Le 28 juillet, le peuple vénézuélien se rendait aux urnes pour participer à la sixième élection présidentielle depuis l’approbation par les électeurs de la nouvelle Constitution bolivarienne de 1999. Les deux élections précédentes (2013 et 2018) ont été remportées par Nicolás Maduro Moros, le président sortant. Celui-ci briguait un troisième mandat, qui débuterait en 2025 et durerait six ans. Il est à la tête d’une large alliance de partis de gauche et de partis démocratiques qui se sont unis pour défendre la révolution bolivarienne, en cours depuis près de 25 ans.
Depuis la victoire électorale de Hugo Chávez en décembre 1999, le Venezuela a organisé 35 élections en 24 ans, dont un référendum sur la nouvelle Constitution. Le chavisme a perdu deux élections nationales. La transparence du système électoral vénézuélien, à double vérification, électronique et imprimée, a fait dire dès 2012 à Jimmy Carter qu’« en le comparant aux 92 processus électoraux que j’ai observés dans le monde entier, c’est le meilleur du monde ». Les élections les plus récentes (2021) ont été validées par l’ensemble des observateurs internationaux. (1)
Maduro a dû diriger à la fois le Venezuela et le processus révolutionnaire bolivarien depuis la mort d’Hugo Chávez, la figure légendaire qui a brisé la mainmise de l’oligarchie sur la politique vénézuélienne. Il l’a fait depuis l’effondrement des prix du pétrole en 2015, ainsi que depuis l’étouffement croissant des États-Unis pour détruire l’agenda bolivarien, qui ont privé l’État et les services publics de 95% de leurs ressources comme le rappelle l’économiste Rafael Correa. Maduro a sans aucun doute l’une des tâches les plus difficiles de la planète, puisqu’il doit succéder au charismatique Chávez et diriger le navire dans les eaux turbulentes créées par les États-Unis. Tout porte à croire que M. Maduro l’emportera dimanche, en grande partie à cause du caractère abominable de l’opposition.
Le terrible candidat de l’extrême droite
Maduro affronte Edmundo González Urrutia, le candidat de l’extrême droite, présenté comme un grand-père, bien qu’il n’ait que 13 ans de plus que Maduro (il est né en 1962, alors que González est né en 1949). Cette image de doux grand-père donnée à González masque un projet politique féroce, plus encore que celui de Milei en Argentine, ainsi que ses antécédents personnels. González dirige la Plataforma Unitaria, créée en 2021 par Juan Guaidó. Il convient de rappeler que Guaidó est l’homme politique que les États-Unis ont arraché à l’obscurité pour en faire un prétendant à la présidence en 2019 (selon un modèle qui avait réussi aux États-Unis en Ukraine, lorsque le gouvernement états-unien avait placé Arseniy Petrovych Yatsenyuk au poste de premier ministre de l’Ukraine), et qui, avec l’appui des occidentaux, a organisé le vol à très grande échelle de nombreux actifs de l’État vénézuélien.
La Plataforma Unitaria, ou PU en abrégé, rassemble des politiciens d’extrême droite qui ont été financés et formés par les États-Unis (comme María Corina Machado et Leopoldo Eduardo López Mendoza). En privé, les membres du PU disent qu’ils ne peuvent pas gagner d’élections au Venezuela ; malgré les privations causées par les sanctions des États-Unis et de l’Union Européenne (qui les ont tous deux reconduites en mai dernier pour tenter d’influencer le vote), l’emprise du chavisme sur les masses est indélébile. C’est pourquoi Corina Machado et López s’appuient sur les États-Unis pour renforcer leur arsenal contre le Venezuela.
C’est aussi pourquoi le PU a choisi González comme candidat, mais au cours de la campagne, ni González ni ses alliés n’ont présenté un véritable projet alternatif au chavisme. En fait, leur seule affirmation est qu’ils ne sont pas Maduro et qu’ils pourraient améliorer l’économie en cédant aux exigences états-uniennes. M. González a largement dissimulé son propre passé, qui a été enterré derrière des affirmations selon lesquelles il n’était qu’un simple diplomate. Ceux qui se souviennent de son mandat en tant que fonctionnaire d’ambassade au Salvador ont des choses différentes à dire sur cette figure de grand-père (2). En juillet 1981, González est affecté à l’ambassade du Venezuela au Salvador, où il travaille directement sous les ordres de l’ambassadeur Leopoldo Castillo. Pendant son séjour – rapporte la diplomate colombienne María Catalina Restrepo Pinzón de Londoño – il était directement rattaché à l’ambassadeur Leopoldo Castillo, et a collaboré avec les escadrons de la mort contre les guérillas de gauche. L’une des dirigeantes de cette guérilla, Nidia Díaz, rappelle dans son autobiographie (« Nunca estuve sola ») que lorsqu’elle était en prison, il y avait des Vénézuéliens parmi ses tortionnaires. Díaz ne dit pas que González l’a torturée directement, mais il faisait certainement partie de ceux qui ont participé à l’opération. Voilà ce que cache la figure du doux « grand-père » devenu aujourd’hui le candidat fantoche de l’extrême droite contre Maduro. Malade, évanoui plusieurs fois dans ses rares meetings tenus ces dernières semaines, il a été imposé par la candidate d’Israël et des États-Unis : l’oligarque Maria Corina Machado. Proche du Likoud, elle a écrit à Netanyahou pour lui demander de l’aider à changer le régime, et a participé depuis 2002 à tous les coups d’État et violences contre les présidents élus Chavez et Maduro (violences relookées par les médias en 2014 et en 2017 en « révoltes-populaires-contre-la-dictature »). Machado compte bien, en cas de victoire de son « poulain » en sursis vital, passer rapidement de la vice-présidence à la présidence pour appliquer un programme copié/collé de son proche allié, l’argentin Milei : détruire l’État et les services publics, privatiser les entreprises publiques, les centres de santé, revendre les millions de logements construits par la révolution, remettre l’armée sous contrôle des États-Unis et leur offrir le pétrole, sans oublier l’accord sécuritaire signé avec Israël, en cas de résistance des mouvements sociaux.
