Depuis le Venezuela, Investig’Action offre à ses lecteurs des interviews pour donner un autre point de vue de l’actualité dans les grands médias. Notre correspondant Jean Araud, s’entretient avec le Dr Raul Carbonell sur ce sujet pertinent et actuel. Un sujet et un invité : de l’important à l’essentiel. L’important est qu’en mars 2020, le Covid-19 soit arrivé au Venezuela, et se soit transformé en pandémie avec de nombreuses victimes fatales. Mais l‘essentiel est les mesures médicales pour protéger notre société de ce virus et notre coexistence en société en temps de pandémie.
Investig’Action : Docteur, pour l’instant au 21e siècle, le Covid-19 est peut-être le “personnage” sur lequel le plus a été écrit et commenté dans la plupart des langues. Nous savons quand et où ce virus est apparu, mais est-ce un virus naturel ou, basé sur des hypothèses raisonnables, pouvons-nous avoir des soupçons sur son lieu et date de création, son créateur et le motif de sa création ?
Dr Carbonell : Certes, nous savons, grâce à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les autorités de la République populaire de Chine, qu’en décembre 2019 apparaissent les premiers cas de pneumonie atypique, qui deviendrait la plus grande urgence sanitaire, non seulement du 21e siècle, mais des 100 dernières années, par rapport à la grippe espagnole. Bien qu’il n’y ait pas suffisamment de preuves, il existe des informations provenant d’études épidémiologiques et de l’enquête menée par les autorités chinoises, selon lesquelles des mois avant l’apparition des cas de “pneumonie atypique”, lors des Jeux olympiques militaires organisés en Chine, plusieurs athlètes étatsuniens souffraient de fièvre sans symptômes. Il existe des théories selon lesquelles ce virus serait produit en laboratoires de guerre biologique, visant à saboter les économies de pays émergents comme la Chine. Cependant et à ce jour nous n’avons pas de preuves définitives.
I’A: Le Covid ressemble à une guerre contre l’humanité qui ne respecte pas les frontières, les classes sociales, les âges, les sexes, les croyances et les nations, développées ou pas. Généralement lorsqu’une nation fait face à une guerre, elle cherche des alliés pour vaincre l’ennemi. La logique serait alors que l’humanité entière s’unisse pour éradiquer ce virus. Quelle est votre vision sur comment l’humanité lui fait face ?
Dr Carbonell : Certes, cette urgence sanitaire, de par son ampleur, aurait dû réunir les nations avec l’objectif commun de sauver l’humanité. La vérité est qu’au début les pays confrontés à une peur initiale, ont en quelque sorte commencé une certaine alliance, mais au fil du temps, les pays dits développés essaient d’en obtenir des bénéfices en leurs faveurs. Par exemple, on a vu comment les EE UU, fidèles à leur politique néolibérale, n’ont pas cédé d´un pouce en soins médicaux aux populations vulnérables. Au contraire nous avons observé que sa population ayant peu accès à son système de santé a été la première victime du virus. La même chose s’est produite en Europe et dans notre continent avec le Brésil, où son président a même nié l’existence de l’urgence. Ensuite, la Big Pharma a utilisé la pandémie pour positionner ses vaccins et les pays sans ressources économiques comme en Afrique n’ont pas eu accès aux vaccins et aux fournitures médicales. Je dirais même qu’après une première hystérie collective, les grands capitaux ont pris le contrôle et ont même transformé leurs aides en affaires commerciales. Heureusement, dans notre pays, grâce à diverses actions diplomatiques avec nos amis et alliés, nous avons eu accès à des fournitures médicales, pas toutes celles dont nous avions besoin, mais suffisamment pour être l’un des pays les moins touchés. D’autre part, la pandémie a été un instrument de chantage, comme cela s’est produit avec le Fond Covax. Preuve en est, comme dirait notre président Nicolas Maduro, le Venezuela a raclé ses fonds de tiroirs pour régler la facture exigée par ce Fond qui, deux mois plus tard, ne nous a pas encore livré ses vaccins.
I’A : Pouvez-vous nous résumer les programmes de contrôle, détection et vaccination, y compris leurs coûts, que nos autorités ont mis en place pour protéger la population ?
