Musulmans : suspects ou victimes ? Islamisme et islamophobie

À nouveau frappée par des attentats, la France est devenue l’épicentre du soi-disant choc des civilisations. D’un côté, les néoconservateurs de tous poils attaquent l’islam au nom de nobles valeurs occidentales. De l’autre, les islamistes réactionnaires prétendent vouloir se venger de ces nouveaux croisés. Sans une analyse profonde et rationnelle de ces enjeux qui n’ont malheureusement rien de nouveau, nous resterons condamnés à voir ces deux blocs monopoliser le débat et le conflit s’envenimer. C’est pourquoi après le terrivle attentat de Charlie Hebdo en 2015, Michel Collon avait écrit le livre “Je suis ou je ne suis pas Charlie” avec pour objectif de dépasser les contradictions des discours dominants et de sortir par le haut de ce choc que l’on nous dit inévitable. Nous vous en proposons un extrait pour alimenter votre réflexion sur les tristes événements de l’actualité.


 

 

« Excusez-vous ! » Tout comme le 11 septembre 2001, le 7 janvier 2015 a déclenché une pression psychologique intense sur les musulmans, sommés de se démarquer, voire de s’excuser. Sous prétexte que ce crime barbare a prétendument été commis au nom de leur religion.

Dans la semaine qui a suivi l’attentat, les agressions islamophobes commises en France ont battu tous les records : 116 en deux semaines soit le double des statistiques de janvier 2014. Quatorze femmes voilées ont été brutalement agressées en quelques jours à peine.[1] Bien entendu, le nombre d’actes non suivis de plaintes est plus important encore. Tout cela sans que les médias y prêtent une grande attention.

Une confusion a été entretenue : l’attentat de Paris est une action politique et non  pas religieuse. Pour dissiper cette confusion, nous pensons qu’il faut clarifier plusieurs points : 1. Les musulmans doivent-ils « s’excuser ? » 2. Qu’est-ce que l’islamisme ? 3. Qu’est-ce que l’islamophobie ? 4. Comment se répand-elle ? 5. A qui profite-t-elle ?

 

Les musulmans doivent-ils s’excuser ?

L’attentat a renforcé un climat général déjà très pesant à l’encontre des musulmans. Depuis le 11 septembre 2001, ils sont constamment suspectés d’être – de par leur religion même – portés vers l’extrémisme ou en tout cas trop conciliants avec les extrémistes. On les somme donc de condamner fermement les crimes de leurs « coreligionnaires ». Et plus généralement, on sous-entend que les musulmans vivant en France refuseraient de « s’intégrer » et de partager « ses valeurs », ils se complairaient dans le statut de victimes, ils ressasseraient leur frustration…

Incompréhensible, cette frustration ? Et si on se mettait un peu à leur place ? Imaginons qu’un pays musulman bombarde successivement la Hollande, le Danemark, la Pologne, la Bulgarie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Belgique, la Suisse et la France, soit dix pays de l’Europe chrétienne, imaginons que les chrétiens vivant dans ce pays musulman soient systématiquement discriminés pour l’emploi, le logement ou les contrôles policiers en rue, supposons qu’un fanatique d’extrême droite ait massacré 77 chrétiens ou « complices » des chrétiens, supposons que les journaux et les intellectuels de là-bas se moquent avec obscénité de Jésus Christ, est-ce que certains chrétiens ne finiraient pas par s’énerver ?

Eh bien, les Etats-Unis et leurs alliés ont fait tout cela ces dernières années ! Ils ont bombardé la Palestine, le Liban, l’Afghanistan, le Pakistan, la Somalie, le Soudan, le Yemen, la Libye, la Syrie et le Mali, soit dix pays où vivent des musulmans, et pendant tout ce temps, des intellectuels occidentaux n’ont cessé de dénigrer la culture musulmane comme étant inférieure (nous, Occidentaux, sommes toujours « les meilleurs »), des penseurs US ont répandu la théorie de la « guerre des religions », des livres islamophobes ont fait un tabac dans les médias et dans l’hystérie ainsi créée, à Oslo, le 22 juillet 2011, un certain Anders Breiviks a attaqué le camp de la Ligue des Jeunes Travaillistes de Norvège, massacrant froidement 69 adolescents « complices des musulmans », et, en plus, pendant toutes ces années, des blagues racistes anti-arabes et antimusulmanes n’ont cessé de déferler dans les médias européens. D’abord à l’extrême droite, puis à droite, et enfin dans certains médias se disant de gauche…

Pourtant, l’immense majorité des musulmans a rejeté les actions terroristes. Seule une infime minorité y a participé ou les a approuvées. Des gens manipulés par « nos amis » d’Arabie saoudite.