Les médias ont occulté les 930 sanctions contre le #Venezuela pour imputer la « crise » et les exodes à la révolution. Le Washington Post admet aujourd’hui que ces sanctions ont causé « une contraction économique trois fois plus forte que la Grande Dépression aux USA ». Et que Washington applique actuellement des sanctions unilatérales illégales contre un tiers des pays du monde, dont 60 % des nations les plus pauvres. Ces sanctions états-uniennes, appliquées pour la première fois en 2005 pour renverser le gouvernement d’Hugo Chávez, définissent l’économie vénézuélienne. Il fut un temps où l’État vénézuélien dépendait des revenus du pétrole pour 90 % de ses finances. À la mi-2014, le boom pétrolier a pris fin avec l’effondrement des prix du pétrole brut, amplifié par l’augmentation des sanctions américaines et les menaces d’attaque armée contre le Venezuela. L’impact des sanctions secondaires contre les institutions financières et les compagnies maritimes a asséché les revenus du Venezuela et poussé l’État à prendre des mesures d’urgence pour maintenir les besoins de base du projet bolivarien. »
Lors de plusieurs visites entre 2014 et 2024, j’ai été impressionné à la fois par l’impact impitoyable des sanctions et par la mobilisation politique du gouvernement Maduro pour expliquer la situation à la population. Les privations ont provoqué une angoisse énorme, entraînant une baisse de l’alimentation et des migrations massives. J’étais à Caracas en février 2021 lorsque la rapporteuse spéciale des Nations unies, Alena Douhan, a donné une conférence de presse sur l’impact des sanctions. Ses conclusions étaient claires : « Le manque de machines, de pièces détachées, d’électricité, d’eau, de carburant, de gaz, de nourriture et de médicaments, la pénurie croissante de travailleurs qualifiés, dont beaucoup ont quitté le pays à la recherche de meilleures opportunités économiques, en particulier le personnel médical, les ingénieurs, les enseignants, les professeurs, les juges et les policiers, ont un impact énorme sur toutes les catégories de droits humains, y compris les droits à la vie, à l’alimentation, à la santé et au développement ». Le Center for Economic and Policy Research (CEPR, Washington) estime qu’elles ont entrainé la mort de 100.000 patients, privés de médicaments. La situation s’est améliorée depuis 2021, en grande partie grâce à l’accord de la Barbade signé en octobre 2023 entre le gouvernement vénézuélien et l’opposition, et à l’entrée d’autres pays (tels que la Chine, l’Iran, la Russie et la Turquie) dans les échanges commerciaux avec le Venezuela. Mais le chemin à parcourir est long et difficile.
Déjà, lors des élections présidentielles de 2020, les sanctions ont occupé le devant de la scène. Elles restent le principal enjeu de ces élections. Contrairement aux autres partis en lice (37 au total), l’extrême droite a annoncé qu’elle ne reconnaitrait que « ses propres résultats »… Si les élections sont considérées comme équitables par les centaines d’observateurs internationaux présents sur place, l’accord de la Barbade pourrait conduire à un assouplissement des sanctions par les États-Unis. Les États-Unis aimeraient voir plus de pétrole vénézuélien entrer sur le marché, non pas pour aider le peuple vénézuélien, mais pour fournir de l’énergie à l’Europe, compte tenu des sanctions imposées à la Russie. Mais les contradictions sont trop nombreuses. Les États-Unis nieront sans doute la légitimité des élections en cas de victoire de Maduro et permettront que les sanctions empêchent le pétrole vénézuélien de soulager les Européens.
Le narratif de la « fraude de Maduro » est martelé depuis longtemps par l’extrême droite et par sa grande alliée : l’homogénéité médiatique. Il a suffi que Nicolas Maduro dise redouter « un bain de sang » (vu l’expérience de 24 ans) en cas de retour de l’extrême droite raciste au pouvoir, pour que de CNN à Globo ou au Figaro, un chœur parfait entonne que « Maduro-menace-d’un-bain-de-sang-en-cas-de-défaite » (3) ! Si l’extrême droite perd, les bots seront activés pour neutraliser l’opinion mondiale sur le thème « Maduro le dictateur fraude pour rester au pouvoir« , et pour légitimer des violences voire une agression depuis l’extérieur. Le plan est prévisible, déjà vécu, et dangereux. Le politologue espagnol Juan Carlos Monedero, ex-dirigeant de Podemos, observe que « curieusement alors que les courants progressistes occidentaux s’élèvent contre l’extrême droite partout dans le monde, ils ne le font pas au sujet du Venezuela. »
Invisibilisés par les médias (car ils détruiraient son narratif de « dictature »), les nombreux meetings de campagne de M. Maduro à travers le pays ont été enthousiastes et massifs. Les chavistes l’encouragent, leurs chemises rouges luisant de sueur sous le ciel chaud du Venezuela. « Nous allons gagner », affirme le président, ancien chauffeur d’autobus et syndicaliste du transport public, dont les discours humoristiques ne cachent pas les défis. Pas de faux-fuyant. Maduro est clair : le Venezuela est mis à l’épreuve. Le peuple vénézuélien poursuivra-t-il le processus bolivarien ou reviendra-t-il au terrible passé de l’oligarchie ?
Source : revistadefrente