…Cette justice, surtout après 1947, avait pour mission de rompre avec le pouvoir résistant, et surtout de dissocier les différentes tendances de la Résistance, tout comme les préfets s’opposaient aux commémorations des associations d’anciens résistants et à l’édification de monuments souvenir (par exemple à Monceau les Mines en 1949). Le caractère des procédures ouvertes contre les anciens résistants apparaissait d’autant plus « décalé » que diverses lois d’amnistie précitées avaient déjà été votées au bénéfice des collaborateurs et que des officiers allemands précédemment condamnés à mort par contumace étaient acquittés.
Les résistants poursuivis étaient le plus souvent d’anciens Francs-Tireurs et Partisans, plus ou moins isolés du parti communiste auquel ils avaient appartenu et qui n’étaient donc pas en mesure de bénéficier d’un soutien conséquent. Le PCF avait procédé après la Libération à l’exclusion de certains résistants, au nom de « l’anti-titisme », souvent aussi parce qu’ils étaient simplement des militants « incontrôlables » se refusant à la discipline politique imposée parfois en raison de la contestation de certains dirigeants, comme J. Duclos, dont les positions durant la guerre n’avaient pas été claires.
Lorsque ces ex-résistants étaient suspectés par la justice d’affaires relevant du droit commun (par exemple, d’actes de pillages dans les maquis), le parti préférait prendre ses distances pour échapper au discrédit, dans une période de haute tension politique.
Si les cas sont nombreux, seuls sont encore connus, un demi-siècle plus tard, ceux qui ont fait l’objet d’études universitaires, à partir des archives locales. On peut citer, par exemple, le cas d’Émile Philippot, des FTP de l’Yonne, dont toute la famille est engagée dans la Résistance. Il est chargé des réquisitions pour le ravitaillement des partisans. Il dynamite des trains de marchandises et procède à l’exécution d’une informatrice de la Gestapo.
Arrêté par les Allemands pour « terrorisme », il est condamné par la Cour Spéciale de Dijon à perpétuité puis remis aux Allemands. Rien d’étonnant : « L’État Français » qui collaborait avec le Reich assimilait tous les résistants à des « terroristes », agents de Moscou, « siège d’une politique impérialiste renouvelée de la politique nationaliste des Tsars ».
Cette Résistance n’était qu’un « moyen de préparer une invasion issue des tendances ataviques à la marche vers l’ouest, […] tout en se ménageant des partisans, […] traîtres à leurs pays », […] » et « prêts à se sacrifier au nationalisme russe aux dépens du nationalisme français ». Philippot est libéré en septembre 1944, alors qu’il était incarcéré dans les locaux de la Gestapo, gravement malade. Dès 1945, il est à nouveau incarcéré en tant que « faux » résistant, et condamné pour vols et recels, c’est-à-dire pour les réquisitions qu’il avait pratiquées pour ravitailler son maquis. Un témoin de la défense dénoncera cette accusation mettant sur le même plan « des kilos de lard récupérés et les cadavres des fusillés et déportés » !
Condamné à 5 ans de réclusion en 1948, en pleine crise du blocus de Berlin Ouest, et des grandes grèves en France, il sera gracié par le Chef de l’État en 1949. De nombreuses autres affaires, de même nature, se sont produites, dans un climat d’acharnement judiciaire : certains magistrats, impliqués dans la répression vichystes, prenaient leur revanche.
On peut citer encore le cas de Francis Flamand, responsable d’un groupe de résistants de Bresse du Nord, dont le chef de corps était le capitaine Otcharenko, officier de l’Armée Rouge, prisonnier évadé et rallié au maquis français. Il est accusé de pillage et d’exécution d’agents de la Gestapo, sans aucune considération des conditions de guerre. Toutefois, la procédure fut suspendue définitivement.
Robert Serant, jeune communiste né en 1925, condamné le 18 juillet 1941 pour ses premiers actes de résistance, FTP à 17 ans, arrêté à nouveau, déporté, il s’évade en 1945 et rejoint la Première Armée française. Mais en 1946, il est poursuivi par la Cour de Justice de Dijon pour « dénonciation » par un parquetier, proche de Vichy. Il est condamné à 3 ans de prison. En 1946, il est à nouveau poursuivi devant le tribunal correctionnel de Dijon pour attentats contre des collaborateurs. Il sera libéré en 1948.
