Face à la dérive toujours plus capitaliste du sport professionnel et du football en particulier, quelques irréductibles souhaitent faire entendre leurs voix. C'est ce que développent le journaliste Jean-Louis Pascal et le sociologue Alain Hayot dans leur livre L'OM est à nous! anthropologie d'une passion populaire. Ils racontent leur ville et montrent que l'espoir et l'engagement politique n'ont pas disparu. Nous avons rencontré Jean-Louis Pacull, correspondant à Marseille de Radio France, TF1, Libération, puis grand-reporter à RTL jusqu'en 2017.
Dans le livre L’OM est à nous, l’objectif est-il de montrer que le football, sport le plus capitaliste, est aussi le plus populaire?
Oui, c’est le sport le plus populaire, on peut le pratiquer n’importe où et avec n’importe quoi. Enfant, je jouais même avec des balles en papier. Le football se joue tant pieds nus à la plage qu’ en bas d’un immeuble. Tout le monde joue au football, sauf dans quelques régions comme Dax, par exemple, où l’on joue au rugby. Pour le pratiquer, il n’y a besoin de rien, pas de matériel nécessaire, il faut juste un ballon. Mais il est vrai qu’il y a un phénomène de mondialisation et de capitalisation des fonds d’investissement. Des hommes d’affaires achètent des clubs pour pénétrer des marchés.
Pouvez-vous nous en dire plus?
L’exemple du Qatar à Paris est emblématique de cette évolution. Depuis la Coupe du monde de 1998, nous avons remarqué qu’il s’agissait d’une sorte de cheval de Troie. Dans le football en général, on perd de l’argent. Le seul club qui était à peu près à l’équilibre à ce moment, c’était le Bayern de Munich. Acheter un club de football en sachant que l’on va perdre de l’argent, c’est surtout un moyen de pénétrer de nouveaux marchés. Le Qatar à Paris perd 300 ou 400 millions d’euros par an, mais grâce à la pénétration dans l’économie que représente la possession de ce club, ils multiplient ensuite leurs bénéfices par 5, 8, 10, on ne sait même pas comment le calculer. Ils sont propriétaires de la plupart des grands hôtels, des grands magasins et des restaurants qui marchent. Le plan d’affaires des personnes qui investissent dans le football consiste à se dire « nous allons perdre, mais calculons combien nous allons gagner avec la pénétration du marché que cela implique ». Si on analyse les résultats financiers de ces groupes, on voit qu’ils gagnent de l’argent en partie grâce au football.
Qu’en est-il de Marseille que vous analysez dans le livre?
Quand Robert Louis Dreyfus (RLD) est arrivé comme propriétaire, Jean-Claude Gaudin lui a donné une zone franche dans les quartiers nord. Il a installé sa boîte de fibre optique (Direct Energie). Marseille est un hub international de fibre optique, et quand RLD, comme on l’appelle ici, a revendu le club, il a multiplié sa mise par 5 ou 6 par rapport à ce qu’il a investi dans l’OM alors qu’il passe pour un mécène généreux…
N’a-t-il pas bâti sa fortune avec Adidas ?
Il est devenu président du club à Marseille parce qu’il savait que l’économie qu’il voulait développer allait lui permettre de se rembourser mais aussi de faire des bénéfices. En effet, à sa mort, sa veuve Margarita a constaté qu’elle dépensait 150 à 200 millions par an et qu’il n’y avait plus de rentrées d’argent, elle a donc décidé de vendre. C’est la preuve indiscutable que l’argent se perd dans le football.
La question marseillaise actuelle est de savoir jusqu’à quand Frank Mc Court va accepter de perdre 200 millions par an? Alors que pour l’instant, hormis un hôtel à St Tropez, il n’a pas de pénétration économique dans la région. Il était candidat pour la reprise du Parc Chanot, il y a eu un appel d’offres et je pense que l’ancien maire Jean-Claude Gaudin lui avait dit que les choses allaient s’arranger pour lui. Pour l’instant, il n’y a pas de décision. La question est de savoir combien de temps vous pouvez investir sans en récolter les fruits.
Le sous-titre du livre, “Anthropologie d’une passion populaire”, en quoi ce sport est populaire?
