Guatemalan President-elect Bernardo Arevalo (C) shows a writ of amparo to his supporters next to Guatemalan Vice President-elect Karin Herrera (2nd-L) during a protest to demand the resignation of Attorney General Consuelo Porras and prosecutor Rafael Curruchiche in Guatemala City on September 18, 2023. Arevalo presented this Monday at the Supreme Court headquarters a request for the removal of Attorney General Consuelo Porras, whom he accuses of orchestrating a "coup d'état" to prevent him from assuming power in January. (Photo by Johan ORDONEZ / AFP)

Amérique latine en Résistance : Démocratie et corruption

Dans ce nouveau numéro d'Amérique latine en Résistance, le Guatemala qui bataille pour le changement, un accord pour un cessez-le-feu en Colombie, des élections tendues en Equateur ou encore le regard de Mariano Saravia, journaliste argentin, sur le succès de l'extrême droite au premier tour.

Éditorial / La lutte pour le changement au Guatemala

Au cours des dernières semaines, le Guatemala est devenu l’un des principaux champs de bataille politiques en Amérique latine à cause de la campagne menée par des membres du secteur judiciaire contre le président élu, le progressiste Bernardo Arévalo, et le Mouvement Semilla qui le soutient.

La victoire décisive d’Arévalo lors des récentes élections présidentielles, avec plus de 60 % des voix au second tour du 20 août, a fait tirer la sonnette d’alarme parmi les élites du pays. Un candidat dont le programme se concentre sur la lutte contre la corruption, qui s’avère en plus être le fils de Juan José Arévalo, le premier président du pays après la révolution de 1944, vient de remporter la présidence.

Ainsi, des procureurs menés par Consuelo Porras, Rafael Curruchiche et Cinthia Monterroso ont-ils ouvert une enquête sur le Mouvement Semilla pour irrégularités présumées dans les signatures présentées lors de sa formation en 2017. Ils ont également ordonné la saisie de matériel électoral.

Bien qu’une enquête criminelle ne devrait pas concerner des résultats électoraux, la Cour Constitutionnelle guatémaltèque a décidé de maintenir la décision de suspendre le Mouvement Semilla.

Il est assez clair que les élites, par le biais de leurs agents au sein du système judiciaire, cherchent à empêcher Arévalo de prendre ses fonctions de président en janvier. Ou du moins, si cela s’avère impossible, à affaiblir au maximum le nouveau président.

Cependant, il est possible que ceci se retourne contre eux. Chaque attaque contre la victoire électorale d’Arévalo a provoqué des manifestations massives de la part du peuple guatémaltèque. Début octobre, 58 routes et autoroutes étaient bloquées.

Le président élu a dénoncé les tentatives de « coup d’État » et cette « persécution judiciaire », appelant le peuple à manifester. Son objectif est de créer une pression populaire contre les initiatives antidémocratiques, en renforçant ainsi son projet. Arévalo avait suspendu le dialogue sur la transition présidentielle, mais il l’a repris ces derniers jours.

Le cas du Guatemala est également intéressant car les enjeux sont nombreux sur la scène internationale. Le récent sommet du Groupe de Puebla (29 septembre – 1er octobre), auquel Arévalo a participé, a inclus dans sa déclaration finale un fort soutien au président élu et la condamnation des efforts visant à subvertir la volonté exprimée par le peuple guatémaltèque.

Mais le soutien n’est pas seulement venu des espaces et des dirigeants progressistes. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a exprimé sa « préoccupation » face aux « tentatives de saper » les résultats électoraux. Le Parlement Européen (PE) a dénoncé la tentative de « contourner » les élections et a appelé les institutions à soutenir un « transfert pacifique du pouvoir ».

L’Organisation des États Américains (OEA), qui a des antécédents très douteux en ce qui concerne le soutien au droit à l’autodétermination des peuples, a également apporté son soutien au président élu, en ajoutant que ce serait « un échec pour la démocratie » s’il était empêché de prendre ses fonctions.

La position de l’OEA reflète naturellement celle des États-Unis. Washington s’est toujours montré très habile pour passer des alertes vagues sur les « menaces contre la démocratie » à la défense de l’investiture d’Arévalo. À plusieurs reprises, des responsables américains, dont le Secrétaire d’État Antony Blinken, ont exigé que cessent les tentatives de sabotage des résultats électoraux.

