Une vieille querelle territoriale a fait beaucoup de vagues en Amérique latine et dans les Caraïbes ces derniers mois. Il s’agit du litige autour du territoire de l’Esequibo, actuellement administré par le Guyana sur 160 000 kilomètres carrés, mais qui est revendiqué par le Venezuela.
L’histoire de cette controverse remonte à plus de 200 ans et a été constamment marquée par des intérêts impériaux. Jusqu’au XVIIIe siècle, la puissance européenne la plus présente était les Pays-Bas. Par la suite, l’Empire espagnol, en établissant la Capitainerie Générale du Venezuela, a imposé le fleuve Esequibo comme sa frontière orientale.
Lorsque le Venezuela a obtenu son indépendance au début du XIXe siècle, il a hérité du territoire précédemment sous domination espagnole. À cette époque, son voisin était déjà le Royaume-Uni, qui avait “reçu” le Guyana dans le cadre du traité anglo-néerlandais de 1814. Le gouvernement britannique avait initialement accepté la frontière proposée par le Venezuela.
Cependant, des explorateurs britanniques commencèrent à découvrir de l’or dans la région, et le Royaume-Uni a progressivement déplacé sa frontière vers l’ouest. Suite aux protestations du Venezuela, les États-Unis étaient intervenus en invoquant la Doctrine Monroe.
Les dirigeants américains avaient persuadé le fragile gouvernement vénézuélien qu’ils défendraient ses intérêts devant un tribunal arbitral à Paris. Le résultat fut tragique : les cinq juges attribuèrent presque tout le territoire contesté au Royaume-Uni. Le Venezuela rejeta la décision, mais il n’y avait guère d’autre recours.
Cette situation demeura en arrière-plan jusqu’aux années 60. En faisant valoir des révélations de collusion dans l’arbitrage de Paris, et encouragé par les États-Unis qui voulaient contrer la menace d’un gouvernement socialiste au Guyana indépendant, le Venezuela déposa une plainte auprès des Nations Unies. Le résultat se solda en février 1966 avec la signature de l’Accord de Genève qui engageait le Venezuela, le Royaume-Uni et la Guyane britannique à rechercher une solution mutuellement satisfaisante au différend frontalier. Quelques mois plus tard, la République Coopérative du Guyana remplaça son ex-puissance colonisatrice dans le traité.
Cependant, il n’y eut jamais de progrès dans le sens d’une résolution, principalement en raison d’interprétations divergentes de l’Accord de Genève. Le Venezuela affirme que le document implique l’annulation du jugement de 1899 et requiert des négociations directes. En revanche, le Guyana soutient que la nullité du jugement n’a pas été prouvée devant un tribunal, et que tant qu’elle ne l’aura pas été, il n’y a rien à discuter.
Cette querelle a connu des hauts et des bas, loin des priorités des gouvernements successifs. Hugo Chávez a mentionné cette controverse comme étant un héritage des anciens empires qui serait résolu à un moment donné. Il a plutôt mis l’accent sur de bonnes relations et une coopération avec le Guyana et la région des Caraïbes. Le meilleur exemple de cela fut le programme PetroCaribe qui fournissait du pétrole et des carburants aux pays des Caraïbes dans des conditions favorables pour briser, de cette façon, la domination des États-Unis et de ses entreprises.
Cependant, tout devait changer en 2015 lorsqu ‘ExxonMobil a découvert d’énormes réserves de pétrole dans les eaux territoriales de l’Esequibo. L’intérêt pour cette frontière a malheureusement toujours été lié aux ressources naturelles.
Le Venezuela a constamment protesté contre l’exploitation des ressources dans ces eaux, dont les frontières n’avaient pas été délimitées et qui violait l’Accord de Genève. En revanche, le Guyana a cherché une solution unilatérale au différend devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), en cherchant à faire reconnaître la frontière de 1899 comme définitive, tandis que le Venezuela déclare ne pas reconnaître la compétence de la CIJ dans cette affaire.
Le différend a atteint un nouveau sommet ces derniers mois lorsque le gouvernement guyanais a annoncé une nouvelle série d’autorisations pour des blocs pétroliers qui concernent des réserves qui se trouvent probablement dans les eaux vénézuéliennes. Le gouvernement de Nicolas Maduro a répondu en appelant à un référendum où une grande majorité des votants a soutenu la revendication historique du pays sur le territoire en question.
Ont suivi des tensions et déclarations provocatrices de la part des deux capitales. La presse occidentale a évoqué l’idée d’un conflit imminent, bien que cela n’ait jamais été une possibilité réaliste. Enfin, divers organismes régionaux tels que la Communauté caribéenne (CARICOM) et la CELAC, ainsi que le gouvernement brésilien, sont intervenus pour servir de médiateur.
Le résultat a débouché sur un sommet entre les présidents Maduro et Irfaan Ali à Saint-Vincent. Les deux gouvernements ont publié une déclaration commune s’engageant à ne pas recourir à la force pour régler le conflit et à poursuivre le dialogue.
Quelques jours plus tard, l’accord a été mis à l’épreuve lorsque le Royaume-Uni, attaché à son impérialisme déclinant, a décidé d’envoyer un navire de guerre au Guyana pour “soutenir” son ancienne colonie. Le Venezuela a réagi à la “provocation” en organisant des exercices militaires et en accusant son voisin de rompre le traité récent. A ce qu’il paraît, cela n’aura été qu’une occasion pour le gouvernement vénézuélien de fixer sa position.
Derrière ces tensions et cette dispute apparemment anachronique se trouvent les intérêts corporatifs et américains. Cela concerne évidemment le marché colossal que représente le Guyana pour ExxonMobil, ce qui s’est traduit par la grande influence de la multinationale.
Un reportage de The Intercept concluait qu’ “La limite entre: où se termine l’entreprise et où commence le gouvernement, est loin d’être claire”.
En même temps, Washington n’a pas besoin d’une invitation pour s’immiscer. Le Commando Sur (Commandement Sud) a mené plusieurs exercices militaires conjoints avec les Forces de défense du Guyana ces dernières années. Les autorités vénézuéliennes ont dénoncé à plusieurs reprises des projets visant à établir une base militaire américaine au Guyana, y compris dans l’Esequibo lui-même. Il est assez clair que les États-Unis cherchent à affaiblir voire à provoquer un pays qui a représenté une menace significative pour leur hégémonie au cours du dernier quart de siècle.
La réponse face à la déprédation corporative et aux menaces impérialistes est la solidarité et la coopération régionale. Malheureusement, on en a vu très peu. La position vénézuélienne est presque celle de la “propriété” (“l’Esequibo est à nous”). De même, le Guyana revendique les actions de son ancienne puissance coloniale et menace d’intervenir avec des “alliés” tels que les États-Unis.
Porter le regard sur l’héritage de Chávez et sur des exemples comme PetroCaribe serait bénéfique pour le Venezuela, le Guyana et toute la région. Ce sont des précédents, des exemples de l’utilisation souveraine des ressources naturelles au bénéfice des peuples. Dans ce conflit, presque rien n’est dit sur les 125 000 personnes qui vivent dans l’Esequibo, personne ne semble vraiment s’en soucier.
Tant que l’ennemi commun ne sera pas identifié, seules les grandes corporations en tireront profit, l’empire américain encouragera les divisions, et on perdra du temps dans des tensions et des menaces aussi inutiles que potentiellement destructrices.
Traduit par Ines Mahjoubi. Relecture par Sylvie Carrasco.
Source : Investig’Action
rv
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