Les musulmans qui ont condamné l’attentat contre Charlie ne l’ont pas fait – et ils n’avaient pas à le faire – en tant que « musulmans », mais seulement en tant qu’êtres humains et citoyens, français ou autres. Ils n’ont pas à s’excuser ou à se « justifier ». Poser cette question, c’est déjà discriminer et commettre une injustice.

 

« C’est Dieu qui m’a ordonné … »

Quand George W. Bush affirme en 2003, quatre mois après avoir déclenché sa guerre criminelle : « C’est Dieu qui m’a ordonné de mettre fin à la tyrannie en Irak » et qu’il prétend que Dieu lui aurait également dit  : « George, va combattre ces terroristes en Afghanistan »[2],  est-ce qu’alors tous les chrétiens du monde doivent s’excuser en tant que chrétiens pour les crimes commis par le président des Etats-Unis ? Quand Ariel Sharon ou Benyamin Netanyahou assassinent des milliers de Palestiniens à Gaza en prétendant le faire « au nom du peuple juif », est-ce qu’alors tous les juifs du monde doivent s’excuser en tant que juifs ? Quand l’Eglise interdit les préservatifs aux Africains créant ainsi d’innombrables victimes du sida, ou quand elle interdit le mariage des prêtres créant ainsi des générations entières de frustrés et de pédophiles, est-ce que tous les catholiques doivent s’excuser pour des actes du Vatican que la plupart désapprouvent ? N’est-ce pas à chacun, quelle que soit sa religion, de prendre position et de se battre contre tout ce qu’il estime injuste ?

 

Une « essence » du musulman ?

La base théorique de ce racisme islamophobique est un raisonnement (si on peut appeler cela ainsi !) qui attribue aux musulmans une « identité », laquelle découlerait du Coran et ferait d’eux un groupe homogène, porteur d’un projet commun à l’encontre de nos institutions et nos valeurs. L’opposé et l’adversaire en quelque sorte de « l’identité française », propagée par Sarkozy.

Peu importe qu’il y ait chez les musulmans comme partout des caractères différents, des métiers différents, des positions sociales et politiques différentes, des attitudes diverses envers la foi, non, c’est tous dans le même sac, tous définis par « l’essence musulmane » ! De même, les « Français de souche », selon le terme couramment employé, seraient caractérisés par une identité française qui leur serait propre dès la naissance et qui découlerait de « nos ancêtres les Gaulois » bien que ce mythe soit démenti par les historiens sérieux.[3]

Dans le domaine du dessin, cet essentialisme consiste à « racialiser » le musulman en le présentant toujours sous des traits ridicules ou haineux. La vision dominante ramène le « racialisé » à ce qui le caractériserait : sa culture, sa religion, sa couleur de peau. Et sa bêtise. Dans le temps, le juif était « racialisé » comme un voleur cupide. Aujourd’hui, le musulman est « racialisé » comme un fanatique, un arriéré ou les deux.

 

Stigmatisation collective

On ne doit pas sous-estimer les conséquences de cette « stigmatisation collective des musulmans », souligne le politologue belge Sami Zemni, « et pas seulement des jihadistes. Les musulmans sont confrontés quasi journellement aux images médiatiques et aux récits auxquels ils sont sommés de réagir… en tant que musulmans. Le racisme quotidien qui n’est plus, depuis longtemps, réservé à l’extrême droite, présuppose que le musulman n’est rien d’autre que son « essence de musulman », le musulman tel qu’il est produit par l’essence de l’islam. De cette façon, on ôte au musulman son humanité car l’image qu’on lui impose est préfabriquée. S’il ne répond pas à cette image, alors il est soupçonné de pratiquer le double discours ou de cacher sa vraie nature. Cette forme primaire de racisme fait du musulman un non-humain au sens littéral. »[4]