L’attitude de l’administration Biden ne repose pas sur sa découverte d’un nouvel amour pour la démocratie, mais sur une stratégie par rapport au panorama politique. Les élites guatémaltèques, bien qu’elles soient très utiles aux intérêts des États-Unis, sont très discréditées, et soutenir un effort aussi éhontément antidémocratique serait contre-productif.

Washington préfère défendre les résultats électoraux, en espérant qu’il sera possible plus tard de contenir les éventuelles menaces que représenterait Arévalo.

L’agenda d’Arévalo, axé à près de 100 % sur la corruption, ne donne pas beaucoup d’indications sur sa vision politique. L’idée principale en est qu’avec une simple reprise de contrôle du budget public, il sera possible d’améliorer les conditions de vie de la population.

Politiquement, c’est un message réussi. Mais un éventuel gouvernement d’Arévalo sera confronté à nombreux obstacles, à commencer par un contexte législatif peu favorable. De plus, la corruption n’est pas simplement une question d’éthique et de morale, mais aussi de fonctionnement même du capitalisme dans un pays dépendant et sous-développé comme le Guatemala.

Jusqu’à présent, Arévalo a été cohérent en plaçant son destin entre les mains du peuple. Pour changer le destin d’un des pays les plus opprimés par l’impérialisme, il lui faudra beaucoup de force et d’audace.

Bréves

Colombie / Accord pour un cessez-le-feu entre le gouvernement et la dissidence armée

Le gouvernement colombien et l’État-Major Central, (EMC), des guérilleros dissidents des ex Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, (FARC), ont annoncé un cessez-le-feu pour une durée de 10 mois.

Cette trêve bilatérale commencera le 8 octobre prochain et ce même jour sera mise en place une « table de dialogue » dans la ville de Tibú, dans la région de Catatumbo, l’une des zones où l’on compte le plus grand nombre de groupes armés.

Camilo González, chef de la délégation du gouvernement pour la paix, a fortement insisté sur l’importance historique de ce cessez-le-feu car une trêve aussi longue n’a jamais eu lieu auparavant.

El Salvador / La volonté de Bukele d’être candidat pour la seconde fois fait polémique

Plusieurs organisations et syndicats du Salvador rejettent l’éventuelle réélection de Nayib Bukele lors des élections présidentielles prévues pour le 4 février 2024.

Les détracteurs affirment que sa candidature viole la Constitution du pays. Cependant, un arrêté de la Chambre Constitutionnelle du Tribunal Suprême de Justice du pays, en date de septembre 2021, avait stipulé que la décision de reconduire le président dans ses fonctions revient aux électeurs.

Pour le moment, les sondages accordent à Bukele plus de 68 % de votes favorables alors que les six autres candidats publiquement annoncés à ce jour n’atteignent pas, tous réunis, 10 %.

Equateur / Des élections dans un climat de violence

Le peuple équatorien vote le 15 octobre.

Le Conseil Electoral de l’Équateur a confirmé que le deuxième tour des élections anticipées programmées cette année aura lieu le 15 octobre en dépit du fait que le pays est toujours confronté à une vague de violence sociale et politique.

La candidate de Révolution Citoyenne, Luisa Gonzalez, a déposé une plainte auprès du Bureau du Procureur Général pour avoir été victime d’une tentative d’attentat contre sa personne. Son adversaire principal, Daniel Noboa, candidat d’Action Démocratique Nationale, s’efforce de tirer profit de la moindre sympathie envers son père, le magnat Álvaro Noboa, lequel avait tenté de devenir président de l’Équateur à cinq reprises.

La Confédération des Nationalités Autochtones de l’Équateur (CONAIE)  a déclaré, quant à elle, qu’elle ne soutiendrait aucun des deux candidats.

Venezuela / Des tensions renaissent sur la question du conflit territorial

Le gouvernement vénézuélien a accusé son homologue de Guyane de se comporter comme « une succursale d’ExxonMobil » après que celui-ci a décidé de lancer des appels d’offres pour l’exploitation de blocs pétroliers situés dans les eaux territoriales de l’Esequibo, territoire que ces deux nations se disputent.

La Guyane demande à la Cour Internationale de Justice de confirmer une sentence arbitraire de 1899 en faveur du Royaume-Uni, son ancien colonisateur. Caracas rejette cette sentence de 1899 qu’il qualifie d’illégitime et allègue que l’Accord de Genève, de 1966, par lequel les deux pays s’engagent à trouver une solution négociée, est la seule voie pour règler ce différend.