Je voudrais souligner le paradoxe de Marseille : L’OM est un club populaire alors qu’il a été fondé par un noble. Le foot à Marseille est un phénomène d’intégration extraordinaire. Que ce soit les Arméniens, les Espagnols, les Italiens, les Turcs, quand ils arrivent à Marseille, le moyen de se sentir pleinement marseillais est d’aller au stade. Il n’y a plus de riches, plus de pauvres, et je ne fais pas d’angélisme, je parle de l’heure qui précède le match. Pendant ces heures d’avant match, qu’on soit plombier ou avocat, on a le même maillot, on chante ensemble, on fume des joints ensemble. On est pas les seuls, à Naples c’est un peu la même chose, bien que les vagues migratoires ont été très différentes. Nous avons des populations marginalisées, des Arméniens qui ont fui le génocide, des Italiens qui ont fui le fascisme, des Espagnols qui ont fui le franquisme, d’autres qui ont fui la colonisation, ces vagues migratoires qui ont façonné Marseille ont donné aux Marseillais cette fierté d’être unis par-dessus tout. Et il y a un endroit qui voit tout ce monde se réunir, c’est le stade Vélodrome. Tout le monde est « égaux », je le dis bien avec des guillemets. C’est ce qui explique l’importance du football, mais surtout l’importance de l’OM. Tous les clubs qui ont essayé de se construire à côté de l’OM ont eu des problèmes: « que ça soit Consolat en 2015 et avant ça Endoume dans les 90 ».
L’importance du football, et de l’OM en particulier, s’explique par le phénomène d’intégration et d’identification, et la seule façon de bien s’intégrer dans cette ville est d’être supporter de l’OM. Rachid Zeroual dit : « Chez moi, il y a des gens de droite, de gauche et d’extrême gauche, c’est sûr, mais au stade, il n’y a pas d’abstention, tout le monde chante. Nous sommes les Marseillais ».
Ces différentes vagues de migration peuvent-elles expliquer le niveau élevé d’expression politique dans la ville et au stade ?
Bien sûr que oui ! Les vagues de migration ont été des phénomènes politiques et économiques qui ont influencé la ville et, par conséquent, le club. De nombreux clubs affichent leur racisme de manière politique, mais cela n’existe pas à Marseille.Il y a le portrait du Che chez les Winners. Si un seul mec fait un salut fasciste dans le stade, il se fait dégager tout de suite! Le Vélodrome représente une scène politique, avec des revendications sociales qui se sont exprimées au fil du temps. Les groupes de supporters ont une vraie prise de parole. Si le pape, lors de sa visite, a demandé à ce que les Winners fassent le tifo au stade, ce n’est pas pour rien. Même lors des grands concerts, ils participent et font passer des messages. Cette culture de melting-pot s’exprime dans le stade. La plupart du temps, il s’agit de demandes adressées à la direction du club ou à la ligue, mais ce n’est pas tout.
Par exemple, il y avait eu des marques de soutien aux personnes manifestant contre les locaux de Reconquête.
La politique est là !Il y a des banderoles dans le stade car c’est une ville où la revendication politique est présente. Eric Di Meco dit dans le livre: « Ici rien n’est comme ailleurs, les grèves sont plus longues, plus dures, plus ferventes, plus radicales ». On est une ville de la radicalité.
Pourquoi Marseille est « radicale » ?
C’est une ville construite sur le radicalisme, et historiquement elle s’est développée il y a 2 600 ans, contre le pouvoir central. Marseille est le fruit d’un mariage entre un immigré grec et la fille du potentat local et cela crée Marseille. Les Romains se sont emparés d’Arles et de Nîmes, mais ils ont mis du temps à prendre Marseille, ce qui explique le peu de vestiges romains qui s’y trouvent. Et que ce soit durant l’Antiquité, au Moyen Âge, pendant la Révolution française, la Commune ou la Résistance, il y a toujours eu ici un désir d’affirmation et une opposition radicale au pouvoir central. Il y a eu la Révolution française avec la chanson de La Marseillaise, écrite ici par un gars de l’Est de la France. La Commune de Marseille a été également très résistante. Bernard Lavilliers dit dans une chanson, « on n’est pas d’un pays mais d’une ville ». Il n’est pas de Marseille mais de St Étienne, une ville ouvrière. Rappelez-vous quand le pape est venu, il n’a pas dit « je viens en France », il a dit « je viens à Marseille, en Méditerranée ».
Que signifie le titre de votre livre « L’OM est à nous » ?
Il y avait ce président (Jacques-Henri Eyraud) qui ne comprenait vraiment rien à cette ville. Il n’emmenait que des Parisiens et reprochait aux salariés du club (90% de Marseillais) de ne rien comprendre au football et à l’entreprise. Il venait de Disney et ils nous a pris pour des Apaches, pour des idiots. Alors on a fait les Apaches, on l’a foutu dehors! Ensuite, Mc Court a été convoqué sur la pelouse du Pharo (qui surplombe le port et une bonne partie de la ville) et on lui a dit, « lui on ne le veut plus ! ».
L’épisode du Pharo est moins connu.