L’affaire qui a eu le plus de retentissement est celle de Guingouin, chef FTP, dans le Limousin39, devenu le Maire de Limoges à la Libération. En rupture avec la direction nationale du PCF40, Georges Guingouin, qui pendant 4 ans défia la police de Vichy, la milice et les SS, s’est fait arrêter 9 ans après la Libération, en été 1953, dans le bureau d’un juge (qui poursuivait déjà une instruction contre lui durant la guerre). Pourtant, la loi d’amnistie du 6 août 1953 s’appliquait à tous les crimes commis par des résistants entre 1940 et janvier 1946, en tant qu’actes de guerre. L’affaire Guingouin officiellement relevait du droit commun !
Au plan politique, ce sont les Socialistes de la SFIO qui sont les plus actifs contre les « crimes qui déshonorent la Résistance ». Pour eux, l’objectif est de discréditer les communistes, sans réelle préoccupation de l’image de la Résistance. Guingouin, l’ancien maire de Limoges, condamné à 20 ans de travaux forcés pour « crime de guerre » (il s’agissait de l’exécution par les FTP de personnes suspectées de collaboration avec la police allemande), a purgé 4 ans de prison, malgré une absence presque totale de charge.
Refusant l’amnistie, Guingouin réclame la révision de son procès. Une campagne nationale de solidarité s’est alors développée (avec Claude Bourdet, J. Debu-Bridel, Léo Hamon, Jean Rous, J.M. Domenach, F. Mauriac, etc.). Son avocat est Roland Dumas.
De Gaulle lui-même lui manifeste son soutien : « Je n’ai pas oublié que Guingouin fut un combattant de la liberté et qu’il a maintes fois risqué sa vie pour la France » (message du 14 avril 1955). En 1959, enfin, c’est le Parquet lui-même chargé de l’accusation, qui prononce une véritable plaidoirie en faveur de Guingouin. C’est le non-lieu. La Ligue des droits de l’homme a même demandé l’ouverture d’une information judiciaire contre les responsables des poursuites et contre les personnels de la prison de Brive où Guingouin a failli être assassiné.
Dans les grands journaux français, en particulier Le Figaro (26-27 décembre 1953), on évoquait les « centaines de crimes commis dans les maquis limousins ». Un journal allemand comparait le Limousin à Katyn (Deutsche Soldaten Zeitung). On médiatisait à outrance « la terreur rouge » qui régnait dans le Limousin et « l’imposture » du résistancialisme. Le Président de la République R. Coty, élu, était un ancien parlementaire ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 : le climat est propice à une campagne nationale de dénigrement de la Résistance. Elle est utile à la politique de soutien au réarmement de l’Allemagne, qui a besoin de l’oubli des crimes du nazisme.
Un procès à Bordeaux de janvier-février 1953 jugeait 21 des SS ayant participé au massacre d’Oradour. Le 20 février 1953, le Parlement réuni en urgence vota par 319 voix contre 211, une loi d’amnistie exceptionnelle entraînant leur libération immédiate. Le Général Lammerding, chef de la division « Das Reich » ne fut pas extradé par les Britanniques qui contrôlaient la région de Düsseldorf. Les « exigences » de la guerre froide se substituent à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale.
Avec l’affaire Guingouin, il n’y a plus un seul acte de guerre accompli par la Résistance qui ne puisse être remis en question. Il s’agit de juger en temps de paix des actes n’ayant de signification qu’en temps de guerre, mais qualifiés de crimes de droit commun !
Extrait du livre “Faut-il détester la Russie ?” (Chapitre : Le Procès de la résistance)
Retrouvez le livre de Robert Charvin,
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Quels intérêts sert la campagne actuelle de diabolisation de la Russie ?
D’où vient ce courant de
révisionnisme historique qui minimise la contribution de l’URSS à la victoire des Alliés pendant la
Seconde Guerre mondiale et qui tend à assimiler le communisme au nazisme ?
Ce livre original nous met en garde : une certaine propagande médiatique peut nous mener tout droit
vers une nouvelle guerre froide. Pas si froide ?
Source: Investig’Action