Cet « essentialisme » raciste est-il imposé aux seuls musulmans ? Non. En sens inverse, nous recevons parfois sur notre page facebook d’Investig’Action des commentaires comme celui-ci : « Les deux seuls et uniques problèmes sur cette planète sont les occidentaux et les juifs, si vous lisez vos livres d’histoires vous comprendrez que le monde va mal à cause d’eux, colonisateurs, menteurs, complotistes, assassins, arrogants et j’en passe… »

A quoi nous répondons ceci : « Nous pensons qu’il ne faut pas généraliser pour éviter de tomber dans le racisme. Oui, l’Occident a pratiqué le colonialisme, la traite des esclaves et pille les ressources du tiers monde. Mais cela a été décidé et dirigé par une petite élite qui en a profité. Des Occidentaux ont aussi lutté et luttent contre ces injustices et contre les guerres de l’Occident. Donc,  il faut distinguer de quel côté chacun se place.

Il en est de même pour les juifs. Certains juifs ont développé et appliqué la théorie sioniste du colonialisme et d’autres l’ont combattue. Aujourd’hui, certains juifs soutiennent Netayanhou et ses pratiques de colonisation, de nettoyage ethnique et d’apartheid, tandis que d’autres juifs les combattent de diverses manières y compris en refusant le service militaire, en organisant des manifestations, en collaborant activement avec les Palestiniens. Ces juifs-là sont d’autant plus courageux que c’est difficile, et, ces juifs-là, nous les soutenons chaleureusement.

Nous pensons donc qu’il faut toujours faire une distinction entre les élites profiteuses et les gens qui en sont victimes. Attention donc de ne pas mettre tous les gens d’une nation ou d’une communauté dans le même sac, chacune est traversée par une lutte entre le juste et l’injuste. »

 

Interdit de critiquer ?

Il y a les racistes purs et durs qui agressent l’islam. Mais il y a aussi des gens qui, de bonne foi, plaident pour « ménager les musulmans », car ils ne seraient pas encore prêts à accepter les critiques sur l’islam. N’est-ce pas aussi une forme de racisme quoique plus « soft » ?

Sortons du paternalisme. Bien sûr qu’on peut critiquer l’islam comme n’importe quelle religion. Par exemple, ses écoles de pensée « créationnistes » qui refusent Darwin et l’évolution des espèces. Mais critiquer l’islam de quelle manière et dans quel but, ? C’est la question posée par Sami Zemni : « Nombre d’intellectuels et analystes (aussi bien musulmans que non-musulmans) mettent l’islam en discussion d’une manière très profonde. Le problème n’est donc pas qu’il y ait une critique, mais (la) manière. On nous somme en permanence de critiquer l’islam. Avant qu’on puisse parler des structures qui sont à la base de l’exploitation, de l’oppression et de la violence pratiquées au nom de l’islam, nous devons nous excuser… Ceux qui participent à ces lamentations publiques ne sont en fait pas vraiment préoccupés par une véritable critique intellectuelle. C’est plutôt une pose, une attitude. (…) « La critique envers l’islam est légitime et fructueuse si elle dévoile aussi les mécanismes sociaux d’oppression et les structures d’exploitation. »[5]

La version paternaliste de l’antiracisme prétend que nous, Européens, devons être tolérants et patients envers les musulmans afin de les aider à atteindre notre niveau en quelque sorte. La version non paternaliste de l’antiracisme affirme au contraire que chaque culture a quelque chose à apprendre des autres, qu’en échangeant et débattant, l’enrichissement sera mutuel. En écoutant les peuples du Sud, nous avons beaucoup à apprendre sur le caractère monstrueux du colonialisme dans lequel nous avons été éduqués depuis tout petits et qui n’est pas encore disparu de nos têtes.

 

« Islamisme », un concept fourre-tout et trompeur

Les médias parlent sans cesse de l’ « islamisme » sans faire de distinction mais je suis convaincu qu’il s’agit d’un « concept fourre-tout » qui sème la confusion. En effet :

– L’Arabie saoudite « islamiste » collabore avec les USA et Israël. Mais le Hezbollah « islamiste » les combat.

– En Egypte, les Frères musulmans pactisent avec Washington et Tel-Aviv. Au contraire du Hamas palestinien, pourtant issu des mêmes Frères.