Dr Carbonell : Comme tout le monde le sait, les premières mesures prises par le gouvernement en mars 2020 ont été la quarantaine consciente et volontaire, la suspension des vols et les contrôles frontaliers, aériens, maritimes et terrestres. Bien auparavant plusieurs mesures ont été prises, que la majorité de la population ignore, comme l’élaboration de protocoles préventifs pour faire face aux effets du Covid-19. De plus, et pour éviter ou retarder son arrivée, depuis janvier 2020, les contrôles ont commencé dans les aéroports internationaux pour les passagers en provenance de pays où l’épidémie était déjà active. Face aux premiers cas, comme je l’ai évoqué, ont débuté la quarantaine, la fermeture des passages frontaliers, la détection active des malades (clôture épidémiologique), la désinfection des lieux publics (rues et bâtiments) et l’adaptation des structures sanitaires (centres Covid), tout cela depuis une commission présidentielle intersectorielle présidée par la vice-présidente de notre pays. Concernant le traitement, une commission a été formée à laquelle participent des professionnels, non seulement des médecins, mais aussi de différentes spécialités, non seulement du gouvernement, mais aussi de sociétés scientifiques comme l’infectiologie, pour évaluer les schémas de traitement les plus appropriés, cela sur la base des recommandations de l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS), l’OMS, et des spécialistes de Chine et de Russie, entre autres. Il est à noter que la commission examine constamment l’efficacité des traitements pour maintenir des normes de qualité élevées. L’État vénézuélien a investi des millions d’euros pour assurer à sa population des traitements gratuits et immédiats, y compris les vaccins, tandis que dans d’autres pays se facture jusqu’à 200 dollars le vaccin. Si nous devions le calculer, nous pourrions dire que l’investissement est de plus de 3 000 dollars par patient, mais comme le dit notre Constitution, pour nous il ne s’agit pas d’une dépense, mais d’un investissement social pour le bien-être de notre population. (1)
I’A : Nous aimerions avoir votre point de vue sur la coexistence de notre société face à la pandémie. En faisant un simple tour de Caracas, il semble que la majorité de la population soit disciplinée vis-à-vis des règles de biosécurité ; du port des masques, les règles de distanciation et usage de désinfectants dans les lieux publics, ces normes qui de plus sont également largement diffusées par nos médias. En raison de votre poste de responsabilité au ministère de la Santé, pouvez-vous confirmer cette impression ?
Dr Carbonell : En effet, comme toujours le Vénézuélien est un citoyen toujours prêt à aider et à soutenir ses semblables. Le respect des mesures de biosécurité a été adopté par tous. Je crois que le secret est que le gouvernement a toujours été clair et franc avec la population, qu’il n’a jamais cherché à imposer ces mesures, mais plutôt de les présenter comme à respecter volontairement et consciemment. En raison de la grande diffusion des médias tous et chacun des vénézuéliens, se rendent compte que ces mesures sont pour leur bien-être. Nous avons appris que ce sont des mesures nécessaires et même les enfants rappellent aux adultes d’utiliser leurs masques et de se laver les mains. De plus ces mesures ont indirectement contribué, à réduire d’autres maladies de transmission aérienne ou par manque d’hygiène, comme la diarrhée, la grippe, les parasitoses, etc.
I’A : Concernant les chiffres essentiels tels que population, cas traités et guéris et les décès, avez-vous des références comparatives avec d’autres pays qui sont définis comme grandes puissances ?
Dr Carbonell : Comme je l’ai dit précédemment, les mesures prises nous ont permis d’être l’un des pays avec le moins de cas par habitant, contrairement aux États-Unis, qui avec le Brésil sont ceux qui ont le plus d’infectés et de morts dans la région. Ensuite nous avons des pays européens qui se dirigent maintenant vers la quatrième vague d’infection. L’attaque de la maladie se concentre actuellement sur l’Inde, où le variant Delta est apparue, arrivée il y a des semaines au Brésil et en Colombie, elle n’est pas encore entrée dans notre pays et n’a été détectée qu’aux postes frontaliers (aéroports) (2). En résumé, les pays du dit premier monde ou les plus développés, sont ceux en pointe des statistiques de contagion et de décès, tandis que des pays comme le nôtre en voie de développement, avons démontré qu’avec des politiques d’équité, d’égalité et du droit à la santé gratuite, il est possible de répondre et d’éviter les ravages dus à cette terrible urgence sanitaire.
