Violences policières : à Bruxelles, la gauche soutient les victimes, mais ménage la police

Durant l’actuelle législature, PS et Ecolo se sont fait les porte-voix des victimes des violences et du racisme de la police. Un peu comme le secteur associatif, en somme, le talent pour jouer la carte de l’émotion en plus. Mais est-ce vraiment le rôle des deux principaux partis du gouvernement bruxellois quand, à côté de cela, ils se caractérisent par leur inaction dans la lutte contre les violences policières ?

En politique, les effets de mode, c’est bien pratique. Surtout quand ils sont portés par des événements géographiquement éloignés. Ça permet de jaser dessus à souhait, sans que cela engage à quoi que ce soit.

En Belgique, comme ailleurs dans le monde, le grand “réveil” concernant les violences policières remonte à 2020, au moment du meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par un policier blanc. Indignation générale dans les rangs du PS et d’Ecolo, trop heureux de pouvoir polir leur image de parti progressiste à peu de frais.

Pourtant, un an avant, lors de la campagne pour les élections fédérales et régionales de 2019, la thématique était un peu passée à l’as, malgré les scandales policiers qui émaillaient régulièrement l’actualité et concernaient, comme d’habitude, principalement des personnes racisées.

À Bruxelles, haut lieu des violences policières à la belge, les responsables du PS et d’Ecolo n’ont pas jugé bon d’en parler dans leur programme. Pour séduire l’électorat racisé, sans doute suffisait-il, à leurs yeux, d’aller se trémousser sur des chants gnawas au marché de Molenbeek comme dans le cas du PS, ou, pour Ecolo, de récupérer l’unique élue socialiste portant un foulard, Farida Tahar, depuis un moment malmenée par l’aile laïcarde de son parti.

Cela marcha. Les deux formations politiques remportèrent les élections dans la capitale, inaugurant ainsi la première législature PS-Ecolo, avec Défi comme parti d’appoint côté francophone.

Un an et une pandémie plus tard, éclatait le séisme « George Floyd », qui propulsa les questions de racisme et de violences policières à l’avant-plan.

Le 7 juin 2020, plus de 10.000 personnes se réunirent place Poelaert, à Bruxelles, pour la manifestation Black Lives Matter. Un engouement qui n’échappa pas chargés de com’ des deux partis de centre-gauche.

Bien décidé à surfer sur la vague BLM, Ecolo nous infligea une vidéo tire-larmes, en mode « baisse un doigt si… » (tu as déjà été victime d’une insulte raciste, tu as déjà eu peur quand tu croises la police, etc.), avec la co-présidente d’Ecolo Rajae Maouane et trois acolytes racisé.e.s, mines de Droopy et pognes finissant avec tous les doigts baissés.

Rajae Maouane, co-présidente d'Ecolo, dans un clip contre le racisme.

Côté PS, on préféra donner dans le style iconique, avec une photo de quelques sénateurs et sénatrices prenant la pose le poing levé, sur les marches de l’escalier en marbre du Sénat. Époustouflant de courage politique. Presque aussi beau que du BHL chemise ouverte en Libye.

Les sénateurs PS manifestent leur soutien aux victimes du racisme.

Tout cela prêterait presque à sourire si ces deux partis en étaient réellement réduits à ne produire que de simples messages de soutien aux victimes du racisme et des violences policières.

Ce n’est pas le cas. Si leurs moyens sont effectivement limités au Fédéral au sein de la coalition Vivaldi à sept partis, ou en Wallonie où ils doivent composer avec le MR, à Bruxelles, PS et Ecolo jouissent d’une certaine latitude pour faire bouger les lignes en matière de lutte contre le racisme et les violences systémiques de la police (*).

Pourtant, sous le gouvernement régional PS-Ecolo-Défi, rien n’a changé. Pire, la situation s’est aggravée. S’il est difficile de quantifier les violences policières (les victimes craignant souvent de porter plainte), il y a néanmoins une donnée qui ne trompe pas : celle du nombre de décès causés par la police. Selon l’Observatoire des violences policières en Belgique, celui-ci est passé, à Bruxelles, de trois sous la législature 2014-2019 à… cinq sous l’actuelle législature, laquelle n’est évidemment pas terminée (**).

Surprenant ? Pas vraiment, quand on sait que, dans sa Déclaration générale de politique commune élaborée au lendemain des élections de 2019, les partenaires du tout nouveau gouvernement bruxellois n’ont pas jugé bon de consacrer ne serait-ce qu’une ligne à la question des violences policières. Par contre, on y trouve un passage pas loin de sonner comme une franche insulte jetée à la face des Bruxellois.e.s subissant le racisme policier, à savoir celui portant sur la volonté du Gouvernement de lutter contre « le sentiment de contrôle au faciès ».

Là, on rend les armes. Le racisme dans la police, une réalité objective ? Pensez-vous ! Juste un “sentiment” ou, si vous préférez, une névrose de racisé.e.s en mal de reconnaissance sociale. Et si tout n’est finalement qu’une question de “sentiment”, pas étonnant de voir des élu.e.s jouer sur la corde émotionnelle dans des clips vidéo, ou sur des photos pour les réseaux sociaux.

Avec tout ça, on en finirait presque par croire que le rôle d’un homme ou d’une femme politique, ce n’est pas d’essayer de réformer un système détraqué, mais de témoigner sa sympathie aux victimes de discriminations et de relayer leurs doléances. Mais les relayer à qui, au fait, si le politique déserte le terrain de l’action et lui préfère celui de l’émotion ?

(*) D’autant plus que, depuis la sixième réforme de l’État de 2015, le rôle de la Région en matière de sécurité et de prévention a été élargi. Un Organisme d’Intérêt Public, Safe Brussels, a d’ailleurs été créé pour, entre autres, coordonner les politiques de sécurité et exercer une tutelle sur les budgets des zones de police.
(**) Précisons néanmoins qu’il s’agit de décès officiellement répertoriés et que, parmi les victimes habituelles des violences policières, on trouve bien évidemment les personnes migrantes, lesquelles passent généralement sous les radars statistiques.

Source: Investig’Action

 

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