– Au nom de la « lutte pour la démocratie », les jeunes djihadistes islamistes français et belges ont été applaudis en partant en Syrie, mais emprisonnés au retour.

– Obama bombarde Daesh, mais Hillary Clinton reconnaît que ce sont les Etats-Unis qui ont créé Al-Qaida.

Pour en sortir, nous avons donc besoin non pas d’étiquetages rapides et d’amalgames superficiels, mais de véritables explications basées sur l’Histoire réelle du Moyen-Orient  et sur l’analyse nuancée des phénomènes actuels du monde musulman. Comme Grégoire Lalieu et Mohamed Hassan l’ont bien expliqué dans Jihad made in USA[6], il n’existe pas un islamisme mais cinq courants différents. Et ces courants sont très contradictoires puisque Washington soutient certains islamistes et combat les autres.

 

A propos de Charlie, ce Hezbollah qu’il est interdit d’écouter

Dans nos médias, le mouvement de résistance Hezbollah est présenté comme terroriste et fanatique tandis que l’Arabie saoudite et le Qatar sont présentés comme des modérés et alliés naturels de l’Occident. Mais si on dépasse les étiquettes pour s’informer à la source…

Prenons l’attentat contre Charlie. Les Saoud ont envoyé hypocritement un ambassadeur manifester à Paris. Mais leur véritable place serait plutôt au tribunal. Sur le banc des accusés, car ce sont eux et leurs imams fanatiques qui ont endoctriné les frères Kouachi comme ils ont endoctriné dans la haine et le fanatisme des milliers de combattants terroristes en Afghanistan, puis au Moyen-Orient.

Le contraste est frappant avec ce qu’a déclaré à propos de l’attentat contre Charlie Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, toujours diabolisé et à qui on ne donne jamais la parole : « A travers leurs actes immondes, violents et inhumains, ces groupes extrémistes takfiristes font plus de tort au prophète que les caricatures occidentales et le tort qu’ils ont causé à l’islam est sans précédent dans l’histoire. Ces groupes takfiristes prétendent suivre l’islam mais ils font plus de tort à l’islam, au Coran et au prophète… que ceux qui ont insulté le prophète dans des films ou l’ont caricaturé. »[7] Daesh plus grave que Charlie ! Les Saoud plus dangereux que les non-croyants ! Bien sûr, les médias n’ont pas relayé. On n’écoute pas « les méchants ».

Si l’Europe et les Etats-Unis croyaient vraiment aux grands principes qu’ils affichent, ils devraient sortir le Hezbollah de leur liste des organisations terroristes et y placer l’Arabie saoudite. Mais les règles du fric dominent celles de la morale. Un jour, il faudra quand même se demander pourquoi nos « amis » sont fanatiques et sanguinaires et nos « ennemis » plus ouverts et tolérants.

 

« Détruisez toutes les églises ! »

Les médias français et occidentaux critiquent de temps en temps l’un ou l’autre excès des Saoud. Mais jamais on ne les verra lancer une campagne contre ce régime le plus arriéré et le plus féodal de la planète. Ils dénoncent ce qu’il est impossible de dissimuler mais ne cherchent pas à montrer au public qu’il est urgent de cesser de soutenir ces ennemis de l’humanité qui répandent le fanatisme et la criminalité politique.

Il est donc ahurissant d’entendre nos médias occidentaux décrire à tout bout de champ l’Arabie saoudite comme un régime « modéré » alors que, selon le cheikh Abdul Aziz ibn Abdullah, grand mufti d’Arabie saoudite, il « est nécessaire de détruire toutes les églises de la région ».[8] Selon lui, l’islam serait la seule religion autorisable dans toute la péninsule arabique.

Sur le plan religieux, les dirigeants saoudiens nient le message d’amour et de justice présent dans le Coran. Ils le remplacent par une doctrine de répression et de crainte. Les mouvements terroristes qu’ils financent ont complètement déformé la signification du jihad qui implique en premier lieu un combat contre soi-même pour être davantage capable de faire rayonner la justice et le respect. La conception wahhabite du jihad est raciste, violente et pour tout dire primaire. Se sachant incapables de convaincre sur le plan des idées, les Saoud peuvent seulement imposer leurs règles par la violence et la peur.

