Palestian children walks past debris in the courtyard of a school run by the United Nations Relief and Works Agency for Palestine refugees (UNRWA) following Israeli airstrikes targeting Gaza City on October 9, 2023. - The Israeli army said it hit more than 500 targets in the Gaza Strip in overnight strikes, as the death toll from its war with Palestinian militants surged above 1,100. (Photo by Mohammed ABED / AFP)

Bassam Tahhan sur le conflit israélo-palestinien : « L’issue ne peut pas être militaire, le nœud du problème est politique »

L’opération Déluge d’Al-Aqsa a surpris par son ampleur et son incursion en territoire israélien. Quel était le but des groupes palestiniens à la manœuvre ? Comment expliquer l’effet de surprise en Israël ? Le conflit risque-t-il d’embraser toute la région ? Quelles seront les répercussions sur la scène internationale ? Politologue franco-syrien, Bassam Tahhan répond à nos questions.

L’opération Déluge d’Al-Aqsa menée par le Hamas avec d’autres groupes palestiniens a surpris le monde entier, à commencer par Israël. Comment expliquer une opération d’une telle ampleur côté palestinien et un tel effet de surprise côté israélien ?

Il faudrait sans doute une enquête en Israël pour savoir comment le Shin Bet, le service israélien de renseignements intérieurs, n’a pas pu voir venir une telle attaque. Mais ce que l’on sait déjà, c’est qu’Israël était miné par des problèmes intérieurs qui ont des retombées sur le fonctionnement de l’État.

La réforme judiciaire voulue par Benyamin Netanyahou et la nomination de deux ministres d’extrême droite dans son gouvernement ont en effet donné lieu à d’importantes manifestations en Israël ces derniers mois. Le mouvement de protestation était d’une ampleur inédite. On a même vu des réservistes menacer de ne plus servir dans l’armée. Ils ne sont pas passés à l’acte finalement, mais cela donne une idée de l’ampleur des problèmes internes qui minent la société israélienne. Ajoutez à cela que l’armée menait des interventions pratiquement quotidiennes en Cisjordanie. Ainsi que des provocations répétées dans la mosquée d’Al-Aqsa… Cela fait beaucoup de choses à gérer pour un État en crise. Et cela explique certainement pourquoi Israël a pu être pris au dépourvu.

Le Hamas aurait donc choisi le bon moment pour mener son opération ?

En tout cas, il a bien caché son jeu. Quand Israël attaquait le Jihad islamique, le Hamas n’est pas intervenu. Sans doute pour camoufler toute la préparation de cette opération totalement inédite.

Quel était le but poursuivi ?

L’opération Déluge d’Al-Aqsa a permis de remettre la cause palestinienne sur le devant de la scène internationale. La guerre en Ukraine, les tensions entre les États-Unis et la Chine, ce qui se passe en Afrique ou encore la crise politique intérieure d’Israël ont eu tendance à éclipser le fait que depuis trente ans, Israël n’a jamais appliqué les accords d’Oslo et a continué à coloniser les territoires palestiniens dans l’indifférence générale. Cette colonisation rampante, c’est le fond du problème. Bientôt, il ne restera plus de territoires aux Palestiniens. Et il n’y a eu aucune décision internationale pour stopper ce processus qu’Israël poursuit en toute illégalité.

La cause palestinienne avait également tendance à être éclipsée par la normalisation des relations entre des États arabes et Israël. Les Émirats, Bahreïn, le Maroc ou encore le Soudan ont déjà franchi le cap. Et on parlait même d’une normalisation avec l’Arabie saoudite.

Le ministère des Affaires étrangères d’Arabie saoudite a déclaré que les provocations répétées d’Israël et la privation des droits des Palestiniens étaient à l’origine de cette nouvelle crise. Le processus de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël est-il compromis ?

L’Arabie saoudite va être éloignée du processus de normalisation pendant un bon bout de temps. Avec tout ce qui se passe, elle ne peut pas faire semblant de rien et normaliser ses relations avec Israël. Le Hamas a réussi son coup en montrant qu’il ne peut pas y avoir de normalisation si on oublie les droits des Palestiniens.

C’est une victoire pour les Palestiniens, malgré les fortes représailles d’Israël ?

Quoi que l’on pense de l’un ou l’autre camp, il faut reconnaitre que d’un point de vue strictement militaire, cette opération inédite des groupes palestiniens a été un succès. Israël avait construit un mur pour protéger sa frontière et stopper les tunnels. Elle avait également mis en place son dôme de fer pour bloquer les roquettes palestiniennes. Mais le Hamas a mené une attaque cybernétique avant son opération pour brouiller les communications israéliennes. Ils ont envoyé 5000 missiles qui ont saturé le dôme de fer. Des commandos ont ainsi pu passer la frontière. D’autres sont arrivés par les airs en utilisant des parapentes. Et certains ont emprunté la voie maritime. C’est inédit, car depuis 1948, aucune armée arabe n’avait réussi à porter le conflit sur le sol israélien.

