(AFP)

Bataille de Rafah : un pas de plus vers la guerre régionale

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est lancé dans une fuite en avant, dont la bataille de Rafah pourrait constituer un tournant crucial. En privilégiant la voie de la guerre totale à un cessez-le-feu négocié, Netanyahou échappe au désaveu politique intérieur et aux poursuites judiciaires qui l’attendent. Mais en s’attaquant à Rafah, le dernier endroit où sont réfugiés 1,6 millions de Palestiniens, il prend le risque d’étendre la guerre au-delà des frontières de Gaza, avec des acteurs régionaux prêts pour certains à passer à l’action et pour d'autres à monter en puissance. (I’A)

La trêve temporaire conclue le 24 novembre entre le mouvement de résistance Hamas et le gouvernement israélien aurait pu ouvrir la voie à des trêves successives et potentiellement à un cessez-le-feu durable dans la bande de Gaza. Tel Aviv a manqué cette opportunité, considérant la poursuite de sa guerre génocidaire comme un moyen de remodeler le paysage politique et sécuritaire de Gaza sous couvert de « restaurer la dissuasion » et d’atténuer les retombées intérieures de l’opération du Hamas “Déluge d’Al-Aqsa” du 7 octobre.

Aujourd’hui, près de six mois après le début de ce qu’Israël appelle une « guerre de survie et d’existence » contre Gaza, il est devenu clair que l’agression militaire de l’État d’occupation ne peut pas déloger le Hamas de la bande de Gaza ou de l’arène politique palestinienne au sens large.

La récente vague de négociations indirectes Hamas-Israël tenues à Paris, au Caire et à Doha a révélé une dure réalité politique : le Hamas est la principale partie palestinienne dans les négociations concernant Gaza. Cette reconnaissance tacite de Tel-Aviv marque l’échec stratégique de l’un des doubles objectifs d’Israël affichés en octobre dernier, visant à éradiquer le Hamas et ses factions de résistance alliées dans la bande de Gaza.

Devenir un paria mondial ou payer le prix fort au niveau national

Cette réalité soulève des questions sur les voies potentielles qui s’offrent au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu alors qu’il lutte contre une énorme pression internationale pour mettre fin au carnage. Poursuivra-t-il la guerre contre Gaza et risquera-t-il de devenir un paria mondial, ou sera-t-il contraint de rechercher un règlement politiquement coûteux ? Cette dernière option ne sera pas une solution facile. Elle pourrait potentiellement déclencher une tempête de réactions négatives en Israël, avec diverses factions politiques désireuses de le tenir responsable sous de multiples angles.

Depuis que Netanyahu a abandonné la trêve en novembre, d’éminents commentateurs politiques israéliens et même d’anciens premiers ministres ont été étonnamment unanimes dans leur évaluation. Ils soutiennent que la décision de Netanyahu de prolonger la guerre sert principalement ses intérêts politiques personnels, lui permettant de projeter une illusion de victoire tout en échappant à tout contrôle politique, sécuritaire et judiciaire.

En conséquence, la position de Netanyahu reste fermement opposée à un règlement de guerre. Au lieu de cela, il a insisté sur la nécessité d’éliminer les capacités militaires du Hamas et de ses alliés, et il revendique ostensiblement une « victoire absolue » par la guerre totale.

La feuille de route du Premier ministre repose sur la poursuite du nettoyage ethnique de Gaza. Dans ce scénario, il envisage la bataille de Rafah comme le point culminant décisif qui rendra définitivement obsolète la « solution à deux États », déjà terminale, et rompra définitivement tout lien entre Gaza et la Cisjordanie occupée.

La bataille de Rafah apparaît ainsi comme un tournant charnière, délimitant deux trajectoires concurrentes : l’une motivée par les initiatives régionales et internationales en faveur d’un règlement négocié, et l’autre dictée uniquement par les ambitions de Netanyahu.

Ramifications régionales et dilemme égyptien

Cela soulève des questions complexes quant à savoir si Netanyahu peut prolonger la guerre et influencer les acteurs régionaux et internationaux – pour gagner du temps, si vous voulez – tout en prenant en compte le délicat équilibre des pouvoirs impliquant l’Égypte et la guerre régionale plus large contre les autres membres de l’Axe de la Résistance.

