EDITORS NOTE: Graphic content / A woman from the Palestinian Ashour family holds the body of a baby who was killed in Israeli bombardment, on December 14, 2023, at Najar hospital in Rafah, in the southern Gaza Strip, amid ongoing battles between Israel and the Palestinian militant group Hamas. (Photo by MAHMUD HAMS / AFP)AFP

Des experts à l’ONU l’affirment : Israël commet un génocide à Gaza

Un génocide est-il en cours à Gaza ? Les responsables occidentaux et les médias qui suivent leur position se gardent bien d’employer ce terme pour ménager Israël. Ils déplorent tout au plus les pertes civiles. Pourtant, un génocide se déroule bien à Gaza en ce moment même. C’est la conclusion d’un panel d’experts qui ont participé à une table ronde de l’ONU. Non seulement les preuves matérielles sont largement documentées, mais le caractère intentionnel est lui aussi prouvé à travers les déclarations sans détour des hauts responsables israéliens. L’Histoire retiendra la passivité, voire la complicité criminelle, de nos dirigeants. (I’A)

Alors que la communauté internationale s’accorde de plus en plus à considérer que les atrocités commises par Israël à Gaza relèvent du génocide, un groupe d’experts des Nations unies a également conclu qu’un “génocide est déjà en cours” à Gaza.

Le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien (CEIRPP), mandaté par les Nations unies, a réuni ce panel d’experts au siège de l’ONU à New York le 12 décembre. C’était juste avant le vote par l’Assemblée générale d’une résolution appelant à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat »[1].

Le travail du panel portait sur la guerre à Gaza et « la responsabilité de prévenir un génocide ». Les experts étaient chargés « d’examiner les implications juridiques de l’offensive militaire israélienne contre Gaza depuis le 7 octobre ». Ils devaient également « faire la lumière sur l’application possible des principaux cadres juridiques, y compris ceux qui définissent le génocide ».

Malheureusement, il est clair qu’un génocide est déjà en cours, et notre question est donc de savoir s’il est de notre responsabilité de l’arrêter“, a déclaré Hari Prabowo, représentant permanent adjoint de l’Indonésie auprès des Nations unies. Il présidait les conclusions de cette table ronde.

Le même jour, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a elle aussi adopté une résolution reconnaissant que “les actions d’Israël contre le peuple palestinien constituent un génocide en cours“.

Depuis novembre, les experts de l’ONU, dont plusieurs rapporteurs spéciaux ainsi que des membres de divers groupes de travail, ont mis en garde contre “un génocide en cours” à Gaza.

En réalité, le consensus sur la nature génocidaire de la guerre d’Israël contre Gaza a commencé à se consolider dès les premiers jours. Ainsi, le 15 octobre, soit un peu plus d’une semaine après le début des bombardements israéliens, près de 900 “universitaires et praticiens du droit international, des études sur les conflits et les génocides” du monde entier ont alerté contre un “génocide potentiel à Gaza“.

Au cours des deux mois qui ont suivi cette mise en garde, le nombre de morts a été multiplié par plus de sept. A la date du 17 décembre, on dénombrait plus de 19.000 Palestiniens – principalement des femmes et des enfants – tués par les forces d’occupation israéliennes (IOF). Des milliers d’autres sont portés disparus, encore ensevelis sous les décombres des bâtiments qu’Israël a bombardés.

Cependant, le nombre de personnes tuées n’est pas le facteur qui détermine si le massacre constitue ou non un génocide, comme l’a expliqué lors de sa présentation à la table ronde de l’ONU, Katherine Gallagher, avocate principale du Center for Constitutional Rights, basé aux États-Unis.

Elle a en effet rappelé que plusieurs dirigeants politiques et militaires serbes de Bosnie ont été reconnus coupables de génocide pour le “meurtre de plus de 7 000 hommes et garçons musulmans de Bosnie à Srebrenica” en 1995. Elle a ajouté que c’est la nature délibérée du ciblage d’un groupe, “l’intention, associée à l’action“, qui détermine qu’un massacre équivaut à un génocide.