Le Hamas a réussi à pénétrer jusqu’à 20 kilomètres. Ils ont attaqué des casernes militaires et ont surpris des soldats dans leur sommeil. C’est un succès militaire, mais il y a aussi des choses que l’on peut condamner dans cette opération, comme ces jeunes qui ont été massacrés à un festival de musique. C’est abominable, les commandos palestiniens n’avaient pas à faire cela.

Vous condamnez les morts de civils israéliens ?

Il faut condamner le massacre de civils israéliens comme il faut condamner le massacre des civils palestiniens par les bombardements d’Israël. Tous ces morts sont inutiles, ils auraient pu être évités si les accords d’Oslo avaient été respectés. Mais on ne peut pas réduire ce Déluge d’Al-Aqsa à une opération terroriste qui n’aurait visé que des civils. Il y avait essentiellement des cibles militaires.

Mais il y a aussi des civils parmi les otages du Hamas…

Il faut aussi le condamner. Mais on ne peut pas en retour fermer les yeux sur toutes les pratiques de la police et de l’armée israélienne dans les territoires occupés depuis 1967. Ils capturent des Palestiniens et les mettent en prison sans aucune forme de procès.

Pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’opération du Hamas relève « purement du terrorisme ».

Le terme me gêne, car il révèle constamment des doubles standards. Les États-Unis ou l’Union européenne dressent des listes pour désigner ceux qu’ils considèrent comme terroristes. Si ces listes étaient justes, il faudrait y inclure des Israéliens et même des Américains ! Face au terrorisme de certains groupes, on oublie trop souvent le terrorisme d’État. Quand les États-Unis mènent des guerres partout dans le Moyen-Orient et tuent des millions d’innocents, quand ils soutiennent des groupes terroristes pour renverser le gouvernement syrien à travers l’opération Timber Sycamore, on ne peut pas ignorer le terrorisme d’État. Oui, il y a eu des actions terroristes du côté du Hamas. Mais il y a aussi un terrorisme d’État du côté d’Israël et des États-Unis. Ce terrorisme-là aussi doit être démasqué et condamné.

Le conflit pourrait-il avoir des répercussions régionales ? Selon le Wall Street Journal, l’Iran serait impliqué dans l’opération du Hamas. Ses alliés de l’« axe de la résistance », à savoir le Hezbollah et la Syrie, pourraient-ils aussi prendre part aux combats en cours ?

L’Iran est l’un des principaux soutiens du Hamas, mais les Palestiniens n’ont pas eu besoin de Téhéran pour mener cette opération. L’Iran n’interviendra pas et ce serait une lourde erreur d’Israël de l’impliquer dans le conflit. La Syrie n’interviendra pas non plus. Elle est déjà très affaiblie par l’occupation américaine et française à l’est de l’Euphrate, par l’occupation turque au nord et par la base militaire US d’al-Tanf au sud. Reste le Hezbollah. Le mouvement libanais a beaucoup plus de moyens que le Hamas, il dispose de dizaines de milliers de missiles sophistiqués et d’environ 20.000 soldats aguerris prêts à prendre part aux combats. Mais je ne pense pas que le Hezbollah interviendra tout de suite. En revanche, il pourrait s’impliquer et ouvrir un front à la frontière libanaise si les troupes israéliennes envahissent Gaza. Israël ferait mieux de négocier. Pour le moment, Netanyahou veut redorer le mythe de son armée invincible, Tsahal, en s’attaquant à Gaza. Mais plus le conflit traîne, plus il y aura des risques de répercussions régionales.

Les États-Unis ont envoyé leur plus grand navire de guerre en méditerranée, le porte-avion USS Gerald Ford. Pourraient-ils intervenir ?

Une guerre régionale ne serait pas dans l’intérêt de Washington, mais ferait plutôt l’affaire des Russes et des Chinois et, de manière générale, des BRICS. En effet, l’enjeu majeur pour les grandes puissances n’est pas la création d’un État palestinien, mais le règne du dollar. Ce règne est de plus en plus contesté par l’émergence des BRICS que l’Arabie saoudite veut rejoindre. Dans ce contexte, une guerre globale au Proche-Orient ouvrirait un nouveau front pour les États-Unis. Or, ils peinent déjà à soutenir l’Ukraine. Ajoutez à cela un troisième front latent à Taïwan. Ça ferait beaucoup pour Washington.

Ce porte-avion ne fait donc peur à personne. Il pourrait tout au plus confronter le Hezbollah à un dilemme : s’il intervient en Israël, le Liban pourrait se faire raser ; s’il n’intervient pas, il sera accusé de traitrise. Mais acculer le Hezbollah pourrait s’avérer être une opération périlleuse. Il pourrait frapper des usines chimiques en territoire israélien, à Saint-Jean d’Acre notamment. Ce serait l’apocalypse !

L’issue du conflit ne peut donc pas être militaire ?

Le nœud du problème est politique : depuis 30 ans, Israël ne respecte pas les accords d’Oslo et continue de coloniser les territoires palestiniens. Tant que la communauté internationale ne réagit pas à cette colonisation illégale, il n’y aura pas de solution.

Source: Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.