les territoires palestiniens occupés, en Israël, en Jordanie, au Liban, en Syrie ainsi que dans l’ensemble de la diaspora, la Nakba n’est pas un événement passé, historique; il s’agit d’une réalité quotidienne, actuelle. Depuis le nettoyage ethnique de la Palestine dans les années 1940, les réfugiés palestiniens sont devenus les prisonniers d’un cercle vicieux. Les violences et les intimidations ont conduit à l’expulsion des Palestiniens [de leurs espaces de vie] et à leur réinstallation provisoire. A cette situation nouvelle a succédé encore plus d’insécurité et de violence sans qu’une solution ne semble en vue.
Cette situation ne trouvera son terme que par la réalisation du droit des Palestiniens au retour. Il s’en suivra logiquement et simultanément la fin du rêve sioniste d’un Etat exclusivement Juif en Palestine historique. Toute tentative de résoudre le conflit en cours au Proche-Orient qui ne s’affronte pas directement à cette réalité – définissant une stratégie claire pour l’émancipation des réfugiés ainsi que leur retour sur leurs terres – est destinée à l’échec. (Traduction A l’Encontre)
Source: A l'encontre
[1] http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/3015739.stm
[2] http://www.plands.org/articles/028.html
[4] http://www.news.cornell.edu/chronicle/99/9.30.99/Halliday_talk.html
[5] www.fmreview.org
[6] http://electronicintifada.net/content/iraqs-palestinian-refugees-back-square-one/8115
[7] http://www.imemc.org/article/62081
[8] www.hrw.org/sites/default/files/reports/iraq0706web.pdf
[9] www.fmreview.org/FMRpdfs/FMR26/FMR2609.pdf
[10] http://www.hrw.org/en/reports/2006/09/09/nowhere-flee
[12] http://www.unhcr.org/4b67064c6.html
[13] http://www.guardian.co.uk/world/2011/jan/24/papers-palestinian-leaders-refugees-fight