Nicolas Maduro a invité Irfaan Ali à dialoguer par l’entremise de la Communauté des Caraïbes (CARICOM).

Bolivia / Evo Morales annonce sa candidature à l’élection présidentielle

Evo Morales a déclaré son intention de se présenter aux élections présidentielles boliviennes de 2024. Lors d’un meeting politique à Cochabamba, l’ex président a déclaré qu’il se sentait   “obligé” d’aller de l’avant en raison de la pression de ses partisans.

Luis Arce, l’actuel président, n’a fait aucun commentaire suite à cette déclaration. Le congrès du parti MAS, qui se tiendra début octobre, révélera le rapport des forces entre Morales et Arce au sein du parti.

Ces derniers temps, les deux camps ont échangé des accusations publiques. Le clan des fidèles à Evo a retiré son soutien au Parlement et cela rend difficile l’application du programme législatif du président Arce.

Interview

Argentine / Mariano Saravia: « Sergio Massa incarne la possibilité de défendre la démocratie »

Les élections primaires en Argentine ont réservé une surprise : le candidat d’extrême droite a obtenu le plus grand nombre de votes. A l’approche des élections du 22 octobre, nous nous sommes entretenus avec le journaliste et analyste Mariano Saravia pour comprendre ce phénomène et les enjeux de ces élections.

Les récentes élections primaires (PASO) ont eu un résultat surprenant : Javier Milei a été le candidat qui a recueilli le plus de votes. Comment expliquer ce phénomène ? Quels éléments a-t-il en commun avec d’autres personnalités d’extrême droite (comme Bolsonaro) et quelles sont ses caractéristiques propres ?

Le résultat de Javier Milei n’a été qu’une demie surprise. En fait, il progressait déjà très fortement depuis à peu près deux ans, mais au cours des derniers mois, les instituts de sondage ont commencé à dire qu’il avait ralenti. Les grands médias ont également commencé à en parler, ce qu’ils ne faisaient pas auparavant.

Je pense que le phénomène Milei est un phénomène inventé par le pouvoir en place afin d’introduire certaines questions, peut-être de manière exagérée. C’est-à-dire qu’en parlant du fait qu’une personne peut vendre un rein ou un bras pour nourrir ses enfants, ce que faisaient les médias, cela revenait à introduire subrepticement la discussion sur la santé publique. En lui faisant dire de manière peut-être grotesque et exagérée qu’il fermait ou allait fermer le ministère de l’éducation, les instituts de recherche scientifique, etc, les médias cherchent à faire entrer dans le calendrier de l’état la question de l’Education, du service public d’éducation. Et une fois qu’ils y sont parvenus, ils ont voulu passer à autre chose mais le monstre était déjà trop grand.

A cet égard, c’est semblable à ce qui s’est passé avec Bolsonaro. Je pense que l’un comme l’autre représente des expressions de l’extrême droite avec leurs nuances, bien que quelque peu différents. Si l’on compare à Donald Trump, il y a beaucoup de similitudes, mais en matière de politique économique, celui-ci est protectionniste, alors que Milei est ultra-libéral. Chacun choisit ses cibles, ses boucs émissaires. Trump s’en est pris aux Mexicains ou aux Latino-Américains et aux minorités ethniques; au Brésil, Bolsonaro s’en est pris à la diversité sexuelle et aux femmes; et ici, en Argentine, Milei a choisi comme cible ce qu’il appelle la caste politique, les politiciens de carrière, tout ce qui les entoure, les syndicats, les militants politiques, les fonctionnaires de l’administration publique, etc, tout en cachant le fait qu’il fait partie de ce même système. Il se présente comme un outsider mais en réalité il fait partie du système, il a toujours fait de la politique, dans le secteur privé et comme conseiller de personnalités politiques.

Le gouvernement d’Alberto Fernández a rencontré de nombreux obstacles, et le Frente de Todos (FdT) a fini par présenter Sergio Massa, peut-être à la recherche d’une option « consensuelle ». Comment évaluez-vous cette stratégie et comment pensez-vous que le FdT devrait aborder la campagne électorale ?

