Les assassinats de Nasrallah et d'Haniyeh, perpétrés par Israël et validés par les Etats-Unis, ont contraint l’Iran à « réagir ». En lançant une pluie de missiles balistiques, le 2 octobre, sur l’Etat colonial et génocidaire. A nouveau, le curseur des inquiétudes du camp de la paix est monté d'un cran... Folies israélo-iranienne en miroir ? Escalade guerrière régionale incontrôlable ? Ou « légitime défense d’Israël », s’interrogent en boucle les médias israélo-embarqués. Rien de tout cela, selon l’analyse de Saïd Bouamama (I’A).
Le décès du secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, lors d’un raid aérien sur Beyrouth particulièrement précis, permet de saisir de manière plus nette les véritables buts de guerre de l’Etat d’Israël depuis le 7 octobre.
L’ampleur des enjeux
Le génocide systématique du peuple palestinien, à Gaza et en Cisjordanie, depuis bientôt un an et les bombardements massifs du Liban, depuis une semaine, ne visent pas à la libération des otages du 7 octobre, ne se limitent pas à une volonté de briser le Hamas et le Hezbollah, ne visent pas seulement à sécuriser la frontière nord de l’Etat sioniste et ne se cantonnent pas à une simple logique de riposte ayant déclenchée une « escalade », comme l’affirment la plupart des articles de presse des grands médias et les déclarations publiques unanimes des chancelleries occidentales.
C’est en effet le concept d’escalade qui est au cœur de la plupart de ces articles de presse et de ces déclarations officielles. Ceux-ci s’inquiètent de l’escalade, appellent à la désescalade et à éviter l’extension régionale du conflit.
Toutes ces analyses ont un point commun : celui de prendre pour argent comptant les buts officiels de guerre de l’Etat sioniste qui masquent en réalité les véritables buts du génocide et de l’agression contre le Liban. Cette myopie initiale, volontaire pour certains et idéologiquement déterminée pour d’autres, conduit à confondre déclencheur et causalité.
Une telle confusion, volontaire ou non, conduit soit à présenter les choix stratégiques de l’Etat sioniste comme une énigme incompréhensible et imprévisible, soit à découpler ceux-ci des enjeux mondiaux qui en sont le véritable cadre.
« La stratégie d’Israël reste une boîte noire pour la plupart des analystes », explique ainsi France Info du 30 septembre. « L’élimination de Nasrallah ravive les craintes d’un conflit régional », complète le journal Les Echos du 29 septembre. « La mort du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah plonge la région dans l’inconnu », ajoute le journal La Croix du 28 septembre. Les déclarations des chancelleries, elles, s’inquiètent toutes d’un risque d’escalade, occultant ainsi que c’est justement une telle escalade que recherche l’Etat sioniste, parrainé par les Etats-Unis dans l’objectif de redessiner l’ensemble du contexte régional.
Iran : la cible qui cache la forêt multipolaire
De manière significative le nom officiel donné à l’opération militaire ayant conduit à la mort de Nasrallah est « Seder hadach » ou « Nouvel Ordre » indiquant ainsi la volonté d’imposer un nouvel ordre politique, non seulement à Gaza et en Cisjordanie, ni même étendus au Liban mais à l’ensemble de la région. La scène de cette offensive est, au minimum, régionale et certainement de dimension mondiale.
Il s’agit, ni plus ni moins, que de s’attaquer à l’Iran et, plus largement, aux dynamiques de rapprochement de pays aussi divers que l’Iran, la Chine, la Russie, le Venezuela, de nombreux pays africains, le Brésil, etc.
Bien que hétérogènes quant à leurs idéologies, à leurs projets politiques, à leurs choix économiques, aux classes sociales qui les dirigent, ces pays extrêmement divers se sont rapprochés dans un intérêt et une volonté commune de desserrer l’étau de l’hégémonisme des pays occidentaux sur les plans économiques, politiques et militaires.