 

Où Daesh va-t-il chercher son inspiration ?

Après s’être tus pendant trois ans, les médias occidentaux poussent à présent des cris d’horreur devant les agissements de Daesh. Sans jamais expliquer d’où provient sa doctrine. Les manuels de religion utilisés dans les régions contrôlées par Daesh sont amenés d’Arabie saoudite. Il est également instructif de comparer le code pénal et les épouvantables châtiments infligés par Daesh avec les pratiques de l’Arabie saoudite.…

En Arabie saoudite, le blasphème, les actes homosexuels, l’apostasie (le fait de renier sa foi) et le meurtre sont punis de mort. Pareil chez chez Daesh. En Arabie saoudite, l’adultère, si la personne est mariée, est puni de mort par lapidation. Pareil chez Daesh. La calomnie et la consommation d’alcool sont punies en Arabie saoudite à la discrétion du juge et chez Daesh par 80 coups de fouet. Le vol est puni par l’amputation d’une main tant en Arabie saoudite que chez Daesh. Le vol en bande organisée par l’amputation des mains et des pieds en Arabie saoudite comme chez Daesh. Le meurtre et le vol en bande organisée sont punis en Arabie Saoudite par la mort et chez Daesh par la mort par crucifixion. « Modérés », nos amis de Riyad ? Tombée du ciel, l’idéologie sanguinaire de Daesh ?

 

Pourquoi les femmes ne peuvent conduire

L’Arabie Saoudite est une monarchie islamique absolue où la famille Saoud détient l’ensemble des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il n’y a pas de Constitution (tout comme en Israël). La surveillance islamique a pour tâche de valider chaque décision du gouvernement. Elle est composée de deux institutions : le Haut Conseil des Oulémas (une centaine de théologiens nommés par le roi), et la Présidence générale pour la condamnation du vice et la promotion de la vertu (police religieuse spécifique à l’Arabie saoudite).

Ce n’est pas un hasard si en Arabie saoudite, l’Etat et la religion sont confondus en une religion d’Etat ultra-répressive. C’est la façon la plus efficace d’empêcher la démocratie et de garder le contrôle privé sur les ressources naturelles gigantesques de la région.

Pour empêcher l’émancipation des citoyens et les maintenir dans une terreur profitable, les dirigeants saoudiens, grands alliés de Hollande, Fabius et Cie, professent les pires imbécilités. Ainsi, les femmes ne peuvent pas conduire selon Cheikh Saleh al-Lehaydan, consultant judiciaire et psychologue auprès de l’Association psychologique du Golfe, car « si la femme devait conduire sans que ce soit utile, cela pourrait l’affecter d’un point de vue physiologique ; le cas a été étudié dans le domaine de la physiologie fonctionnelle et il s’avère que les ovaires sont automatiquement affectés, que la poussée du bassin est contrariée, et c’est ce qui explique que la plupart des femmes qui conduisent régulièrement des voitures donnent naissance à des enfants qui présentent des problèmes de santé d’ordres variés. »[9] La gynécologie selon « nos amis » de Riyad.

 

Figée ou ouverte, deux versions de l’islam

Le cliché d’un islamisme unique et fourre-tout sème la confusion. En réalité, comme le christianisme, le judaïsme et toutes les religions, l’islam est traversé par différents courants, les uns réactionnaires, les autres progressistes. Reflétant des écoles d’interprétation, oui, mais qui ne tombent pas du ciel, ces courants sont étroitement liés aux conditions politiques et sociales des sociétés où ils se développent. Si l’islam se divise en deux, alors la gauche française laïque a tout intérêt à étudier le phénomène de plus près…

L’interprétation figée de l’islam interdit aux citoyens de réfléchir avec leurs propres cerveaux pour comprendre les textes et les adapter au contexte où ils vivent. Les traditionalistes veulent imposer un islam figé qui exige d’obéir sans réfléchir à des paroles prononcées il y plus de treize siècles dans un tout autre contexte où elles représentaient alors un progrès par rapport aux règles qui dominaient à l’époque. Dans cette interprétation réactionnaire de la religion, le croyant doit rester fataliste et passif. C’est-à-dire se soumettre au diktat des pouvoirs théologico-pétro-monarchistes.

