L’écrivaine écoféministe Starhawk boycotte Israël : voici pourquoi

Starhawk, Américaine juive d’origine russe, est une écrivaine de renommée des mouvements écoféministes et néopaïens. Militante engagée pour la justice sociale et environnementale dont l’influence s'étend à l'échelle mondiale, elle explique dans une lettre envoyée à une maison d’édition israélienne les raisons qui la poussent à refuser que l'un de ses livres soit traduit en hébreu. 

Cher.e éditeur/trice (1),

Bien que je sois honorée que vous m’ayez proposé de traduire ma nouvelle The Fifth Sacred Thing (2) en hébreu, je ne suis pas favorable à sa publication, à l’heure actuelle, en Israël. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.

Je soutiens, depuis de nombreuses années, la résistance non-violente à l’occupation de la Palestine. L’une des stratégies de résistance non-violente les plus effectives est le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions ( BDS ) qui inclut également un boycott culturel des institutions qui supportent ou normalisent l’occupation, que ce soit activement ou passivement quand ces institutions décident de garder le silence.

Ce n’est pas une décision facile à prendre pour moi qui ai longtemps rêvé de voir mes œuvres traduites en hébreu et publié en Israël. Même si je suis surtout connue pour porter la voix de la pensée féministe et du mouvement Wicca – qui fait renaître les cultes de la déesse anciennement pratiqués en Europe et au Moyen-Orient – je suis juive de naissance, de culture, d’éducation et d’identité. Ayant grandi dans l’Amérique de l’après-guerre, on m’a appris à aimer et vénérer Israël comme l’incroyable miracle né des cendres et de la douleur de la Shoah. Lorsque j’étais enfant, j’économisais mes sous pour planter des arbres en Israël. À mes 15 ans, bénéficiant d’un voyage qui avait été organisé par un lycée hébraïque, j’ai passé un été entier dans un village jeunesse en Israël et ai pu visiter ainsi l’ensemble des sites historiques qui étaient accessibles en 1966.

En grandissant, je me suis engagée dans de nombreux mouvements pour la paix et la justice en évitant, comme le font de nombreux juifs progressistes, la question de la Palestine. Cette question était tout simplement trop douloureuse. Se confronter à l’injustice que l’Etat d’Israël a infligée aux Palestiniens, c’est détruire le confortable récit de « nous avons été oppressés, nous avons été expulsés de notre terre, nous avons été maltraités pendant 2000 ans et presque exterminés par les nazis, mais maintenant nous sommes de retour sur notre terre et, nous le jurons par Dieu, personne ne pourra plus jamais nous faire subir ce que nous avons subi ! ».

Ce récit est puissant et juste ; mais il s’effondre à la minute où nous autorisons les Palestiniens à faire partie de cette histoire. Je sais personnellement combien il est atrocement douloureux d’admettre « nous avons été expulsés de notre terre et oppressés pendant 2000 ans et maintenant, pour la reprendre, nous infligeons l’oppression et la souffrance à un autre peuple ». Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers par le fait que nous ayons triomphé de notre statut de victime – nous devons reconnaître que nous aussi, comme tout autre groupe d’être humain, sommes capables d’en d’opprimer d’autres.

Poussée par des activistes, dont beaucoup étaient également juifs, je me suis bel et bien engagée dans ce processus. Entre 2002 et 2005 j’ai été bénévole au Mouvement de Solidarité Internationale, un mouvement fondé par des Palestiniens, des Israéliens et des juifs américains en soutien à la résistance palestinienne non-violente contre l’occupation. J’ai visité les camps de réfugiés, j’ai été dans des familles en Cisjordanie alors que les soldats envahissaient leurs maisons, j’ai soutenu des campagnes non-violentes et essayé de réconforter l’équipe qui était avec Rachel Corrie – une jeune volontaire américaine – quand elle a été écrasée par un bulldozer israélien, puis celle qui était avec le photographe britannique Tom Hurndall lorsqu’il a été tué par un sniper israélien. J’ai vu les enfants de Gaza qui essayaient de faire leurs devoirs alors que des tanks tiraient sur leurs maisons, je les ai vu jouer au milieu des décombres et dans les trous laissés par les missiles dans les rues poussiéreuses. Pendant de nombreuses années, Israël ne m’a pas autorisée à ré-entrer sur le territoire, et quand je fus finalement autorisée à y revenir pour donner un cours de permaculture en Cisjordanie, j’ai enseigné à des étudiants qui, lorsqu’ils étaient enfants, avaient vu leurs maisons détruites au bulldozer et leurs pères, leurs frères et leurs cousins emprisonnés ou abattus.