Après l’attaque du centre d’entraînement (La Commanderie) par des supporters, tous les supporters marseillais se sont réunis. Le propriétaire Frank Mc Court est venu des États-Unis, il a rencontré chaque groupe de supporters séparément puis il a prononcé un discours et a résumé ces rencontres. Les supporters lui ont demandé, premièrement de dégager, puis ils lui ont dit en deuxièmement: « L’OM est à nous ». Vous n’êtes que de passage, nous serons toujours là ». Le premier club de supporters, les Ultras, a été créé en 1984. Ces gens sont au stade depuis qu’ils sont petits, ils en ont vu passer des présidents. Ils dépensent beaucoup d’argent (certains en gagnent. Ils font des tifos et vendent des abonnements. L’OM fait partie de leur vie. J’avais trouvé une expression quand j’étais à Libération: « à Marseille, quand l’OM gagne, l’air est plus léger » et ça, il faut le sentir pour le comprendre. Qu’on soit dans un bar d’avocats, d’ouvriers, du port, de la mairie, de la Métropole, la première chose que l’on dit c’est « L’OM, c’est des comiques, c’est des chèvres »… Qu’on s’intéresse au foot ou pas, l’actualité de l’OM est fondamentale dans cette ville. Sportivement et extra sportivement, comme les procès, les cambriolages et les car-jackings… La moitié des présidents de l’OM ont été placés en garde à vue.
En ce qui concerne les groupes de supporters, il y a un an un coup de pression a provoqué le départ de l’entraineur, les différents commentaires pointaient les intérêts que peuvent avoir des groupes.
Oui, revenons sur les années Tapie! Il voulait s’attirer le soutien, y compris électoral, des groupes de supporters. Ils vendaient la moitié, voire les deux tiers des abonnements (les virages et une partie de la tribune Ganay). Quand on était chez les Yankees ou les Winners, ils vendaient la carte du club plus l’abonnement, et ils récupéraient la moitié de l’épargne du club, qu’ils restituaient à temps ou pas…. Cela s’est passé jusqu’en 2016. Il s’agissait de collectes de fonds pour l’OM, avec un calendrier de paiement pour le club. Quand on atteint ce stade de pénétration structurelle du club, on est en droit de revendiquer un droit de regard sur les décisions.
Cette situation explique également le titre que nous avons choisi pour le livre « L’OM est à nous ». S’ils veulent virer un président ou un entraîneur, ils le font. Donc oui, c’est comme la Marseillaise, on leur annonce la guerre, on fait le tiers de ce qu’on dit, mais parfois le tiers on le fait.
Compte tenu de la situation politique actuelle, la présence d’activistes racistes constitue-t-elle un risque ?
S’il y a des gens d’extrême droite, ils ne le revendiquent pas, c’est totalement intolérable ici. C’est une bonne question et nous devons la suivre de près. Mais s’il y avait un drapeau ou un salut raciste ou un soutien à Marine le Pen, ce serait réglé en interne sans même l’intervention des stewards.
Comment expliquez-vous qu’il y ait autant de supporters en dehors de Marseille, en dehors de la France, en dehors de l’Europe ?
C’est un club qui incarne des valeurs populaires, la culture du droit au but, et parce qu’il a eu le seul président noir d’Europe. C’est un club qui a accueilli des joueurs vedettes d’Amérique latine, d’Afrique et d’ailleurs. Cette image du stade, ses tifos, ses chants, quel que soit le spectacle sur le terrain, les valeurs sont universelles. C’est un bouillon de créativité, de plaisir, de liberté et de liberté de création. Quand on voit ça, peu importe d’où l’on vient, c’est facile de s’identifier. Marseille est un port, tout le monde a un cousin, un oncle, un proche qui a travaillé ici et créé des liens avec cette ville.
Nous nous sommes rencontrés lors de la projection d’un film sur Pape Diouf, ancien président de l’OM. Quelles ont été vos relations avec lui ?
Je l’ai connu dans les années 80, il était journaliste à La Marseillaise, moi j’étais dans une radio locale, puis France 3 et Radio France. Je l’ai côtoyé comme confrère et on a tout de suite senti qu’on était faits pour être amis, on avait la même vision de l’humanité, de l’internationalisme, de solidarité, résumé par liberté, égalité, fraternité, même si tout le monde le dit, se revendique républicain sans y croire ou respecter ces principes. S’il y a bien un mec qui était républicain c’était Pape Diouf, liberté, égalité, fraternité, ils les respectaient. On partageait avec Pape le fait de ne pas utiliser le mot valeur, c’est boursier, c’est détourné… On préférait parler de principes, lui c’était un homme de principes. Quand Tapie est arrivé en 1986, il a dit des horreurs sur les journalistes, Pape Diouf et moi on s’est levés et on a quitté la salle. On a dit on peut pas interviewer un mec qui nous traite de merde dès le premier jour où il arrive à Marseille. On est devenus très amis avec Pape. J’ai été au Sénégal avec lui, je connais ses enfants.
Source: Investig’Action
Photo https://x.com/Winners1987 Tifo 15 – Marseille vs Lyon – Virage Sud – Stade Vélodrome – 15.03.15
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