Argentine presidential candidate for the La Libertad Avanza alliance Javier Milei speaks to supporters after winning the presidential election runoff at his party headquarters in Buenos Aires on November 19, 2023. - Libertarian outsider Javier Milei pulled off a massive upset Sunday with a resounding win in Argentina's presidential election, a stinging rebuke of the traditional parties that have overseen decades of economic decline. (Photo by Luis ROBAYO / AFP)AFP

Amérique Latine en Résistance : De la tragédie à la farce

Javier Milei est le nouveau président de l'Argentine. Le second tour qui s'annonçait serré ne l'a finalement pas été. Le candidat libertarien a remporté la victoire avec plus de 10 points d'avance.

Le pays sud-américain, confronté depuis des années à des difficultés économiques et sociales, entre maintenant dans une période pleine de dangers. Dans les urnes, l’électorat argentin a rejeté une option clairement mauvaise et s’est précipité dans l’abîme.

Au-delà de l’extrémisme verbal, de l’utilisation d’une “tronçonneuse” comme moyen de réduire les dépenses publiques et autres excentricités, les propositions de Milei frôlent l’invraisemblable. Le candidat de La Liberté Avance(La Libertad Avanza) a construit sa campagne autour de l’idée que l’État est un obstacle ou une menace pour l’initiative/la propriété privée, et en tant que tel, sa présence doit être réduite au maximum.

Parmi ses idées, figure l’élimination de plusieurs ministères et institutions publiques, la privatisation de la santé et de l’éducation voire la libéralisation de la vente d’armes et même d’organes.

Sur le plan économique, il a fait sonner l’alarme avec ses propositions d’abolition de la Banque centrale et de “dollarisation” du pays. Bien que l’Argentine ait souffert d’instabilité monétaire et de politiques discutables pour lutter contre l’inflation, cela reviendrait effectivement à guérir la maladie en tuant le patient.

Cependant, Milei rencontrera des obstacles pour mettre en œuvre certains de ses plans les plus extrêmes. Même s’il peut parvenir à obtenir une majorité législative avec le soutien de Juntos por el Cambio, l’alliance dirigée par l’ancien président Mauricio Macri, la droite “traditionnelle”, quant à elle, s’opposera à des changements tels que l’abolition de la Banque Centrale.

En ce sens, Milei pourrait se retrancher derrière le discours de l’État qui s’oppose à lui et freine la mise en application de son programme,  en laissant de côté les idées les plus absurdes et en avançant “seulement” selon un programme néolibéral extrême de coupes budgétaires et de privatisations.

La présidence du libertarien d’extrême droite devra provoquer d’importantes mobilisations des mouvements sociaux, des syndicats et des forces d’opposition pour faire face à un programme qui menace sérieusement les droits fondamentaux.

Mais alors que l’on spécule sur les scénarios à venir, il est également nécessaire d’évaluer le: comment en est-on arrivé là. Les entretiens et les colonnes d’analystes progressistes ou de gauche se sont multipliés et soulignent le rôle néfaste des médias, la désinformation sur les réseaux sociaux, le rôle de l’impérialisme et du Fonds Monétaire.

Tout cela est vrai, mais il manque un élément de critique et d’auto-critique du gouvernement d’Alberto Fernández au cours des quatre dernières années, du choix du ministre de l’Économie Sergio Massa comme candidat et de la campagne électorale elle-même. Dans le cas contraire, l’ennemi devient invincible et il semblerait qu’il n’y ait plus rien à faire.

Il faut reconnaître que le gouvernement de Fernández a connu des conditions très défavorables. Il a hérité du lourd crédit du FMI signé par son prédécesseur, puis il a dû faire face à la pandémie. Mais il est resté très frileux quant aux demandes de changements radicaux et, au bout du compte, il a perdu le soutien d’une bonne partie de sa base.

En cherchant à ne pas aliéner les créanciers ni les grands entrepreneurs, Fernández a fini par aliéner son propre peuple. La pauvreté en Argentine a atteint 40 % au premier semestre 2023.

Finalement, l’alliance au pouvoir a opté pour Sergio Massa, l’une des figures qui incarne le plus l'”establishment”, pour disputer la présidentielle. La campagne avait inclus des promesses anticipées d’alliances avec la droite, en offrant des concessions à l’opposition mais aucune à ses bases.

Ce qui s’est passé ressemblait à une réédition de la campagne de Haddad contre Bolsonaro en 2018, sous une bannière de “défense de la démocratie” aussi vague qu’inefficace. Quelle démocratie y a-t-il à défendre lorsque plus de la moitié des enfants vivent dans la pauvreté?

La victoire de Milei, ajoutée à celle de Noboa en Équateur et au récent coup d’état parlementaire au Pérou (qui faisait suite à l’épuisement complet du projet de Pedro Castillo), devrait susciter de profondes réflexions dans le camp progressiste latino-américain.

La vague de gouvernements de droite qui ont pris le pouvoir dans la seconde moitié de la dernière décennie s’est épuisée en un mandat. Le diagnostic était clair : le néolibéralisme n’offre pas de réponses aux crises économiques et aux besoins de la majorité.

Cependant, les gouvernements progressistes qui sont revenus risquent d’être tout aussi éphémères en restant pris dans cette quête éternelle d’équilibres impossibles, attachés à cette croyance absurde qu’il suffit de mieux gérer le capitalisme. Le péronisme est peut-être l’exemple le plus extrême de cela.

Il est inutile de poser le diagnostic de choses que l’on ne veut pas ou que l’on ne peut pas changer. Cela équivaut à justifier les défaites en cherchant des excuses. Il est plus inutile encore de blâmer les électeurs pour avoir été “dupés”. Il est nécessaire de parler au peuple, de construire  son organisation et d’identifier les ennemis. Et par-dessus tout, il faut être prêt à se battre.

Traduit par Ines Mahjoubi. Relecture par Sylvie Carrasco.

Source : Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.