An old American car drives by the US Embassy of Havana, on January 12, 2021. Cuba's foreign affairs minister Bruno Rodriguez on Monday slammed the administration of US President Donald Trump for "political opportunism" for placing the country back on a blacklist of state sponsors of terrorism. (Photo by YAMIL LAGE / AFP)AFP

Cuba remet une liste de terroristes à Interpol

C’est le comble de l’ironie. Alors que les États-Unis soutiennent depuis des décennies des actions terroristes dans le but de renverser le gouvernement cubain, c’est la petite île qui est placée par Washington sur la liste US des États finançant le terrorisme. Si les faits d’armes anticubains sont largement documentés, du côté de l’Oncle Sam, les motivations reposent sur du vent. Mais il s’en moque. L’unique but de ces accusations fantasques est de justifier des sanctions pour déstabiliser encore plus le petit voisin socialiste qui dérange. Mais Cuba ne se laisse pas faire et vient de remettre un dossier à Interpol pour traduire en justice les terroristes anticubains. La nouvelle n’a pas défrayé la chronique occidentale évidemment. Hernando Calvo Ospina nous explique la démarche lancée depuis La Havane et comment le terrorisme anticubain a évolué à l’ère d’Internet. (I’A)

Oui, j’ai bien vérifié : le gouvernement de Cuba a envoyé à l’Organisation Internationale de Police Criminelle, plus connue sous le nom d’Interpol, la Résolution du ministère de l’Intérieur publiée au Journal officiel du 7 décembre 2023. L’organisation policière, dont 196 pays sont membres, a reçu la “Liste nationale des personnes et entités qui ont fait l’objet d’enquêtes criminelles et qui sont recherchées par les autorités cubaines”.(1)

La résolution indique : “Inscrire sur la liste nationale les personnes et entités qui, en vertu de la résolution 1373 du Conseil de Sécurité des Nations unies, du droit international et de l’ordre juridique interne, ont fait l’objet d’enquêtes pénales et sont recherchées par les autorités cubaines en raison de leur implication dans la promotion, la planification, l’organisation, le financement, le soutien ou la réalisation d’actes perpétrés sur le territoire national ou dans d’autres pays…”

Elle précise aussi : “Le ministère de l’Intérieur affirme l’existence de motifs ou de bases raisonnables pour inscrire ces personnes et entités ou organisations sur la liste nationale des terroristes, avec des preuves dûment documentées, qui répondent aux critères de désignation tels que définis dans les normes internationales et nationales mentionnées dans la présente Résolution….”.

Cette liste comprend les personnes qui, depuis 1999, ont commis des actes terroristes, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, affectant des citoyens ou des biens. Sont aussi visées les personnes qui ont attenté à la vie du président de la République ou d’autres représentants de l’État. Les noms de ceux qui ont incité, organisé ou financé des actions contre la paix et la sécurité des citoyens sont cités en détail.

À l’exception d’une personne qui réside en Belgique, Leo Juvier Hendrick, toutes ces personnes vivent aux États-Unis, en particulier en Floride. Nombre d’entre elles ont reçu et reçoivent des financements directs du Département d’État, mais aussi de la CIA, qui utilise diverses entités et ONG pour les leur remettre.

En plus d’innombrables interviews et d’articles, à la radio, à la télévision et dans la presse écrite, principalement en Floride, beaucoup de ces individus ont reconnu leurs activités criminelles et terroristes. Par ailleurs, à ce jour, d’autres les y incitent en utilisant les capacités de pénétration et de propagande offertes par l’Internet, en s’autoproclamant “influenceurs d’opinion”. La complicité et la “cécité” des autorités étasuniennes qui devraient être chargées de les réprimer, à commencer par le FBI, ont toujours été étonnantes et même difficiles à croire.

Beaucoup de membres de ce premier groupe, appelé l’« exil historique », ont servi comme mercenaires lors de la tentative d’invasion de Cuba dans la Baie des Cochons en avril 1961 sous les ordres des États-Unis, et ont rejoint la CIA, qui les a spécialisés dans le sabotage et le terrorisme.

