Cisjordanie : un nouveau pogrom et deux enfants tués par Tsahal

Les attaques contre des Palestiniens se sont multipliées ces derniers jours, après que quatre Israéliens eurent été tués dans une fusillade, mardi. Maisons incendiées, champs détruits et, surtout, plusieurs morts à déplorer, dont une jeune fille et un garçon âgés de 14 ans. Loin de protéger les Palestiniens des pogroms organisés par les colons, l’armée israélienne les attaque directement, quand elle ne prend pas pour cibles les journalistes venus couvrir les événements. (IGA)

Mercredi, un Palestinien a été tué en Cisjordanie occupée, tandis que des colons se déchaînaient dans plusieurs zones du territoire. Ces violences collectives font suite à une fusillade qui, la veille, avait fait quatre morts israéliens.

Au moment de publier cet article (NDLR : mercredi 21 juin), on apprenait que l’armée israélienne aurait effectué une attaque de drone sur une voiture transportant des Palestiniens armés au nord de Jénine, tuant trois personnes et marquant, de ce fait, une escalade spectaculaire dans l’utilisation de la force contre les activistes de la résistance en Cisjordanie :

Mercredi en fin de journée, des centaines de colons auraient également pris d’assaut le village d’Urif, la ville natale des deux tireurs présumés, lesquels ont été tués après l’attentat de mardi dans la colonie d’Eli.

Les Palestiniens d’Urif ont lancé des pétards en direction des colons pour les repousser :

De leur côté, les forces israéliennes ont utilisé des armes de contrôle de la foule sur les Palestiniens qui tentaient de défendre leur village :

Toujours mercredi, une jeune Palestinienne de 14 ans est décédée des suites de ses blessures subies à Jénine lundi, ce qui porte à sept le nombre de victimes de ce raid.

Maisons incendiées et champs détruits

A Turmus Aya, près de la ville de Ramallah (Cisjordanie), les forces israéliennes ont tué Omar Jabara, 25 ans, également connu sous le nom d’Abu Qateen, alors que des colons étaient en train d’assiéger la ville sous la protection des forces d’occupation.

Selon la police israélienne, un officier a « touché au moins un Palestinien dans la ville, lequel était soupçonné d’avoir ouvert le feu » dans sa direction.

Cependant, si l’on se base sur un témoignage oculaire transmis aux journalistes, Jabara n’était pas armé et se trouvait loin des forces israéliennes lorsqu’il a été tué.

Pendant ce temps, les colons étaient occupés à tirer à balles réelles sur les habitants, à brûler leurs maisons et mettre le feu aux terres agricoles.

Selon l’agence de presse AP, à la suite de l’attaque, « les rues étaient jonchées de pots cassés, d’arbres déracinés, de meubles de jardin carbonisés et de carcasses de voitures ».

« Au moins une maison a été complètement incendiée, le salon carbonisé et les meubles réduits en cendres. »

Interrogé par l’Associated Press, un Américain d’origine palestinienne, de passage dans le village, témoigne : « C’était terrifiant, nous avons vu des foules de gens masqués et armés dans les rues ».

Il ajoute aussi que l’armée a facilité la tâche des assaillants, « leur ouvrant littéralement la voie ».

En visite dans son pays pour la première fois depuis 30 ans, une Américaine d’origine palestinienne a, pour sa part, affirmé que des colons avaient tenté de brûler vifs ses enfants dans leur maison :

A l’agence de presse palestinienne officielle WAFA, Lafi Adeeb, le maire de Turmus Aya, déclara qu’environ 400 colons avaient participé à l’attaque, au cours de laquelle 12 personnes ont été blessées par des tirs à balles réelles.

Selon Adeeb, les colons ont incendié 30 maisons et plus de 60 véhicules. Le maire demande une protection internationale contre les attaques quotidiennes des Israéliens vivant dans les colonies entourant la ville.

De son côté, le Croissant-Rouge palestinien ajoute que les colons ont empêché les ambulances d’atteindre Turmus Aya pour soigner les blessés.

Les Palestiniens ont exprimé leur colère contre l’Autorité palestinienne pour ne pas les avoir protégés des colons armés. Lors d’une conférence de presse avec le premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, un habitant de Turmus Aya a fait part de sa frustration :

Les colons et l’armée main dans la main

Le déchaînement de violences à Turmus Aya ressemble étrangement à celui qui s’est produit au mois de février, à Huwwara, près de Naplouse, à la suite de la mort par balles de deux colons.