 Alberto Fernández est arrivé après le désastre laissé par le néolibéralisme de Mauricio Macri. Avec Macri, nous avons connu un recul de nombreuses années en tant que société et en tant que pays, nous sommes retournés vers le Fonds monétaire international; de nombreuses entreprises  ont fermé,  nous avons eu beaucoup de chômage, une forte inflation, une augmentation des dettes, et c’est ainsi qu’Alberto Fernández a trouvé le pays. Qui plus est, dès son entrée en fonction, la pandémie a éclaté et, une fois la pandémie terminée, nous avons souffert de la pire sécheresse depuis des décennies, ce qui s’est traduit par des récoltes beaucoup plus faibles que prévues, ce qui aura de graves répercussions sur la balance commerciale.

Ceci n’est pas si grave pour un gouvernement néolibéral, car sa politique consiste à ajuster, ajuster, ajuster et restreindre ce qu’il appelle les dépenses. Pour un gouvernement prétendument progressiste, comme le péronisme, qui veut développer l’économie, améliorer le marché intérieur et rechercher la justice sociale, c’est un énorme problème. Si nous tenons compte du fait que nous n’avons pas fini de nous industrialiser, que nous dépendons beaucoup des importations, et si nous ajoutons nos propres erreurs, dues à un gouvernement très tiède, nous nous trouvons à présent dans la nouvelle situation que nous connaissons. Nous ne sommes plus seulement face à un candidat néolibéral, mais face à un candidat aux accents fascistes qui a de bonnes chances de l’emporter. Le choix de Sergio Massa comme candidat me semble bon, c’est un signe des temps, Lula aussi a dû s’allier au néolibéralisme pour arrêter Bolsonaro et ceci est arrivé partout. Ce qu’incarne Sergio Massa, c’est la possibilité de défendre la démocratie, tout simplement, contre une option clairement antidémocratique et fasciste.

Durant les derniers mois, l’Argentine a fait de grands pas au niveau international, tout d’abord, en resserrant ses liens avec le Brésil et plus récemment en rejoignant les BRICS. Selon vous, quelle est l’importance de ces évolutions? Une défaite électorale du FdT mettrait-elle en péril ces avancées ?

L’Argentine a pris des mesures importantes et intéressantes au cours des derniers mois. Mais à mon goût, la politique étrangère de l’Argentine sous le gouvernement d’Alberto Fernández a été désastreuse, très zigzagante et ambiguë. Je pense qu’il s’est très mal comporté avec le Venezuela et le Nicaragua en général, ainsi que face à la guerre de l’OTAN contre la Russie, en suivant les diktats de Washington et de l’Occident.

Cependant, ces derniers mois, nous nous sommes améliorés, et plus que d’en attribuer le mérite à Alberto Fernández, cela doit être compris comme conséquence de l’importance du Brésil et du retour de Lula à la présidence. En fait, le rapprochement avec le Brésil et les BRICS est davantage dû à Lula qu’au gouvernement argentin. Quoi qu’il en soit, reste à voir ce qui concrètement en ressortira . Si Milei ou Patricia Bullrich du “Macrismo” devaient gagner, ils ont déjà dit que l’Argentine ne rejoindrait pas les BRICS. Pour moi, il s’agit d’une opportunité merveilleuse et unique, d’un changement important pour l’Argentine et le monde, mais il y a des élections entre les deux. Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’au cours des derniers mois, Alberto Fernández a adopté de meilleures positions au niveau international. Par exemple, en ce moment à l’Assemblée générale des Nations unies où il a condamné l’Azerbaïdjan pour le génocide du peuple arménien dans le Haut-Karabakh, ceci doit lui être reconnu.

Fresque à Ville de Mexico dédiée au massacre de Tlatelolco.

Veines ouvertes / Massacre de Tlatelolco

En 1968, l’armée mexicaine et des groupes paramilitaires ont commis l’un des massacres les plus infâmes de l’histoire du pays.

Dans une période de turbulences au Mexique, le mouvement étudiant a commencé à s’organiser et à s’élever contre le régime du Parti Révolutionnaire Institutionnel. Le 2 octobre, environ 10 000 étudiants se sont rassemblés sur la Plaza de las Tres Culturas pour protester contre l’organisation des  Jeux Olympiques dans la ville de Mexico.

La répression brutale des forces de sécurité a fait entre 300 et 400 morts, assassinés lors de l’un des nombreux épisodes de répression du peuple par les gouvernements du PRI.

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

Source : Investig’Action

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