Mais cet islam fossilisé, qui se montre souvent raciste et intolérant, n’est pas du tout le courant principal parmi les croyants. L’immense majorité des citoyens français et européens rejettent autant la dictature des Saoud que le mode de vie et de pensée qu’ils prétendent imposer.

A l’opposé des fossilisés, il existe une lecture du Coran, dont on parle bien trop peu, une lecture ouverte et progressiste  insistant sur le fait que ce texte doit être placé dans son contexte historique, qu’il a été écrit dans l’Arabie du 7ème siècle, donc dans des circonstances précises et que c’est la responsabilité des croyants d’aujourd’hui de l’interpréter à partir du sens profond de leur religion.

Pour le chercheur Rachid Benzine, « l’histoire peut combattre les folies de l’idéologie en montrant par exemple la diversité des manières d’être musulman. Ce sont les hommes de chaque époque qui reconstruisent le sens et font évoluer la lecture en fonction des crises et des drames de leurs temps. »[10] Pour le psychanalyste Fethi Benslama, « (il faut) une religion réflexive. Les mouvements appelés radicaux ou islamistes ont fondé leur doctrine sur l’idée que l’islam signifie soumission. On oublie que ce mot est polysémique : il peut signifier tout autant paix ou salut ».[11]

Cette autre lecture de l’islam appelle les musulmans à contribuer, en tant que citoyens et en tant que croyants, à la construction d’une société plus juste et plus pacifique.  Ceci est l’intérêt de la grande majorité, mais pas de tout le monde…

 

Le sectarisme divise la résistance

C’est pourquoi le sectarisme, attisant les antagonismes entre les divers courants de l’islam, ne tombe pas du ciel non plus. D’un côté, explique le politologue Mohamed Hassan, « les impérialistes ont toujours craint de voir les peuples du Sud s’unir. Avec leur vision sectaire, les islamistes réactionnaires avaient et ont toujours le profil de l’allié idéal. Par ailleurs, ces dictateurs féodaux totalement déphasés avec notre époque ne peuvent compter sur un soutien massif des populations pour rester au pouvoir. Ils sont donc totalement dépendants de l’appui et de la protection que leur apportent les impérialistes. Ainsi, les puissances occidentales, qui prétendent défendre la démocratie et les droits de l’homme à travers le monde, entretiennent des rapports ultra-privilégiés avec des pays comme l’Arabie saoudite. »[12] En fait, les Saoud, fidèles serviteurs du colonialisme, mettent en pratique la stratégie de leurs maîtres : « Diviser pour régner ».

De l’autre côté, des musulmans qui veulent une société meilleure auront à cœur d’unir toutes les forces qui peuvent faire reculer l’injustice. Les musulmans progressistes combattent les oppresseurs et les agresseurs, même s’ils sont musulmans Et ils s’allient à tous ceux qui résistent, y compris s’ils sont chrétiens ou athées.

 

Source: Extrait du livre Je suis ou je ne suis pas Charlie (disponible sur notre boutique en ligne)

 

[1] Observatoire national de l’islamophobie.

[2] BBC, cité dans www.courrierinternational.com/breve/2005/10/07/george-w-bush-parle-avec-dieu

[3] Saïd Bouamama, La France. Autopsie d’un mythe national, Paris, Larousse, 2008.

[4] Sami Zemni, Drama, fatwa en media: over vrijheid, kritiek en lange tenen, www.dewerldmorgen.be, 13 janvier 2015.

 

[5] Sami Zemni, Drama, fatwa en media: over vrijheid, kritiek en lange tenen, www.dewerldmorgen.be, 13 janvier 2015.

 

[6] Grégoire Lalieu, Jihad made in USA, Entretiens avec Mohamed Hassan, 2014, p. 175.

[7] Daily Star (Liban), cité dans Russia Today, rt.com 10 janvier 2015.

[8] La Croix (France), 29 septembre 2013.

[9] Interview au journal en ligne Sabq, coté dans globalvoicesonline.org, 22 septembre 2013.

[10] Nicolas Dutent, Ces intellectuels qui tissent un islam progressiste, L’Humanité, 12 février 2015.

[11] Idem.

[12] Grégoire Lalieu, Jihad made in USA, Entretiens avec Mohamed Hassan, 2014, p. 185.

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