Ni escalade imprévisible, ni folie de Netanyahou, ni décision unilatérale de Tel Aviv sans autorisation des Etats-Unis, le génocide et la guerre au Liban signifient une contre-offensive générale d’un hégémonisme états-unien ayant été contraint à de nombreux reculs par les succès de la logique multipolaire depuis deux décennies.
Redessiner totalement le Moyen-Orient
Point de passage entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe la région est sans aucun doute un des nœuds stratégiques mondiaux les plus important, si ce n’est le plus important de la planète. Couloir incontournable des « nouvelles routes de la soie » chinoise, la région et son contrôle, sont un enjeu essentiel dans l’affaiblissement du concurrent chinois que vise, depuis Obama, la stratégie états-unienne du pivot asiatique ayant pour but essentiel d’isoler et d’encercler la Chine.
Les outils pour parvenir à ce but de redessiner l’ensemble de la géographie politique régionale sont connus mais trop souvent analysés indépendamment les uns des autres alors qu’ils ne sont que des instruments au service d’un même but stratégique.
Le premier est la balkanisation des Etats par le biais de guerres contre des « dictatures », pour « défendre les droits de l’homme », pour « protéger des minorités », etc.
Le second outil est constitué par lesdites « révolutions arabes », c’est-à-dire soit par la création artificielle de « guerre civile » ou de « contestation sociales », soit par l’instrumentalisation et la récupération de révoltes populaires et légitimes pour les mettre au service de l’agenda états-unien.
Le troisième outil revient à susciter et encourager une alliance sunnite contre l’Iran ; ce qui a conduit aux multiples normalisations de pays arabes avec Israël, d’une part, et à la guerre au Yémen, d’autre part.
Guerre de longue durée
Le concept de « Nouveau Moyen-Orient » ou « Grand Moyen-Orient » est porté depuis le début de ce siècle par les Etats-Unis. Contraint de reculer devant l’évolution du rapport de forces mondial allant de l’émergence des BRICS à leur élargissement, de l’échec de l’armée israélienne au Liban, en 2006, à l’aide militaire russe à Assad en Syrie, du retrait contraint des forces états-uniennes d’Afghanistan, etc., les Etats-Unis reprennent aujourd’hui l’offensive pour regagner le terrain perdu.
Ce qui se joue ainsi en Palestine et au Liban est loin de ne concerner que les peuples palestinien et libanais mais porte, au contraire, des enjeux de dimension mondiale.
Resituer le génocide et la guerre contre le Liban dans ce véritable cadre permet d’en déduire un certain nombre de conséquences. La première d’entre elles est la durée de la guerre. Celle-ci ne sera pas de courte durée. Pour faire aboutir ses objectifs de retour à la normalisation d’Israël avec les pays arabes d’avant le 7 octobre et de retour à une alliance guerrière sunnite contre l’Iran, il ne suffit pas d’infliger des défaites militaires à la résistance palestinienne et au Hezbollah.
De tels objectifs supposent en premier lieu de couper le Hezbollah de la population libanaise qui le soutient en partie importante. La terreur permanente durable dans l’espoir de créer une rupture entre la population et le Hezbollah en découle. Ces objectifs supposent en second lieu un contrôle durable du Liban Sud ce qui nécessite un déplacement massif de la population. La guerre au Liban sera, on le comprend longue et meurtrière.
Ni simple folie de Netanyahou déroutant les pays qui soutiennent l’Etat d’Israël, ni simple réponse au Hamas et au Hezbollah à la suite du 7 octobre 2023, ni escalade incontrôlée dans une série d’actions et de réactions, etc., le génocide en Palestine et la guerre au Liban sont le signe d’une tentative de reprise d’initiative mondiale de l’hégémonisme états-unien porteuse de graves dangers de conflagration mondiale.
Saïd Bouamama
Pour aller plus loin :
– Le cauchemar du « Nouveau Moyen-Orient », Jean Michel Morel, Orient XXI du 27 mars 2023.
– Israël vise à éradiquer le Hezbollah et sa base populaire, Ibrahim al-Amin, Al-Akhbar, 27 septembre 2024.
Source : Investig’Action
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