Attentat à Moscou : ne pas renoncer à comprendre

Le discours médiatique pointant l’Etat islamique comme le responsable final de l’effroyable attentat perpétré à Moscou se doit d'être interrogé. A plus forte raison en l’absence de preuves irréfutables comme du fait que plusieurs alliances entre groupes terroristes et Etats-Unis jalonnent ces trente dernières années. De l’Afghanistan à la Syrie en passant par l’Ukraine... (I’A)


Vendredi 22 mars, la population moscovite subissait une attaque terroriste inédite depuis de nombreuses années avec un bilan de 137 tués et de 145 blessés. Le commando s’en est pris aux participants d’un concert en tirant indistinctement dans une foule de plusieurs milliers de personnes. Les recherches des forces de sécurité russes ont rapidement débouché sur l’arrestation de quatre des participants, puis de sept de leurs complices.

Un communiqué signé par l’État islamique et publié sur Telegram, a revendiqué l’attentat. Il est, bien entendu, trop tôt pour se prononcer définitivement sur les responsables de celui-ci. Ce qui est frappant, en revanche, c’est l’unanimité des grands titres comme des principaux chefs d’États pour ne prendre en compte qu’une seule hypothèse.

Quelques titres suffisent à illustrer cette focalisation. « Attentat de Moscou : pourquoi Daesh vise la Russie et pourquoi maintenant ? » pour le journal Les Echos ; « Attaque de Moscou : pourquoi le groupe Etat islamique a-t-il ciblé la Russie ? » pour BFMTV ; « Attentat de l’Etat Islamique : Moscou, « un ennemi de longue durée » pour les islamistes » pour l’Express. Tout se passe comme si nos journalistes disposaient de preuves irréfutables permettant d’affirmer, sans doute aucun, l’origine de cet attentat. En fait cette unanimité est une injonction à renoncer à toutes les autres hypothèses possibles.


Realpolitik


Plus grave, toute tentative d’évoquer d’autres hypothèses sont immédiatement taxées de « complotistes ». Ainsi Vladimir Poutine a-t-il été taxé de « complotiste », non pas pour avoir affirmé que l’Ukraine était le commanditaire de l’attentat, mais pour avoir dit que « la partie ukrainienne a préparé une fenêtre en permettant aux terroristes de franchir la frontière ». Tandis que la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova a, pour sa part, déclaré : « Nous savons maintenant dans quel pays ces salauds avaient l’intention de se cacher pour échapper à la persécution : l’Ukraine. Ce même pays qui, depuis dix ans, s’est transformé, par l’intermédiaire des régimes libéraux occidentaux, en un centre de propagation du terrorisme en Europe. »

Pourtant, l’histoire foisonne d’exemples où les préoccupations de « realpolitik » ont conduit à des alliances avec des groupes terroristes pour déstabiliser l’ennemi. Ce fût le cas des Etats-Unis en Afghanistan lors de l’intervention militaire soviétique de 1979. Ce fût également le cas de tous les pays occidentaux en Syrie.

Concernant l’Ukraine, l’accusation n’est pas nouvelle. Un article du Sunday Times, daté du 26 décembre 2018 – et que l’on ne peut pas décemment considérer comme complotiste ou comme pro-Poutine -, donnait la parole au chef du bataillon Tchétchène Cheikh Mansour qui combattait à l’époque dans le Dombass, du côté ukrainien. « Poutine est aussi notre ennemi », déclarait Mansour.

Dans cet article, on apprend également que : « certains combattants de notre bataillon ont perfectionné leurs compétences de combat dans les camps d’entraînement de l’État islamique en Irak et en Syrie ». Nous ne rappelons pas ces faits pour imputer l’attentat de Moscou à l’Ukraine mais pour souligner que l’investigation ne doit pas éliminer d’emblée les différentes hypothèses possibles.

L’injonction de Washington


Dimanche passé, le gouvernement états-unien à lui aussi validé une et une seule hypothèse. La Vice-présidente états-unienne elle-même, Kamala Harris, s’exprimait sur cette question, en ces termes : « Il n’y a aucune preuve selon laquelle l’Ukraine est impliquée dans le massacre, l’État islamique est responsable ».

Comme si cela n’était pas assez clair, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale états-unien, Adrienne Watson, publiait un communiqué disant : « l’État islamique porte l’entière responsabilité de cet attentat. Il n’y a eu aucune implication ukrainienne ». Ici aussi, le message est clair : une seule hypothèse est à privilégier et tous ceux qui tenteraient d’en explorer d’autres seraient des complotistes ou des agents de Moscou.

Pour autant, rappelons-nous les affirmations sur l’innocence ukrainienne au moment de l’explosion du gazoduc Nord Stream en septembre 2022. La grande presse, unanime, disculpait l’Ukraine et s’étendait, à longueurs d’articles, sur une possible responsabilité russe. Nous savons aujourd’hui, documentation à l’appui, que ce sabotage est d’origine ukrainienne.

Malgré cette preuve établie, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistoriuss, appelle à ne pas tirer de conclusion hâtive en estimant qu’il : « est probable qu’il s’agisse d’une opération sous un faux drapeau mise en scène pour accuser l’Ukraine ». Le quotidien britannique The Times, contraint de reconnaître les identités ukrainiennes des coupables, affirmait, lui,  « qu’ils étaient non affiliés au gouvernement de Kiev ».

Le précédent Powell


La vérité finit toujours par se savoir,; mais après coup. En attendant la propagande de guerre a empêché le citoyen de se faire une opinion éclairée et mène celui-ci à accepter la logique de guerre qui lui est vendue.

Au moment où Emmanuel Macron évoque la possibilité d’une intervention directe des troupes de l’OTAN en Ukraine, il serait en effet malvenu d’apprendre que l’Ukraine pourrait être liée, même indirectement, à cet attentat perpétré à Moscou. Certes, cela ne permet pas de conclure à la responsabilité de Kiev, mais cela doit nous mener, par prudence et par rigueur scientifique, à étudier toutes les hypothèses possibles et non, comme le font nos grands titres et chefs d’État occidentaux, de nous demander de renoncer à comprendre.

On ne peut pas sur cette question ne pas évoquer l’affaire de la fiole d’anthrax brandie par le secrétaire d’État Colin Powell, le 5 février 2003, devant le Conseil de sécurité de l’ONU.

Il apportait soi-disant ainsi la preuve que Saddam Hussein posséderait des armes biologiques et qu’il était en conséquence urgent de lui déclarer la guerre. Ce qui s’avérera ensuite un mensonge avait ainsi permis de légitimer une des guerres les plus atroces et les plus meurtrières de l’ère contemporaine. Les citoyens médusés, apeurés et trompés, validaient cette guerre barbare. Six ans plus tard, Colin Powell, lui-même, reconnaissait qu’il s’agissait d’un mensonge complet.

Seul le regard critique, la vérification des sources et la comparaison des informations contradictoires permettent de se faire une idée dans un contexte de propagande de guerre. Une telle approche critique suppose de refuser d’éliminer toute hypothèse avant de l’avoir entièrement explorée.

Saïd Bouamama


Pour aller plus loin

Kahina Sekkai, Pour Colin Powel, son « plaidoyer pour la guerre » en Irak était « une tâche » sur sa réputation, Paris- Match du 18 octobre 2021.

Marc Bennetts, Putin  is our enemy  too, says  Chechen fighter un Ukraine, The Sunday  Times du 26 décembre 2018, consultable sur le site : https://www.thetimes.co.uk


Source : Investig’Action

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