A cette époque, même les responsables militaires israéliens ont qualifié cet événement – au cours duquel un Palestinien a été tué – de “pogrom”.

Ce terme, qui signifie “dévastation” en yiddish, décrit des émeutes violentes organisées dans le but de massacrer ou d’expulser une population sans défense, et est associé à la persécution des Juifs en Europe.

Selon une enquête menée par la chaîne d’information américaine CNN, les forces israéliennes n’avaient pas réussi à mettre fin à l’attaque de Huwwara en février et n’avaient pas non plus protégé les habitants, alors même que les colons s’employaient à mettre le feu aux maisons et aux commerces palestiniens et à empêcher les services d’urgence d’intervenir.

Au lieu de cela, les militaires ont tiré avec des armes de contrôle de la foule sur les Palestiniens qui tentaient de se défendre en lançant des pierres.

Un soldat présent à ce moment avoua : « nous les laissons [les colons] continuer à avancer ». Il précisa aussi que l’armée en général « ne sait pas comment faire face au terrorisme des colons ».

Depuis longtemps, les groupes de défense des droits de l’homme soulignent que les colons et l’armée travaillent main dans la main, l’État encourageant les attaques des groupes d’autodéfense contre les Palestiniens dans le but de les chasser de leurs terres.

La fonction première de l’armée israélienne en Cisjordanie occupée est de protéger les colons qui vivent dans des colonies exclusivement juives construites en violation du droit international.

B’Tselem, un groupe israélien de défense des droits de l’homme, insiste sur la “synergie” de la coopération : « Les colons mènent l’attaque, l’armée la sécurise et les politiciens la soutiennent. »

Le groupe palestinien de défense des droits de l’homme Al-Haq soutient, quant à lui, que les attaques contre les communautés palestiniennes de cette semaine « sont le résultat de la politique de longue date d’Israël, qui autorise et encourage les actes graves de violence des colons ».

Al-Haq souligne aussi le rôle du système judiciaire israélien dans l’octroi de l’impunité aux personnes impliquées dans ces attaques.

La violence des colons à l’encontre des Palestiniens est une réalité quotidienne. Pourtant, selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme Yesh Din, « 93 % de l’ensemble des enquêtes [israéliennes] sur des crimes à motivation idéologique en Cisjordanie sont bouclées sans qu’il y ait eu la moindre inculpation ».

La plupart des cas ne font pas l’objet d’une enquête de police, car les Palestiniens ne voient pas l’intérêt de déposer des rapports sur les violences commises par les colons, qui resteront de toute façon sans suite. Depuis 2005, seules 3 % des enquêtes liées à des attaques de colons ont abouti à des condamnations, ce qui contribue « au sentiment d’immunité des auteurs », selon Yesh Din.

Mardi, après que deux Palestiniens eurent abattu quatre Israéliens dans la colonie d’Eli, des colons ont attaqué Huwwara, vandalisant des voitures et des maisons.

Selon B’Tselem, « lorsque les résidents palestiniens sont venus protéger leurs biens, les soldats leur ont tiré dessus avec des grenades lacrymogènes et des balles en métal recouvertes de caoutchouc. Une ambulance du Croissant-Rouge a aussi été brûlée, ceci après qu’elle ait été touchée par une grenade lacrymogène ».

Mardi soir, des dizaines de colons escortés par des militaires ont assiégé pendant plusieurs heures le village d’al-Lubban al-Sharqiya. Selon B’tselem, ils ont « brisé les fenêtres de sept maisons, brûlé cinq voitures et endommagé une station-service ».

Tout comme à Huwwara, « les soldats ont tiré des balles en métal recouvertes de caoutchouc et des grenades lacrymogènes sur les habitants qui tentaient de se défendre ».

Les colons ont également causé des dégâts dans plusieurs autres communautés palestiniennes et ont attaqué des conducteurs palestiniens dans de nombreuses zones.

Une adolescente tuée d’une balle dans la tête

Mercredi, Sadil Ghasan Ibrahim Naghnaghieh, âgée de 14 ans, est décédée des suites de ses blessures, après avoir été touchée par une balle tirée par un soldat israélien lors d’un raid à Jénine lundi matin.