En “tuant”, en “infligeant des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale” et en “soumettant délibérément” les Palestiniens de Gaza à des “conditions d’existence devant entraîner leur destruction physique totale ou partielle”, Israël a commis trois des cinq actes énumérés dans la convention sur le génocide.

Ces actes, qui constituent “l’élément physique” du génocide, ont été minutieusement documentés, largement partagés sur les médias sociaux et diffusés à la télévision tous les jours, voire toutes les heures. Toutefois, ces actes ne sont qualifiés de génocide que lorsque l'”élément psychologique” est également démontré, à savoir qu’ils ont été “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux”.

L’intention est l’élément le plus difficile à déterminer“, explique le Bureau des Nations unies pour la prévention du génocide et la responsabilité de protéger.

Mais dans ce cas, l’intention” a été rendue “explicite” dans les déclarations “du Premier ministre, du Président, des principaux membres de l’administration et des chefs militaires“. « Ces déclarations constituent clairement l’élément psychologique du crime de génocide“, a déclaré Hannah Bruinsma, conseillère juridique à Law for Palestine, lors de la table ronde.

Nous avons recueilli jusqu’à présent 500 déclarations qui démontrent l’intention génocidaire, souvent de la part de personnes appartenant à la chaîne de commandement“, a-t-elle ajouté. Ces déclarations d’intention génocidaire ont été faites dès les premiers jours de la guerre contre Gaza et répétées systématiquement à maintes reprises.

“Ce n’est pas une simple rhétorique, c’est l’aveu d’une intention criminelle”

Le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari, s’est vanté d’avoir largué des “milliers de tonnes de munitions” sur Gaza au cours des deux premiers jours de la campagne israélienne. Il n’a eu aucun scrupule à admettre : « Nous nous concentrons sur ce qui cause le maximum de dégâts », plutôt que sur la “précision” des frappes.

Qualifiant les Palestiniens d'”animaux humains”, le ministre de la Défense Yoav Gallant s’est enorgueilli d’avoir “libéré toutes les contraintes” imposées à l’armée. Lors des premiers jours de la guerre, il a déclaré : « Nous éliminerons tout » à Gaza.

Confirmant que “les animaux humains doivent être traités comme tels“, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, le général de division Ghassan Alian, a annoncé aux Palestiniens de Gaza qu'”il n’y aura pas d’électricité ni d’eau, il n’y aura que la destruction“.

Légitimant le massacre de civils à Gaza, le président israélien Isaac Herzog a déclaré que “toute une nation est responsable” de l’attaque du 7 octobre contre Israël par le Hamas, affirmant que la “rhétorique” sur les civils innocents n’est “absolument pas vraie“.

Cette pratique consistant à considérer une population entière comme un ennemi, comme une cible militaire légitime, est un mécanisme génocidaire courant“, a souligné lors de la table ronde Raz Segal, éminent chercheur juif israélien spécialisé dans l’étude de l’Holocauste et du génocide.

Fin octobre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a comparé les Palestiniens à l’ennemi biblique des Juifs. “Vous devez vous souvenir de ce qu’Amalek vous a fait“, a-t-il cité en référence à l’Ancien Testament qui prescrit : “Allez frapper Amalek, détruisez tout ce qu’il possède et ne l’épargnez pas ; tuez les hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons, les bœufs et les moutons, les chameaux et les ânes“.

Gallagher relève que ces déclarations « ont été suivies d’effet ». Elles doivent être comprises « non pas comme une simple rhétorique, mais comme un aveu d’intention criminelle ». Il ajoute : « Les responsables israéliens ont fait ce qu’ils avaient dit qu’ils feraient. »

Des journalistes coupables d’incitation au génocide

Le 9 décembre, 55 universitaires spécialisés dans l’étude de l’Holocauste et des génocides soulignaient que « ces expressions d’intention doivent également être mises en relation avec l’incitation au génocide manifestée dans des médias israéliens depuis le 7 octobre ».

Il y a eu des appels à transformer Gaza « en abattoir » et à « violer toutes les règles sur le chemin de la victoire ». Il y a eu le souhait de voir « un million de corps » de Palestiniens morts. « Il y a des dizaines et des dizaines d’exemples d’incitation dans les médias israéliens », résume Segal, l’un des signataires de la déclaration.

