Après le coup d’Etat du 28 juin au Honduras, Manuel Zelaya, le président destitué, conserve le soutien des pays de l’ALBA, alliance régionale montante. Bernard Duterme explique pourquoi.
Quelle nouveauté l’ALBA représente-t-elle par rapport à d’autres associations régionales en Amérique latine ?
Bernard Duterme. Cette nouveauté est importante et radicale. LíALBA signifie désormais – depuis son dernier sommet au Venezuela fin juin 2009 – « Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique ». Cette nouvelle appellation contient déjà en elle-même ses ambitions sociales et géopolitiques, en rupture fondamentale ou, pour le moins, en décalage avec les initiatives déjà existantes (Mercosur, Can, etc.), au profil essentiellement commercial et plus en phase avec les vents dominants de l’économie mondiale et du libre-échange. Hugo Chavez, le président vénézuélien, cofondateur et principal moteur de cette « Alliance » vient de le confirmer : « L’ALBA n’est plus maintenant une alternative, une option ou une proposition théorique, elle est devenue une réalité, une plate-forme politique de pouvoir ». Elle vise un modèle original d’intégration politique, social et économique non subordonné aux Etats-Unis bien sûr, mais qui, au-delà, entend privilégier la coopération entre les peuples et les Etats plutôt que la compétition… C’est sa force et sa faiblesse. Elle est perçue par ses détracteurs ainsi que par certains observateurs sceptiques comme une initiative trop politisée, trop dépendante de la couleur politique des partis (et surtout des personnalités) au pouvoir dans ses pays membres pour pouvoir s’affirmer comme un processus non réversible à la moindre alternance électorale.
Que représente l’ALBA pour le Honduras ?
Bernard Duterme. Personne n’est dupe. Pour le Honduras, l’ALBA est d’abord une opportunité économique. Quelque peu lâché sur ce plan par les Etats-Unis et le Fonds monétaire international, le président libéral-conservateur Manuel Zelaya s’est assez vite tourné – à la grande stupeur de l’élite hondurienne qui avait participé à son élection – vers la diplomatie généreuse et volontariste du Venezuela. En montant d’abord dans le train de Petrocaribe (autre initiative du président Chávez qui permet aux pays de la région d’amortir les prix du pétrole), en s’affiliant ensuite à l’ALBA aux côtés de gouvernements à l’identité originelle socialiste nettement plus affirmée, comme Cuba, la Bolivie, le Nicaragua et depuis juin dernier l’Equateur de Rafael Correa. Cela étant, progressivement, Zelaya a aussi donné corps à ce virage à gauche (opportuniste dans un premier temps) sur le plan national, par une série d’initiatives sociales et économiques, visant par exemple à assurer un salaire minimum au Honduras ou à casser le monopole des multinationales pharmaceutiques dans le marché de l’approvisionnement en médicaments…
Quelles sont les forces sociales en présence au Honduras?
Bernard Duterme. Fondamentalement, la structure sociale du Honduras reste l’une des plus caricaturales de la région. Le pouvoir et les privilèges de l’oligarchie n’y ont jamais véritablement été remis en question. En cela, le Honduras correspond toujours à son image de « république bananière » et d’« arrière-cour des Etats-Unis ». 70 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté ou dans l’extrême pauvreté et plus de 40 % du revenu national proviennent de l’envoi des remesas (argent) des émigrés pour la plupart aux Etats-Unis. Ils y seraient plus d’un million pour une population nationale de moins de huit millions d’habitants. Deux partis traditionnels se partagent l’essentiel du pouvoir politique, mais le poids de l’armée reste déterminant, ainsi que celui des grands médias au service d’un certain conservatisme social et du consumérisme libéral, comme dans pratiquement toute l’Amérique latine. La société civile et les organisations sociales – paysannes notamment – ne sont toutefois pas absentes. Ce sont elles qui ont manifesté et se sont fait réprimer cette première semaine de juillet pour le retour de Zelaya.
Pourquoi le coup d’Etat au Honduras? Est-il le « maillon faible » de l’ALBA?
Bernard Duterme. Plus que « la conséquence des procédés illégaux d’un président qui prétend se faire réélire » – version officielle des responsables du coup d’Etat –, ce coup d’Etat est d’abord le fait d’une élite crispée et paniquée qui entend bloquer la progression du « chavisme » en Amérique centrale et au Honduras en particulier. Contrairement à ce qui a été dit et répété, la consultation contestée – et qui a servi de prétexte aux putschistes – n’avait pour objectif que de demander à la population hondurienne si elle acceptait ou non qu’aux prochaines élections générales (présidentielle, législative, locale) de décembre 2009 (auxquelles Zelaya ne pourra de toute façon pas se présenter), un « quatrième bulletin » l’invitant à se prononcer sur la pertinence ou non d’une Assemblée constituante… C’est-à-dire d’une Assemblée qui aurait pour mandat à terme de réformer la Constitution encore très conservatrice du Honduras et hypothétiquement de donner à un ancien président la possibilité de se représenter une deuxième fois.
Quel est le rôle des Etats-Unis dans le coup d’Etat ?
Bernard Duterme. Difficile de répondre à ce stade. Une chose est sûre : connaissant le niveau de dépendance de la scène politique hondurienne à l’égard des Etats-Unis et la toujours forte présence militaire de ceux-ci dans le pays, on voit mal comment tout cela aurait pu se passer sans l’aval, l’aide ou la bienveillance de certains secteurs de l’administration étasunienne, qui partagent le même ostracisme à l’égard du « chavisme » et des pouvoirs de gauche latinos. De là à dire que le président Obama a planifié le coup d’Etat, ce serait ridicule. On regrettera toutefois, à ce stade, le ton quelque peu équivoque de sa première « condamnation » du coup d’Etat, par rapport aux mots plus clairs utilisés par l’Organisation des Etats américains et l’Union européenne.
Sur qui le peuple hondurien peut-il vraiment compter dans le concert international de condamnation du coup d’Etat? Quel est dans ce contexte le rôle de l’ALBA ?
Bernard Duterme. Je ne me souviens pas qu’un coup d’Etat en Amérique latine – et il y en a eu ! – ait à ce point fait la quasi unanimité contre lui aussi vite. S’il n’avait été condamné que par l’ALBA en revanche, je n’aurais pas été optimiste sur les chances d’un retour immédiat du président Zelaya à son poste… Mais là, si effectivement tous les acteurs qui ont condamné (OEA, UE, Mercosur, Unasur, SICA, AG de l’ONU et chacun des pays du continent américain…) joignent le geste à la parole, comment les « nouvelles » autorités honduriennes pourraient-elles poursuivre la répression de la contestation interne ?
Bernard Duterme est directeur du CETRI, Centre Tricontinental (www.cetri.be). Spécialiste des peuples de l’Amérique latine, il a séjourné fin juin 2009 au Venezuela comme membre du jury du Prix Libertador à la Pensée critique.
Source: Solidaire