Jonas Boussifet est un jeune militant belge, engagé dans les mouvements de solidarité et des droits humains à Bruxelles. Après avoir vu des reportages sur la “répression” au Venezuela, il a décidé d’aller voir de ses propres yeux et de recueillir des témoignages. Mais en arrivant, il a découvert une réalité bien différente de celle qu’avaient présentée les médias. Dans cet entretien, nous abordons ses impressions sur le Venezuela, la propagande occidentale et ce qu’elle nous cache…
Vous avez un témoignage à contre-courant sur le Venezuela. Racontez-nous…
En fait très simplement j’y suis allé avec un regard de citoyen du monde, et pour plus précis : de citoyen européen. Et je me posais la question de savoir ce qui se passait réellement au Venezuela, j’avais entendu parler des fameux 120 morts qu’il y avaient eu sur place, les 120 morts que le gouvernement avait soi disant abattus ou laissé tuer pendant les manifestations. Et voilà, mon premier objectif était d’aller là-bas pour observer, voir ce qui s’y passait.
Et aussi dans un second temps je reconnais que c’était un objectif très naïf et très, très égoïste : en tant que photographe amateur et militant, je voulais prendre des photos des manifestations sur place. Je voulais revenir avec des clichés représentant les manifestations et la répression policière…
C’était dans le cadre de votre travail?
Non, c’était totalement personnel. Et c’est ce que j’expliquais : j’étais « déçu » à mettre entre guillemets ; parce que sur les trois semaines où j’étais là-bas, il n’y a eu que deux manifestations. Une était une mobilisation du gouvernement et l’autre une manifestation de l’opposition et qui était très, très loin de ce que de ce qu’on pouvait voir ici aux informations par rapport aux répressions et aux valeurs défendues par l’opposition. Les manifestations que j’ai vues se sont toujours déroulées dans un cadre bienveillant et où la répression policière était aux abonnés absents… les policiers étaient là pour encadrer mais il n’y a eu aucune répression telle qu’on peut voir sur nos écrans.
J’avais aussi entendu parler des fameux “cacas bambas”, le principe était de lancer des bouteilles contenant des excréments pour éviter de lancer des cocktails molotov et voilà sur le temps que je suis resté là-bas je n’ai pas pu assister aux manifestations tels que les médias mainstream la diffuse. Je n’ai pas pu prendre le cliché parfait non plus. Donc ça m’a permis de creuser et de me renseigner sur ce qui se passait là-bas. Pourquoi les informations qui étaient relayées ici étaient si tronquées ? et donc mon ambition après était de me balader dans les rues de Caracas, de Miranda de Bello Monte et d’apprendre à connaître la population.
Vous y êtes resté combien de temps et aussi à quelle période ?
Je suis resté trois semaines là-bas, c’était au mois d’août, juste après la Constituante. J ‘y suis allé du 18 août au 5 septembre. J’ai investigué dans les rues, j’ai recueilli des témoignages. J’ai parlé à des militants de l’opposition et j’ai eu la chance aussi de faire des interviews au ministère de l’information et de la communication. C’est grâce à ces rencontres que j’ai pu avoir différents avis qui m’ont permis de former mes représentations et le plaidoyer que je fais actuellement.
Vos interviews, c’était dans le cadre d’un projet ?
Oui, je voulais faire un projet personnel au début pour essayer de rétablir la vérité, essayer de faire la contre-information de ce qu’on voyait dans les médias ici, parce que je me suis aperçu qu’en fait je m’étais trompé sur toute la ligne par rapport aux manifestations. Mon objectif c’était de recueillir des interviews, j’ai fait quelques petits films de ce qui se passait dans les rues. Mon projet est toujours de réaliser un montage par rapport à qui se passe là-bas.
Comptez-vous le présenter prochainement ?
Oui, je pense que c’est nécessaire maintenant ; j’essaie d’assister à un maximum de conférences qu’il y a à propos du Venezuela. Dernièrement j’ai intégré une association qui s’appelle Venesol, c’était dans l’idée de ne plus suivre les médias mainstream et de rétablir ma vérité par rapport à la situation que j’ai rencontré là-bas.
Concrètement, qu’est-ce qui vous a plus choqué dans ce décalage entre vos impressions au départ, et ce que vous avez pu réellement témoigner sur place là-bas ?
Ce qui m’a choqué le plus avant mon départ c’était à propos des fameux 120 morts et la brutalité de la répression policière tel qu’annoncée dans nos journaux télévisés. En fait ici en Belgique je fais partie de différents groupes d’action qui font des manifestations et je voulais voir comment se déroulait une manifestation là-bas et c’est ça qui m’a énormément étonné. Je me considère de l’opposition ici en Belgique par rapport à notre gouvernement. Et oui je voulais voir ce que ça donnait une opposition dans les autres pays et revenir avec différents thèmes et différentes méthodes de manifestations.
Et lorsque j’étais à Caracas il y a eu une manifestation qui était une mobilisation du gouvernement. Elle a été retranscrite et diffusée en Europe par après, donc j’ai refait des recherches et on pouvait trouver via Euronews que cette mobilisation était un entraînement des milices vénézuéliennes. Cette mobilisation-là a eu lieu le 28 août et les infos relayées par nos presses étaient à l’opposé de ce que j’ai vu sur place.
C’était une marche anti-impérialiste…
Oui, c’était une marche militaro-citoyenne pro-gouvernementale, où tous les gens qui y participaient faisaient un trajet dans la rue, et ensuite il y avait un entraînement à la manipulation des armes. Et bien que je me considère comme profondément pacifiste et non-violent, le fait d’avoir assisté à ça a énormément remis en question mes réflexions sur les notions de pacifisme et de sécurité aussi.
