Lahbib en Israël ou Tintin au pays des génocidaires

Les visites de la ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, en Cisjordanie et Israël ont ressemblé à un nouveau brassage de vent. Pire, la représentante du gouvernement belge a encore montré toute l’inanité d’une diplomatie belge faite de demi-mesures et de lâcheté vénale tandis que le génocide des Palestiniens de Gaza entre dans son sixième mois… 

Les 27 et 28 mars, Hadja Labhib, ministre belge des Affaires étrangères, s’est rendue en Israël-Palestine pour rappeler les demandes de la Belgique au chef de la « diplomatie » israélienne, puis, à son homologue palestinien Riyad al-Maliki et au Premier ministre sortant de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh.

A Sderot, aux côtés d’Israël Katz, ministre israélien des Affaires étrangères, Hadja Lahbib a lâché une première « phrase qui tue » : « Nous sommes d’accord sur les objectifs [d’Israël] mais pas sur les moyens. »

Hallucinante, la phrase a été prononcée à l’heure où Gaza hurle famine et est ravagée par les maladies infectieuses (plus d’un million de cas) ; à l’heure où les tués et les disparus palestiniens dépassent les 50.000 cadavres ; à l’heure où – faute de matériel médical, bloqué par l’Etat colonial – des amputations de bras et de jambes sont effectuées « à vif », sans anesthésie, sur des milliers de blessés palestiniens dont une grande partie sont des enfants…

« Mesurez-vous ce que vous dites ? »


Suite à cette phrase de Labhib, le couroux de Pierre Galand, ex-sénateur et président de l’ABP (Association Belgo-Palestinienne), ne s’est pas fait attendre :

 « Mesurez-vous ce que vous faites et ce que vous dites ? », tonne l’ancien sénateur belge dans un communiqué à l’adresse de la ministre. « Ce que les Palestiniens de Gaza attendent de vous, c’est une condamnation ferme et sans réserve de la guerre génocidaire contre Gaza. Vos relations diplomatiques avec le partenaire israélien, que vous qualifiez de “franches, ouvertes et sans tabou”, risquent tout simplement d’apparaitre comme une grave compromission avec les auteurs d’un génocide. »

Pierre Galand tente ensuite de pallier à la « distraction » du gouvernement De Croo, en lui rappelant la signification minimale de la dernière résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que les ordonnances de la Cour Internationale de Justice (CIJ) :

« Nous rappelons au gouvernement belge que la résolution 2728, adoptée ce lundi 25 mars par le Conseil de sécurité, exige un cessez-le-feu immédiat. Elle oblige l’ONU et ses membres à intervenir, de la même manière que s’imposent les ordonnances de la CIJ du 26 janvier 2024. Le gouvernement israélien a annoncé qu’il n’entendait respecter ni l’une ni les autres. »

Afin d’éviter l’accusation de complicité de génocide, selon Galand, le gouvernement belge « se doit de prendre d’urgence des mesures. Dans un premier temps, convoquer l’ambassadeur d’Israël pour lui signifier que la Belgique ne peut se satisfaire des refus opposés par son gouvernement à la CIJ et au Conseil de sécurité des Nations-Unies et que, sans un revirement de sa décision de poursuivre la guerre, la Belgique prendra des sanctions politiques et économiques contre Israël pouvant aller jusqu’à la suspension totale de nos relations diplomatiques avec lui. »


Complicité belge avec l’Etat génocidaire


De son côté, l’activiste belge Nordine Saidi, membre de Mouvement Citoyen Palestine, a fustigé sur Facebook « une hypocrisie flagrante qui imprègne la diplomatie belge » :

« Les mots de la ministre Hadja Lahbib résonnent comme le chant funèbre d’une diplomatie complice d’un génocide. “Nous sommes d’accord sur les objectifs, mais pas sur les moyens” … en réponse au génocide en cours à Gaza ? Cette déclaration trahit la complicité insidieuse du gouvernement belge avec les bourreaux de Gaza, une trahison de l’humanité au nom du pouvoir et du profit. »

Et Nordine Saidi de souligner que l’évidente partialité pro-israélienne du gouvernement belge, au-delà de ses déclarations fumeuses et pseudo-humanitaire :  

« L’hypocrisie de la diplomatie belge révèle la véritable nature de ceux qui prétendent défendre les droits de l’homme tout en concluant des accords avec le régime israélien sanguinaires et en fermant les yeux sur les atrocités commises au nom de la realpolitik. Alors que le génocide fait rage à Gaza, la Belgique prétend œuvrer pour la paix et les droits de l’homme, mais ses actions trahissent ses paroles creuses. A savoir : une complicité tacite avec l’occupation israélienne, une lâcheté déguisée en diplomatie. En réalité, la Belgique reste sourde aux cris de détresse du peuple palestinien. Ses condamnations timides et ses demi-mesures ne font que perpétuer l’impunité d’Israël et la souffrance des Palestiniens. »


« Le Hamas n’est pas un interlocuteur »


Foulant le sol de Cisjordanie jeudi passé, Hadja Labhib, décidément « inspirée », a annoncé la volonté belge d’imposer des sanctions aux colons israéliens vivant en Cisjordanie occupée. « La Belgique condamne les colonies et a décidé d’imposer des sanctions aux colons violents. Selon le droit international, ces colonies sont illégales », a déclaré la ministre, lors de sa visite du village de Al-Mazra’a al-Qibliya (Cisjordanie).