Les attaques du Hamas en octobre dernier sont horribles et inexcusables. Je les condamne. Pourtant, je ne suis pas surprise que certains de ces enfants traumatisés, que j’ai connues 20 ans auparavant, aient grandi remplis de rage et de soif de vengeance. La punition collective de masse infligée par l’armée israélienne à l’ensemble de la population de Gaza est également horrible et inexcusable. Elle n’améliorera pas la sécurité d’Israël ni ne fera avancer des solutions de paix, mais engendrera, au contraire, la haine et le désir de vengeance.

J’ai beaucoup d’amis proches en Israël et je sais qu’il y a, dans la société israélienne, des mouvements très engagés pour la liberté, la justice et l’environnement. Je suis sûre que votre entreprise fait partie de ces mouvements et qu’elle serait un excellent foyer pour mon roman. Mais trop souvent, j’ai vu ces mêmes mouvements éviter la question de l’occupation, tout comme j’ai vu des groupes de juifs progressistes et New Age en faire de même, ici, aux Etats-Unis. À plusieurs reprises, on m’a invitée à prendre la parole dans des synagogues ou à y animer des offices, mais en me précisant que, pour éviter d’altérer le tissu communautaire, je ne devais pas parler de la Palestine. Je comprends à quel point cette question peut diviser, mais je décline toujours ces invitations. Nous DEVONS parler de cette question. Nous devons affronter cette douleur, cette honteuse culpabilité et la complicité qui est la nôtre dans des actes inhumains ; sinon, nous continuerons le cercle vicieux des victimes qui deviennent à leur tour des agresseurs.

Je sais qu’il y a beaucoup de controverses concernant le mouvement BDS et qu’il y a peut-être des problèmes avec certaines de leurs formulations ou prises de position. Ce n’est peut-être pas la meilleure solution ni même la plus effective. Je pourrais même admettre que publier The Fifth Sacred Thing en Israël serait, dans l’ensemble, une action qui ferait avancer la paix puisque mon roman parle du pouvoir de la non-violence. Mais prendre part au boycott culturel est l’une de ces petites choses que je puisse faire. En ce moment même, des millions de Gazaouis ont été déplacés, des dizaines de milliers tués dont un tiers d’entre eux sont des enfants, la population toute entière de Gaza est au bord de la famine, ajoutez à cela les otages qui souffrent encore dans une captivité à laquelle tout ce chaos ne peut mettre fin ; je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour m’opposer à la normalisation de cette souffrance et inciter les autres à en faire de même.

Je vous pose donc la question suivante : votre organisation a-t-elle pris publiquement et explicitement position pour la fin de l’occupation et en faveur des droits des Palestiniens ? Une telle déclaration, figure-t-elle sur votre site web ou l’une de vos interfaces ? ( J’ai cherché sur votre site mais n’ai pas trouvé ). Soutiendriez-vous un cessez-le-feu à Gaza et le droit à l’autodétermination du peuple palestinien ? Si c’est le cas, je serai fière et heureuse que vous publiez The Fifth Sacred Thing. Si ce n’est pas le cas – et je comprends les conséquences que cela pourrait avoir pour vous – alors, malheureusement, je dois vous dire que ce n’est pas le moment.

Merci encore pour votre proposition.

Starhawk

Pour tout savoir sur le boycott culturel : https://bdsmovement.net/cultural-boycott

(1) Cette formulation a été retenue car l’originale (“Dear publisher”) ne précise pas le genre du/de la destinataire.

(2) The Fifth Sacred Thing ( La cinquième chose sacrée ) est un roman post-apocalyptique de 1993 de Starhawk. Le titre fait référence aux quatre éléments du feu, de la terre, de l’air et de l’eau, le cinquième étant l’esprit.


Source : Starhawk’s Substack

Traduit de l’anglais par Falasteen pour Investig’Action

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