Parce que finalement qu’est-ce qu’être en sécurité ? Ici en Belgique la sécurité est une compétence de l’armée et de la police, et lorsqu’on voit à ce quoi ils œuvrent pour notre « sécurité », des rafles ici et des guerres là-bas, je me dis que le citoyen devrait avoir son mot à dire par rapport à cette compétence. Le gouvernement Michel ponctionne dans la sécurité sociale pour investir dans l’achat de nouveaux avions de chasse.
Qu’est ce qui le plus important ? Bombarder là-bas ou soigner ici ? c’est ça la véritable sécurité. Et pourtant ils vont injecter des milliards dans ces avions de chasse pour notre « sécurité ». Nous sommes totalement déconnectés de cette notion de sécurité pour tolérer ce genre d’investissement, et puisque nous en sommes déconnectés le citoyen est prêt à renoncer à son droit à se défendre et ce même face à un Etat de plus en plus anti-démocratique et d’extrême droite. Et là-bas donc il y avait un entraînement à la manipulation des armes pour les citoyens, mais aussi à l’organisation de structure populaire en cas de coups d’état, d’attaques de paramilitaires ou de guerre civile. Je n’accepte pas le mot milice car c’était ouvert à tous et à toutes. Même moi je pouvais y participer et pourtant à ce que je sache je ne suis pas membre d’une milice vénézuélienne.
Ces événements dont vous parlez ont été comme une réponse aux menaces de Trump…
Une réponse aux sanctions, oui. L’objectif de cette mobilisation était de montrer qu’il n’y avait pas que le gouvernement vénézuélien qui était contre une ingérence des Etats-Unis, mais aussi « el pueblo ». Par cette mobilisation le peuple du Venezuela voulait soutenir son président et « sortir les dents » devant Trump. Et à mon avis c’est pour ça que certains médias ont manipulé cette mobilisation en la transformant en un entraînement de milices.
Quel est votre regard sur ce qu’on appelle “l’opposition vénézuélienne” ?
D’abord comme je l’ai dit, je me considère dans l’opposition en Belgique, bien que je ne sois pas membre d’un parti politique. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir une opposition dans chaque pays. Ça fait partie du jeu démocratique et ça permet une évolution constante de la politique. Un pays sans opposition est un pays dictatorial selon moi. Donc je partais avec une idée romantique de cette opposition vénézuélienne.
De plus les médias européens montraient que l’opposition était traduite par des jeunes qui étaient démunis face aux violences policières. Et lorsqu’il y a eu une manifestation de l’opposition, le trajet parcouru était tellement révélateur d’une ingérence étatsunienne que j’ai vite abandonné cette idée que le peuple se battait pour ses idées. Le trajet de la manif de l’opposition se terminait en face de l’ambassade des Etats-Unis à Caracas, où ils étaient accueillis pour faire part de leurs revendications. Autant dire qu’en voyant ça ma vision romantique de l’opposition vénézuélienne qui luttait pour plus de démocratie était en effet une mascarade impérialiste instrumentalisée par un Etat étranger : les Etats-Unis.
Lorsque je faisais mes interviews et photos sur place, je me basais sur les graffitis qu’il y avait dans la rue. Je voyais souvent un graff’ en particulier, le « #350 ». J’ai appris que ce graffiti était en fait un article de la constitution bolivarienne du Venezuela qui permettait au peuple de manifester lorsqu’il n’était pas d’accord avec les directives de son gouvernement. Cet article était utilisé par l’opposition pour légitimer ses actions. Le mot peuple est important dans cet article. Parce que j’avais plus l’impression que cet article était utilisé non pas par le peuple, mais par des intérêts étrangers au service du capitalisme.
Et vu d’ici, avec le recul, pensez-vous que la perception de la gauche européenne sur les événements du Venezuela ait été à la hauteur ?
En voyant les sanctions prises par l’Union Européenne et le prix Sakharov décerné à l’opposition vénézuélienne ? Je n’ai pas l’impression que la gauche européenne a rempli son rôle. Ou alors la gauche européenne n’a aucune légitimité à porter le nom de « gauche ». La gauche est normalement synonyme de progression, de changement, d’une politique sociale et pas au service d’une politique libérale. Or c’est le rôle qu’elle a joué et qu’elle continue à jouer. La remise du prix Sakharov à l’opposition Vénézuélienne est une insulte à la démocratie. Tout comme le prix Nobel de la paix qui avait été décerné à Obama alors que c’est le président américain ayant commis le plus d’assassinats ciblés. Non la gauche n’a pas rempli son travail sur ce dossier.
Et puis qui sommes-nous pour décerner un prix de la démocratie ? Un peuple qui ne participe à la politique que quand il élit ses représentants tous les « x » années. Des représentants qui ont les mêmes noms depuis plusieurs générations, on peut parler de dynastie politique en Belgique avec les Michels, les De Croos, les De Clerks et consort. Un peuple qui accepte qu’on lui enlève ses libertés pour plus de sécurité. Un peuple dont la participation aux élections est en baisse…
Au Venezuela, c’est le contraire : la participation aux élections est croissante. Ils connaissent leur constitution. Ils s’insurgent et ont le droit de s’insurger lorsque les décisions politiques ne correspondent pas à leurs attentes. Je pense qu’on devrait prendre exemple sur ce peuple. Pour eux, la politique est un devoir citoyen et pas un droit qu’ils ont refilé à des individus aux antipodes de la réalité du citoyen lambda.
Photo : Jonas Boussifet
Source: Le Journal de Notre Amérique