Arrêtons-nous un instant sur cette déclaration aux allures de promesse électorale. D’une part, le distingo incongru entre « colons violents » et autres colons (pacifiques, humanistes, antiracistes ?) n’a aucune pertinence politique ni juridique. D’autre part, on peut se demander comment la Belgique va précisément « sanctionner » ces colons israéliens alors que, depuis six mois, elle se montre incapable de rappeler son ambassadeur à Tel Aviv ou d’expulser de Bruxelles l’ambassadrice d’Israël – véritable machine à insulter tout mandataire ou médias belges qui ont « l’audace » d’exprimer des propos défendant les droits des Palestiniens ?

Au sujet de l’ambassadeur belge, Pierre Galand répond : « La Belgique doit sans retard rappeler son ambassadeur à Tel Aviv et appeler les autres membres de l’Union Européenne à en faire autant. » L’ex-sénateur enchaîne sur le blocus de Gaza : « avec l’UE et les moyens appropriés, y compris une intervention par la force, la Belgique se doit de briser le blocus et d’entrer à Gaza pour faire parvenir les secours humanitaires en suffisance à la population martyre gazaouie. »

Ensuite, Hadja Lahbib a enchaîné avec une seconde « phrase qui tue » : « Le Hamas n’est pas un interlocuteur »… Or, en Cisjordanie comme à Gaza, le Hamas et, plus largement, les organisations de la résistance palestinienne à l’occupation demeurent bien plus populaire que l’immobilisme corrompu de l’Autorité palestinienne, considérée par nombre de Palestiniens comme de vulgaires et riches collabos d’Israël.

« Une voix forte et inébranlable »

 
En guise de diplomatie, Pierre Galand préconise que l’Etat belge doit « avec le CICR, déployer une diplomatie active pour la protection des civils israéliens détenus par le Hamas et pour la protection de tous les prisonniers politiques palestiniens arrêtés en masse en Cisjordanie depuis le 7 octobre dernier. »

De son côté, à l’instar de millions de personnes à travers le monde, Nordine Saidi estime qu’aucun compromis n’est possible avec le fascisme israélien et génocidaire :

« Assez de compromis. Assez de faux-semblants. Assez de politiciens qui se drapent dans le manteau de la diplomatie pour dissimuler leur lâcheté et leur cupidité. Nous ne sommes pas d’accord, et nous ne le serons jamais, avec une élite politique qui marchande des vies humaines comme on négocie des marchandises sur un marché. Nous ne serons jamais d’accord avec une politique qui sacrifie des vies humaines sur l’autel des intérêts politiques et économiques. Nous ne nous laisserons pas bercer par des paroles creuses, des promesses vides, alors que des enfants sont tués sous nos yeux. »

Par conséquent, l’activiste belge en appelle à la désobéissance civile de tous les citoyens d’Europe : « Il est temps de rompre avec le statu quo, de défier nos propres politiques, de lever le voile sur les complicités tacites et les alliances honteuses qui permettent au régime israélien de régner en maître. Dans le fracas des bombes, de l’inaction internationale, et la complicité de nos gouvernements, il est temps de faire entendre notre voix, une voix forte et inébranlable, une voix qui clame la solidarité avec les opprimés, qui refuse de se plier aux intérêts politiques et économiques qui alimentent les flammes de la guerre et de la souffrance. »

« Uni, jusqu’à la victoire ! »


Participant, avec Michel Collon et Illan Pappé, à la conférence du GIPRI (Geneva International Peace Research Institute) le 20 avril prochain, Youssef Boussoumah, historien et activiste français, a récemment rappelé une évidence sociopolitique qui échappe visiblement à Hadja Lahbib :

« On ne pourra jamais forcer le peuple palestinien et 500 millions d’arabes à vivre avec un Etat raciste, fasciste et expansionniste pour l’éternité. Les Palestiniens sont un peuple qui aspirait à vivre libre, simplement, comme tous les peuples, et il n’a jamais cherché à opprimer un autre peuple. Mais, depuis la Nakba, c’est le seul peuple à qui on demande d’assurer la sécurité de ses oppresseurs ; c’est le seul peuple à qui on demande une vigilance à – surtout – ne pas être méchant avec ces colons qui sont arrivés et qui le piétinent depuis un siècle… »

A rebours de la ministre belge comme de la majorité des gouvernements européens, Youssef Boussoumah avance ensuite un élément de justice : « les envahisseurs devront payer leur crimes, comme les envahisseurs fascistes ont payé les leurs à Stalingrad en 1943, comme ils ont payé en Algérie, au Vietnam, en Afrique du Sud ! C’est l’effondrement du sionisme qui libérera tous les peuples de la région, du fleuve à la mer ! Ce que les juifs de la région, qui veulent continuer à y vivre, doivent comprendre ; ce que les juifs, d’Israël et d’ailleurs, doivent comprendre : c’est la victoire palestinienne qui va les libérer ! Elle va aussi libérer tous les juifs du monde qui n’auront plus cette épée de Damoclès de devoir soutenir un Etat fasciste, raciste et expansionniste. »

Et de conclure : « Il ne faut pas avoir peur de soutenir la résistance palestinienne. Il ne s’agit pas d’une guerre Israël-Hamas : il y a 14 organisations actuellement dans la résistance ! Il y a des forces à référent religieux comme Hamas, le Djihad islamique, des forces nationalistes comme le Fatah, et aussi des forces de gauche comme le FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), le FDLP (Front Démocratique de Libération de la Palestine), le Parti du Peuple Palestinien (PPP), c’est-à-dire l’ancien parti communiste. Donc, on vous ment lorsqu’on vous fait croire qu’il s’agit uniquement du Hamas : il s’agit de tout un peuple, uni, jusqu’à la victoire ! »


Olivier Mukuna

Source : Investig’Action

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