J’ai pu rencontrer et interviewer personnellement certains d’entre eux à Miami, comme José Francisco Hernández Calvo et José Jesús Basulto León. (2)

C’est lors de la guerre clandestine menée par l’administration Reagan-Bush père contre la révolution sandiniste au Nicaragua à partir de la fin des années 1970 et pendant la majeure partie de la décennie suivante que de nombreuses personnes figurant sur la liste des “personnes recherchées” par le ministère de l’Intérieur cubain ont été impliquées et mêlées au trafic de cocaïne, une activité pleinement approuvée par ce gouvernement pour financer la guerre sale. Le « Rapport Kerry » du Congrès étasunien l’indique très clairement : “…les personnes qui ont apporté leur soutien aux contras étaient impliquées dans le trafic de drogue […] et des éléments des contras eux-mêmes ont sciemment reçu une aide financière et matérielle de la part de trafiquants de drogue”. (3)

Outre Hernández Calvo et Basulto León, que ce soit sur le terrain ou en Floride, ont également fait partie de ce groupe : Santiago Álvarez Fernández Magriñá, Pedro Remón Crispín Rodríguez, Antonio Calatayú Rivera, Ramón Saúl Sánchez Rizo, Santiago Álvarez Fernández, Guillermo Novo Sampoll. Mentionnons en particulier Félix Ismael Rodríguez Mendigutía, qui, en tant qu’officier de la CIA, a transmis l’ordre de Washington d’assassiner Che Guevara après qu’il eut été capturé. Il fut l’un des principaux hommes du Conseil National de Sécurité de l’administration Reagan dans la guerre sale contre les Sandinistes. Il était donc au courant du trafic de cocaïne.

Tous, je le répète, sont recherchés par les autorités cubaines pour être traduits en justice.

En outre, leur implication dans des organisations terroristes basées en Floride est bien établie dans des documents qu’ils ont eux-mêmes produits ou qu’ils ont mentionnés lors d’entretiens avec des personnes de confiance. (4)

Au cours de cette longue enquête que j’ai menée en Floride, j’ai également rencontré directement la journaliste Ninoska Pérez Castellón, qui continue à ce jour à soutenir les actions terroristes contre Cuba et qui figure donc sur la liste mentionnée dans le Journal Officiel cubain. À l’époque, elle était déjà membre de la Fondation nationale cubano-américaine, une organisation créée par Reagan pour soutenir la guerre anti-sandiniste et mettre fin à la révolution cubaine. À l’époque, Hernandez Calvo était le second responsable de la Fondation.

Le Journal Officiel mentionne plusieurs organisations auxquelles la quasi-totalité des personnes susmentionnées appartient ou a appartenu. Beaucoup d’entre elles ont été considérées comme terroristes par le FBI lui-même, mais restent intouchables. Parmi elles figurent la Coordinadora de Organizaciones Revolucionarias Unidas, CORU (responsable de l’attentat à la bombe en plein vol d’un avion de ligne de Cubana de Aviación en octobre 1976), Omega 7 (considérée comme “la plus dangereuse organisation terroriste des États-Unis” par le FBI) et Alpha 66. J’ai été invité à plusieurs reprises dans les camps d’entraînement de cette dernière et j’ai assisté à la préparation d’attaques terroristes et d’assauts contre des villes côtières de Cuba. Alpha 66 a également été considéré comme “terroriste” par les autorités étasuniennes, mais…

Avec l’arrivée et le développement d’Internet, la violence contre Cuba a changé en gardant pour objectif d’en finir avec la révolution cubaine par la violence. Comme l’indique le journaliste espagnol José Manzaneda, le département d’État étasunien a créé en 2018 la “Task Force Internet contre Cuba” pour mener une guerre psychologique et de propagande contre la population cubaine. De son côté, le journaliste Ignacio Ramonet ajoute que cette guerre menée à travers les réseaux sociaux s’est additionnée au blocus économique pour tenter de déstabiliser la révolution de l’intérieur. Le sociologue argentin Atilo Borón affirme qu’à partir de ces sites sont lancés des “messages de haine” très bien conçus, “très ciblés et très efficaces”, principalement à destination des jeunes, afin qu’ils se sentent “indignés et humiliés”, et qu’ils se soulèvent ainsi contre le gouvernement par ressentiment. “Un système de propagande très sophistiqué qui attaque la population à tout moment”, affirme l’ancien rapporteur de l’ONU Alfred de Zayas. (5)