En effet, la bataille de Rafah présente pour l’Égypte un défi à plusieurs niveaux, englobant des dimensions politiques, sécuritaires et populaires. Si l’armée israélienne envahissait Rafah, cela aurait des implications significatives sur les relations du Caire avec Tel Aviv, en plus d’avoir de graves conséquences sur le paysage de la sécurité intérieure égyptienne.

Un récent sondage du Washington Institute for Near East Studies a révélé que les trois quarts des Égyptiens perçoivent le Hamas de manière positive. Ce sentiment populaire influence la politique égyptienne concernant d’éventuelles actions israéliennes à Rafah.

Le 10 mars, le New York Times et le Wall Street Journal ont rapporté des avertissements de responsables égyptiens sur la suspension potentielle des accords de Camp David si Israël devait attaquer Rafah.

Diaa Rashwan, chef du service d’information égyptien, a souligné la gravité de l’occupation par Israël du couloir de Philadelphie – une zone tampon à la frontière Sinaï-Gaza désignée par l’accord de Camp David – affirmant qu’elle constitue une menace grave pour les relations entre le Caire et Tel Aviv.

Faire face aux afflux massifs potentiels de civils gazaouis cherchant refuge et de combattants palestiniens traversant le territoire égyptien pose également d’importants défis logistiques et sécuritaires. Ce scénario soulève également des questions sur les potentielles incursions de l’armée israélienne sur le territoire égyptien et sur la manière dont l’armée égyptienne y réagirait.

De plus, toute intensification des pressions sur Rafah ou toute invasion israélienne à grande échelle entraînerait de vastes ramifications régionales, pouvant aller jusqu’à l’effondrement des accords d’Abraham. L’Axe de la Résistance a clairement indiqué que l’élimination du Hamas est inacceptable et que, s’il est menacé, il pourrait déclencher une guerre régionale.

Ce qui complique encore les choses est l’absence de pression substantielle des États-Unis sur Israël pour qu’il mette fin à ses actions à Gaza. Même si la Maison Blanche de Biden recherche un « plan opérationnel crédible », elle ne s’est pas opposée sans équivoque à une attaque contre Rafah. Cette ambivalence permet, voire encourage Netanyahu, de poursuivre ses opérations militaires.

Rafah pourrait remodeler la région

Quelle que soit l’issue de la bataille de Rafah, les Israéliens et les Américains l’interprètent comme une campagne dirigée contre le Hamas, qu’ils considèrent comme une extension de l’influence iranienne dans la région. Ce récit s’aligne sur ce que Thomas Friedman, écrivant pour le New York Times, a appelé la nouvelle « Doctrine Biden », qui met l’accent sur la confrontation avec l’Iran et ses alliés en Asie occidentale. Cela marque un changement significatif dans la stratégie américaine depuis 1979.

La convergence des intérêts américains et israéliens jette la suspicion sur les efforts en cours pour parvenir à un cessez-le-feu à long terme, alors que tous les regards sont tournés vers le cycle de négociations en cours à Doha. Amos Harel, écrivant pour Haaretz, présente les discussions comme une course vers un cessez-le-feu négocié ou vers un conflit régional potentiellement étendu impliquant plusieurs fronts.

Le mouvement Ansarallah du Yémen, qui a étendu la semaine dernière ses opérations navales dans l’Océan Indien, a lancé un avertissement sévère contre une invasion de Rafah, menaçant d’une forte escalade des opérations maritimes et aériennes, y compris la fermeture du détroit de Bab al-Mandab.

De même, le front libanais reste sensible aux développements à Rafah. Malgré l’expansion du front nord depuis le début de 2024, les récentes attaques israéliennes visant Baalbek, à plus de 100 kilomètres de la frontière sud, suggèrent la volonté malavisée d’escalade de Tel Aviv.

Cette possibilité pourrait se concrétiser si Israël envahissait Rafah, dans la mesure où l’armée sioniste pourrait recourir à des actions préventives dans l’espoir d’atténuer la menace que représentent les forces de résistance libanaises.

Dans l’ensemble, la bataille de Rafah va probablement remodeler le conflit régional, ajoutant de nouvelles couches aux fronts de pression existants. Surtout, cela récuse l’idée selon laquelle le Hamas est seul, abandonné à Rafah, alors que divers acteurs régionaux, dont l’Iran et ses alliés, surveillent de près et sont prêts à intervenir.


Source : The Cradle
Traduit de l’anglais par ISM France


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