La violence mise en œuvre par l’anti-chavisme au Venezuela ne doit pas être considérée comme une suite d’actions isolées que nous pouvons banaliser ou simplifier. Elle consiste en actions organisées, nullement innocentes, qui n’ont rien à voir avec les expressions spontanées produites par le mal-être social.
Si on regarde en détail les formes de violence en vigueur dans l’anti-chavisme vénézuélien, nous trouvons en elles un aspect clairement pré-belliciste, hautement dangereux et elles sont essentiellement un préambule à d’autres situations qui se sont déjà répétées dans des pays comme la Libye, la Syrie et récemment l’Ukraine. Voyons :
Caractéristiques de l’escalade violente
Les révolutions de couleur. Elles ont été employées de façon importante pendant plus d’une décennie. Les éléments indiqués par Gene Sharp dans son manuel des coups d’Etat pour « chauffer la rue » ont atteint leur point culminant au Venezuela pendant La Sortie de 2014. Cependant, en 2017, la réédition de ces « méthodes de lutte » caractérisées par la mobilisation des masses, les barricades, les sit-in et les tentatives pour prendre des édifices publics a été appliquée de façon plus élaborée sous le prétexte de « résistance pacifique » et de « protestation non-violente. »
Camouflée sous cette présentation, la violence coordonnée part de propositions simples mais très bien fabriquées : la présentation de l’Etat vénézuélien comme un agent de « répression » qui empêche la « protestation pacifique », la présentation à l’étranger d’une prétendue « lutte pacifique » qui fait éclater la violence « à cause du régime », la projection médiatique disproportionnée d’une violence dépassée, l’omission des faits derrière chaque mort et la fabrication d’émotions destinées aux instances internationales.
Protestation polyvalente. Pour les auteurs de la violence, les dangers de la désescalade sont grands étant donné la simplicité de ses caractéristiques : le soutien de la population aux protestations est insoutenable indéfiniment. Des expériences comme La Sortie, les guarimbas 2007, les Militaires sur la Place Altamira, entre autres, le prouvent.
C’est pourquoi en 2017, des modèles de protestations polyvalentes ont été conçus pour empêcher l’usure et maintenir la cohésion et le soutien des partisans de la MUD afin qu’ils servent à protéger les foules contre le chavisme. A l’arrière-garde, le rôle des groupes de choc est de construire un dossier sanglant qui légitime à l’étranger les actions coercitives contre le Gouvernement du Venezuela. Les modalités des marches, des barricades, des sit-in, des guarimbas, des marches silencieuses et maintenant des marches par tranche d’âge et par genre (femmes, étudiants, troisième âge) en particulier sont présentées comme des facettes pacifiques et légales de la protestation.
Mais c’est une toile de fond pour que la violence coordonnée et planifiée – celle qui provoque les « morts nécessaires » – ne soit pas isolée comme en 2014 quand les guarimbas et les barricades ont relégué l’escalade violente à de petits groupes presque paramilitaires qui se sont retranchés dans des quartiers périphériques de la classe moyenne de certaines villes. L’anti-chavisme essaie d’éviter cela. C’est pourquoi dans l’éventualité de violences, les installations de barricades et les « no mans land » ne se trouvent pas uniquement dans les zones naturelles de l’opposition. Maintenant, il y a aussi des confrontations de rue dans des « endroits en marge de la protestation » où sont tombés des jeunes dans des circonstances bizarres (parmi lesquelles celles de Armando Cañizales et de Juan Pablo Pernalete, remarquées pour leur importance médiatique).
Insertion du terrorisme et du para-militarisme dans l’étape initiale. La profanation de cimetières et l’utilisation d’urnes dans les barricades, l’usage de la violence planifiée et brutale contre des biens et des personnes, l’attaque planifiée contre des organes de sécurité, la coordination du pillage, la participation d’agents venus de la pègre dans les violences, les constructions de barricades, la propagation du chaos urbain et la violence disproportionnée dans des protestations par des personnes qui cherchent clairement à augmenter les faits sanglants, sont toutes des situations, des expressions et des symboles qui marquent la progression d’étapes de terreur.
Le fait que l’escalade violente anti-chaviste de 2017 cherche à aller au-delà de son maintien, de sa revitalisation, de son redimensionnement et à atteindre de nouvelles catégories et de nouvelles formes de violence coïncide clairement avec les faits. Comprenez qu’on pourrait présenter cela comme une insurrection civile, le développement progressif et ascendant d’une action violente armée, le seuil exact de la confrontation civile ou au moins ce qui pourrait être le désir de ceux qui ont besoin d’un choc pour déloger le chavisme.
Certaines conditions élémentaires pour y arriver sont déjà réunies. D’un côté, on cherche à nouveau à démanteler les fragiles pactes de cohabitation qui régissent la société vénézuélienne. Ils ont été atteints par la crise des institutions et le choc des pouvoirs que la droite vénézuélienne a provoqué après avoir pris le Parlement. Maintenant, après plus d’un an, cette situation-conflit s’est déplacée dans les rues du pays.