Et ces messages haineux sont envoyés depuis Miami par les personnes mentionnées dans le Journal Officiel et dont les charges détaillées sont entre les mains d’Interpol. Des messages qui incitent à la violence interne, à l’assassinat de personnalités de l’État, à la destruction de biens communs et à toutes sortes de sabotages, par exemple contre le système électro-énergétique ou l’incendie de plantations.

Figurent également sur la liste : Orlando Gutiérrez Boronat, Ana Olema Hernández, William Cabrera González, Michel Naranjo Riverón, Eduardo Arias León. Mais aussi, Yamila Betancourt García, Eliecer Ávila, Liudmila Santiesteban Cruz, Manuel Milanés Pizonero, Alain Lambert Sánchez (Paparazzi cubano), Jorge Ramón Batista Calero (Ultrack) et Alexander Otaola Casal.

Les objectifs poursuivis sont les mêmes que ceux de l’exil dit historique, seule la méthode a changé. Les uns et les autres ont un point commun : ils utilisent des méthodes terroristes.

Terroristes et traîtres à la patrie, ils servent et ont servi les intérêts des États-Unis depuis 65 ans, contre la révolution cubaine. S’ils agissaient ainsi contre les États-Unis, ils seraient condamnés à la prison à vie ou à la peine de mort, comme cela s’est produit dans de nombreux cas. En France, le fait grave de recevoir de l’argent d’une puissance étrangère, en tant que mercenaires, pour attaquer, déstabiliser ou inciter à des actes terroristes, leur vaudrait 20 ans de prison.

Et Interpol les traquerait jusque sous la moindre pierre.

Il faut espérer que, dans le cas de Cuba, l’ombre de cet arbre appelé Washington, qui les protège, les dirige et les finance, sera dépassée par Interpol dans la lutte contre le terrorisme international. Ainsi que l’exigent elles-mêmes les Nations unies.

Hernando Calvo Ospina est journaliste, écrivain et réalisateur de documentaires.

Traduit de l’espagnol par Hélène Vaucelle  


Notes

1) goc-2023-ex83-.pdf (cubaminrex.cu)

2) Calvo Ospina, Hernando / Declercq, Katlijn. Dissidents ou mercenaires ? Editions EPO, Bruxelles, 1998.

– Sur le sujet, voir aussi Hernando Calvo Ospina :

– L’Equipe de choc de la CIA. Le Temps de cerises, Pantin, 2009.

– Rhum Bacardi. EPO, Bruxelles, 2000.

3) Informe Kerry – Wikipedia, la enciclopedia libre

– Scott, Peter Dale / Marshall, Jonathan. Cocaine Politics. Drugs, armies and the CIA in Central America. University of California Press. Los Angeles, 1991. 

4) Carriles, Luis Posada. Los Caminos del guerrero. Aucune mention de l’éditeur ou du lieu de publication. 1994.

– Talleda, Miguel. Alpha 66 y su histórica tarea. Ediciones Universal, Miami, 1995.

– Encinosa, Enrique. Cuba en Guerra. The Endowment for Cuban American Studies of the Cuban American National Foundation. Miami, 1994.

– Vargas Llosa, Alvaro. El exilio indomable. Espasa Calpe. Madrid, 1998.

– Montaner, Carlos Alberto. Viaje al corazón de Cuba. Plaza & Janes, Barcelona, 1999.

5) Interviews dans le documentaire La fabrique de la Haine contre Cuba (youtube.com) , Hernando Calvo Ospina, Paris, 2023.

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