I’A : Aujourd’hui est évidente la concurrence commerciale entre les laboratoires de fabrication de vaccins et que certaines nations utilisent cette pandémie comme une arme politique contre leurs adversaires ; sans reconnaître leurs vaccins, ils bloquent leurs frontières ou les empêchent d`acheter des vaccins. Au Venezuela, souffrons-nous des conséquences de cette stratégie sans la moindre éthique humanitaire ?
Dr Carbonell : Bien sûr, tout d’abord, le fait qu’après que le gouvernement, en faisant de gros efforts, ait réussi à régler ce qui était exigé par le Fond Covax pour un lot de vaccins, il ne nous a pas été livré à la suite de mesures unilatérales. De plus pour le paiement des vaccins à la Chine et à la Russie (à part ceux offerts), nous devons trouver des voies alternatives pour les acheter. Cela sans parler des boycotts de vaccins comme le Spoutnik V (Russie) ou le Soberana ou Abdala (Cuba). Bref, les grandes entreprises pharmaceutiques utilisent les vaccins et les médicaments comme armes de guerre, limitant l’accès à des pays comme le Venezuela, Cuba ou le Nicaragua, simplement parce qu`ils prétendent être des pays souverains.
I’A : Nous avons commencé l’interview en mentionnant que le Covid-19 a fait la une de l’actualité et maintenant est devenu une arme géostratégique politique et commerciale. Quelle est la situation au Venezuela des patients souffrant d’autres maladies aussi graves que le diabète, le VIH ou le SIDA, entre autres ?
Dr Carbonell : La situation de nos compatriotes atteints de maladies chroniques est relativement bonne en ce moment, car malgré le blocus économique, grâce aux actions diplomatiques et aux accords de notre président, nous avons obtenu, par exemple, qu’aux personnes séropositives soient garantis leurs traitements, qu’existent des programmes tels que la Route Maternelle pour réduire la mortalité maternelle et infantile et apporte un soutien humanisé aux femmes enceintes. Certes la pandémie a réduit la production de médicaments dans le monde comme ceux qui peuvent arriver aujourd’hui dans notre pays concernent les patients souffrant d’hypertension artérielle (HTA) ou de diabète, qui dans de nombreux cas ont dû les acheter dans les pharmacies privées. Mais de nombreux maires ou gouverneurs ont créé des programmes de pharmacies populaires pour atténuer cet effet, telles que Pharmacies Caribe, Pharmacies Miranda ou Pharmacies Mobiles. Nos programmes de santé sont toujours actifs et en vigueur, donnant la priorité à la promotion de la santé et à la prévention des maladies, telles que les campagnes antitabac, la réduction de la consommation de sel, de matières grasses ou de sucre. Nous nous concentrons à réduire l’impact des maladies sur la population, ainsi que les facteurs de risque tels que l’obésité et la sédentarité, en plus de l’un des effets postérieurs à cette pandémie, comme l’effet sur la santé mentale des membres de la famille et des convalescents du postcovid. Pour cela nous concevons des politiques et des stratégies pour apporter un soutien psychosocial à tous ceux qui sont touchés par le Covid, non seulement aux patients, mais aussi aux héros en blanc, vert, bleu, gris ou orange, comme le sont nos professionnels de la santé, la protection civile, les sapeurs-pompiers, et tous ceux qui œuvrent chaque jour coude-à-coude contre cette urgence sanitaire.
* Dr. Raul Enrique Carbonell Bucci : Docteur en médecine du travail avec une expérience dans la gestion hospitalière et les services d’assistance. Il travaille actuellement au ministère du Pouvoir populaire de la santé du Venezuela en tant que directeur national des programmes de santé, directeur de la Commission nationale d’attention aux risques, aux urgences et aux catastrophes et est professeur à l’Université des sciences de la santé (UCS).
Notes :
(1) Il est à souligner qu’à travers les médias un haut responsable du gouvernement, généralement la vice-présidente en personne, présente à la population un rapport quotidien des cas de Covid, leurs lieux, sexes et âges des contaminés ainsi que des victimes fatales.
(2) Interview réalisée en juillet. Le variant Delta a depuis progressé au Venezuela, comme dans les autres pays de la région.
(3) Le programme Pharmacie Mobil Communautaire sont des camions équipés comme des pharmacies qui quotidiennement couvrent des itinéraires dans divers secteurs pour que la population puisse acheter des médicaments jusqu`à 80% plus économiques que dans les pharmacies privées. Le Venezuela dispose d’une flotte nationale d’environ 250 unités.