Il ajoute : « Il convient de rappeler qu’au lendemain du génocide rwandais, des journalistes qui avaient encouragé le crime au moment où il se déroulait ont été “jugés et condamnés pour incitation au génocide. C’est un crime distinct en vertu de l’article 3 de la Convention des Nations unies sur le génocide ».

“Les États-Unis sont complices d’un génocide

La “complicité de génocide”, dont les États-Unis sont coupables, est également citée comme un crime distinct dans la même convention, a affirmé Gallagher. Le Centre pour les droits constitutionnels, qu’elle représentait lors de la table ronde, a déposé une plainte auprès d’un tribunal de district de Californie contre le président américain Joe Biden, le secrétaire d’État Antony Blinken et le secrétaire à la défense Lloyd Austin, pour leur complicité dans le génocide israélien.

Le génocide en cours du peuple palestinien à Gaza a été rendu possible grâce au soutien inconditionnel apporté à Israël par les États-Unis. C’est une violation de leurs “responsabilités en vertu du droit international coutumier […] de prévenir et de ne pas continuer le génocide” », peut-on lire dans la plainte.

Gallagher commente : « Les États-Unis sont ceux qui apportent la plus grande aide militaire, économique et politique à Israël, ainsi qu’une couverture politique. Ils ont la capacité d’utiliser leur influence considérable et leur position unique pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme au génocide israélien qui est en cours ».

Au lieu de cela, les États-Unis font le contraire », poursuit Gallagher. Biden, Blinken et Austin ont “promis et continuent de promettre tout leur soutien à Israël. Ils ont envoyé en urgence un soutien militaire, des munitions, des munitions guidées avec précision, des bombes de bunker d’une tonne, et ils ont fait voler des drones au-dessus de leur tête. Les conseillers militaires américains ont assisté aux séances du cabinet de guerre [d’Israël]”.

En plus des 3,8 milliards de dollars qu’ils versent chaque année à Israël, les États-Unis crachent désormais “14,5 milliards de dollars supplémentaires, sans condition“. Les responsables américains ont répété, lors de multiples conférences de presse, qu'”il n’y a pas de lignes rouges ou de conditions pour l’octroi de ces armes“, ajoute Gallagher.

Début décembre, le Washington Post rapportait qu’Israël avait largué plus de 22 000 bombes fournies par les États-Unis sur Gaza au cours du premier mois et demi de la guerre. Cela représente presque une bombe américaine pour chaque centaine des 2,3 millions de Palestiniens qui sont emprisonnés dans cette bande de terre de 365 km2 qu’Israël assiège depuis 17 ans. Un siège que l’historien juif israélien, Ilan Pappé, a décrit comme un « génocide progressif ».

“Les déplacements forcés… ont fait partie des processus génocidaires”

Situant “le génocide en cours à Gaza” dans le “contexte plus large du colonialisme violent d’Israël et de l’occupation des terres palestiniennes“, Jehad Abusalim, directrice exécutive du Jerusalem Fund, a déclaré que “ce processus a commencé en 1948” avec la création d’Israël.

La Nakba, mot arabe signifiant catastrophe, fait référence à l’expulsion de 750.000 Palestiniens de leurs terres dans l’année qui a suivi la création de cet État colonial sur 78 % de la Palestine. Le processus de la Nakba, a-t-il déclaré lors de la table ronde, ne s’est jamais arrêté.

La Nakba n’est pas seulement un événement d’un passé lointain, elle continue de se dérouler à Gaza aujourd’hui. Il s’agit d’un processus de déplacement continu et de nettoyage ethnique“.

Le déplacement forcé, ce que l’on appelle communément le nettoyage ethnique, n’est pas en soi un acte de génocide, mais nous savons qu’historiquement il a figuré dans les processus génocidaires“, a poursuivi Segal, décrivant les actions d’Israël à Gaza comme “un cas d’école de génocide“.

Il a ajouté que les nazis avaient mis deux ans et demi à expérimenter divers plans de déplacement forcé des juifs avant de mettre en œuvre la “solution finale”.


[1] Résolution bloquée par le véto des États-Unis. [NDLR]


Source originale: People Dispatch
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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