D’un autre côté, les niveaux de sublimation, de légitimation de la violence et l’exaspération de la population ont atteint leur point culminant en 2016 avec l’établissement du boycott économique qui a servi non seulement à provoquer des mécontentements sociaux légitimes mais a favorisé les conditions du débordement, de la rage sociale et la voie de la furie grâce à des opérations psychologiques et à des plans politiques.
Le soutien étranger. La légitimation des violences de la droite vénézuélienne depuis l’étranger est un élément clef. Les violences de 2017 ont l’aval de politiciens étrangers qui n’existaient pas en 2014. Le rôle de l’OEA, du Département d’Etat nord-américain, des lobbyistes du Sénat nord-américain comme Marco Rubio et Ileana Ros et, dans d’autres sphères, des acteurs régionaux comme Macri, Temer et Kuczynski a été essentiel dans la structuration d’un bloc anti-chaviste continental qui patronne politiquement le renversement du chavisme.
Pour une intervention au Venezuela, le Gouvernement des Etats-Unis jouit même de conditions régionales plus favorables que celles qu’il avait pour bombarder la Libye si on tient compte du fait que l’Union Africaine avait condamné cette intervention presque à l’unanimité. Cette donnée n’est pas sans importance.
La légitimation des violences anti-chavistes dans les tribunes politiques, les médias et les autres espaces d’opinion publique sur le continent américain et en Europe produit un consensus de dimensions inédites. Récemment, le directeur du Département Latino-américain du Ministère des Affaires Etrangères de la Russie, Alexánder Schetinin, a appelé instamment la communauté internationale à plaider pour le rétablissement du dialogue entre le Gouvernement et l’opposition vénézuélienne afin d’essayer de trouver une issue à la crise actuelle. Il a déclaré à RT que « certains organismes régionaux et certains pays d’Amérique Latine sont responsables, en partie, de la violence et des morts de ces dernières semaines au Venezuela. »
Le cycle de la violence est-il impossible à arrêter ?
Les conditions pour arrêter le cycle de la violence comme ses causes sont multiples et viennent de différentes sources. Bien que selon l’institut de sondages Hinterlaces, 80% de la population vénézuélienne condamne les violences de ces dernières semaines, c’est en fait une perception subjective, ce n’est pas lié de façon contraignante ni déterminante au calendrier de coup d’Etat de l’anti-chavisme vénézuélien. Pour la MUD, le rejet de la violence compte peu, ils l’utilisent simplement pour atteindre leurs buts. Mais ce sentiment, majoritairement opposée au cycle violent, n’est pas à sous-estimer, en particulier pour composer d’autres situations et d’autres calendriers, cette fois, par le chavisme.
La convocation de l’Assemblée Constituante est un élément clef mais nous ne devons pas sous-estimer le fait que, pour la droite, la convocation d’élections régionales en suspens peut séparer ceux qui veulent « tout » avec la voie irréaliste des « élections générales » (qui n’est pas prévue dans notre Constitution pour résoudre des conflits) et ceux qui souhaitent des quotas de pouvoir dans les régions en attendant 2018.
Il y a un autre facteur avec lequel le fascisme vénézuélien ne comptait pas et cela a été une action absolument pensée pour des situations comme celle-ci. Les Opérations pour la Libération du Peuple (OLP) sont devenues des instruments de destruction des niches de violence dure. Depuis leur mise en place, elles ont démantelé plus de bandes paramilitaires que n’importe quelle incursion à la frontière organisée par nos forces de sécurité. Depuis leur début, elles ont porté un coup important à ces groupes et à leurs prétentions à contrôler des zones stratégiques du territoire.
Aujourd’hui, les plans de ceux qui patronnent la violence ont été partiellement déséquilibrés par les OLP puisque le contrôle du territoire par les bandes armées de paramilitaires était vital pour l’exécution des tâches et des opérations qui, dans les circonstances actuelles, auraient provoqué des centaines de morts. Cela n’implique pas qu’il n’y ait pas aujourd’hui de cellules terroristes pouvant être activées.
Une autre question est l’opposant imaginaire, sa subjectivité à court terme et triomphale qui se construit sur des attentes provoquées par sa direction. Le ré-envisagement du cycle de violence sera aussi déterminé par les niveaux de bonne santé ou d’usure de la mobilisation de l’opposition. La capacité de manœuvre du chavisme et de la direction de la MUD à soutenir à long terme un bras de fer dans la rue en tant qu’espace politique réside dans ce facteur d’affaiblissement. Mais c’est là que réside, pour la MUD, l’urgence de conserver ses espaces et ses convocations.
La MUD craint, et ce n’est pas le pire, qu’une chute conséquente de sa capacité de mobilisation puisse porter atteinte aux agents violents et les isoler, ce qui induirait pour eux le grave risque que la légitimité sociale des résultats et des attentes créées autour de cette étape s’affaiblisse à un niveau politiquement insoutenable et prolongé pendant ces années pré-électorales.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos. Relecture par Investig’Action
Source: Mision Verdad