Selon Defense for Children International-Palestine, la jeune fille a été abattue « par un soldat israélien depuis un véhicule militaire blindé qui passait près de sa maison ».

A ce moment, Sadil était assise dans le jardin de sa maison et enregistrait une vidéo de véhicules militaires israéliens circulant à proximité. Un soldat israélien a ouvert la porte arrière du véhicule et a tiré deux balles. L’une des balles a atteint Sadil à la tête et l’a blessée au cerveau.

D’après les informations que détient l’organisation de défense des droits de l’enfant, au moment où Sadil a été abattue, « il n’y avait pas d’affrontements entre les forces israéliennes et les Palestiniens dans cette zone ».

La fillette est l’une des deux enfants tués au cours du raid. Sa mort porte à sept le nombre total de Palestiniens tués durant cet épisode.

L’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, a fait savoir que Sadil et Ahmad Saqer, un garçon de 15 ans également tué lors du raid, faisaient partie des élèves inscrits dans ses écoles.

L’agence a ajouté qu’au moins 75 maisons de réfugiés avaient été endommagées lors des raids.

Depuis le début de l’année, les forces israéliennes ont tué 22 enfants palestiniens en Cisjordanie et quatre autres à Gaza. A ce chiffre, il faut ajouter un garçon de 10 ans décédé en 2022 à Gaza des suites de blessures causées par une frappe israélienne.

Pour Ayed Abu Eqtaish, directeur de programme à Defense for Children International-Palestine, le meurtre de Sadil « est la preuve que les forces israéliennes jouissent d’une impunité totale, sans crainte de répercussions ».

Il ajoute que « filmer des soldats israéliens avec un téléphone portable n’est pas un crime. Par contre, prendre pour cible et tuer des enfants palestiniens est bel et bien un crime de guerre ».

Les journalistes, des cibles pour l’armée israélienne

Lors du raid mené lundi à Jénine, des journalistes ont reconnu avoir été délibérément pris pour cible par des soldats israéliens.

L’un des journalistes du quotidien israélien Haaretz, présenté sous le nom de Hafez, déclare ainsi qu’il avait été la cible de tirs de soldats, alors qu’il était occupé à photographier les affrontements entre les troupes armées et les Palestiniens.

Trois balles ont été tirées sur sa voiture, l’une d’entre elles ayant atteint la portière côté conducteur. Hafez pense qu’il a été délibérément pris pour cible : « notre voiture est une voiture de journaliste marquée et je portais une veste permettant de m’identifier comme journaliste ».

Peu après, il a encore essuyé de nouvelles salves tirées par « un sniper depuis un des bâtiments environnants », alors même qu’il se trouvait au milieu d’un groupe d’autres journalistes. « Nous sommes restés coincés là pendant 20 minutes et n’avons pu partir que lorsque tout était terminé ».

Un autre journaliste présent confirme que lui et ses confrères portaient des vêtements les identifiant comme journalistes, au moment où les soldats « ont commencé à nous tirer dessus. Nous n’avions rien fait, nous ne faisions que prendre des photos ».

Le mois dernier, le Comité de protection des journalistes a affirmé avoir recensé au moins 20 journalistes tués par l’armée israélienne au cours des vingt dernières années, sans que personne ne soit « inculpé ou tenu pour responsable de ces décès ».

Cette impunité « a gravement porté atteinte à la liberté de la presse et fragilisé les droits des journalistes ».

En mai de l’année dernière, la correspondante d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, qui possédait la nationalité américaine, a été tuée alors qu’elle couvrait un raid israélien à Jénine.

De nombreuses enquêtes indépendantes ont conclu qu’elle avait été délibérément tuée par les troupes israéliennes.

Un documentaire d’Al Jazeera décrit la complicité de l’administration Biden à Washington, qui a aidé Israël à dissimuler sa responsabilité dans la mort de la jeune femme, pour laquelle personne n’a été tenu responsable.

Selon The Electronic Intifada, plus de 170 Palestiniens ont été tués par la police, les soldats et les colons israéliens depuis le début de l’année, ou sont décédés des suites de leurs blessures.

Au cours de cette même période, une trentaine de personnes ont été tuées en Israël et en Cisjordanie à la suite d’attaques palestiniennes, ou sont décédées des suites de leurs blessures.

Source: The Electronic Intifada

Traduit de l’anglais par CV pour Investig’Action

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