Les Émirats arabes unis et Israël ont signé un accord historique pour normaliser leurs relations. C’est un tournant important dans la région. En effet, si de plus en plus de pays arabes, alignés sur l’Occident, ont pour habitude de ménager Israël, officiellement, les États de la région s’en tiennent à l’accord de Beyrouth de 2002, avalisé par la Ligue arabe. Cet accord promet la paix à Israël en échange du retrait des territoires occupés, de la création d’un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale et d’une solution pour les réfugiés palestiniens. Israël ayant toujours refusé ce plan de paix arabe, les Émirats brisent un sérieux tabou. Pire, comme le relève Basem Naim, ancien ministre palestinien, les Émirats ajoutent l’insulte à l’injure en prétendant avoir passé cet accord avec Israël pour défendre la Palestine, laquelle n’a évidemment même pas été consultée… (IGA)
L’annonce d’un accord visant à normaliser les relations entre les Émirats arabes unis (EAU) et l’État d’occupation israélien n’est pas une surprise en elle-même, mais sa forme et son timing sont indécents.
Tous ceux qui suivent les normalisations de ces dernières années, ont noté que le Golfe, en particulier les Émirats, s’obstine à briser régulièrement tous les tabous que les Arabes respectent depuis des décennies en ce qui concerne la cause palestinienne. Le plus important de ces tabous est qu’il ne faut pas normaliser les relations avec l’État d’occupation avant d’avoir trouvé une solution équitable à la question palestinienne. C’est l’essence même de l’initiative arabe adoptée par la Ligue arabe en 2002, sur la base d’une proposition saoudienne.
Bien que l’État d’occupation ait rejeté l’initiative à l’époque, et qu’Ariel Sharon, l’ancien premier ministre de l’État d’occupation, ait déclaré : « Elle ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite », les Arabes s’y sont accrochés et ont répété à maintes reprises à l’ennemi que « 22 pays arabes sont prêts à une normalisation complète avec lui, dès qu’une solution juste et globale pour la cause palestinienne aura été obtenue ».
Les EAU, surtout ces dernières années, ont renoncé à toutes les valeurs nationales, religieuses et historiques de la région pour se faire une place sur la scène internationale, au détriment des peuples de la région et de leur avenir. Ils se sont alliés à toutes les forces réactionnaires et dictatoriales de la région pour réprimer les aspirations des peuples à la liberté et à la dignité. Ils ont joué un grand rôle dans toutes les contre-révolutions, même si le prix à payer était le massacre des peuples et un désastre humanitaire, comme au Yémen, par exemple.
Les dirigeants des EAU ont fait de leur mieux pour intégrer l’État d’occupation à la région et lui ouvrir des marchés, au détriment de la sécurité de la région et des droits inaliénables du peuple palestinien, sous des prétextes aussi peu convaincants que le besoin de contrer au « principal ennemi » des Arabes, l’Iran, alors qu’en secret les EAU entretiennent des relations fortes et enracinées avec l’Iran, en particulier au niveau économique.
Malgré l’embargo international imposé à l’Iran, les EAU n’ont jamais fait de réels efforts pour récupérer leurs trois îles occupées par l’Iran.
Mais le pire est peut-être leur participation, à Washington, à l’annonce officielle du plan de Donald Trump pour la paix et la prospérité dans la région, le soi-disant « Accord du siècle », dont tout le monde sait, à tous les niveaux, arabe, islamique et international, qu’il signifie la liquidation de la question palestinienne et la fin de toute possibilité réelle de créer un État palestinien indépendant, avec Jérusalem comme capitale.
Ce qui est curieux avec cet accord de normalisation, c’est que les dirigeants des Émirats arabes unis justifient leur acte odieux par leur souci des Palestiniens et de leurs intérêts. Ils prétendent que cet accord a été conclu en échange du report par l’État d’occupation de l’annexion de terres en Cisjordanie pour une période indéfinie. Mais c’est précisément ce que Benjamin Netanyahu, le premier ministre de l’État d’occupation, a nié dans sa conférence de presse de jeudi, quand il a dit : « Nous n’avons pas renoncé à l’annexion, elle a simplement été temporairement suspendue ».
D’ailleurs, tout le monde sait que le gouvernement d’occupation a décidé de reporter la mise en œuvre du plan d’annexion au début du mois de juillet dernier, pour plusieurs raisons. Les plus importantes étant le rejet du plan par la résistance palestinienne unifiée et celui de la communauté internationale, notamment de l’Europe. Sans parler des troubles qui agitent en ce moment les États-Unis, et du désaccord interne israélien sur la forme et l’ampleur de l’annexion.
Comment les EAU ont-ils osé se prévaloir de leur souci pour les intérêts palestiniens ? Alors qu’ils n’ont même pas consulté les principaux intéressés, les Palestiniens eux-mêmes, ni sur le contenu de l’accord, ni sur le timing de leur annonce ! Les dirigeants palestiniens du gouvernement officiel et des factions ont été pris par surprise par cette annonce et ont proclamé leur rejet total de cet accord. Dans sa déclaration, la présidence palestinienne a dit qu’il s’agissait d’ »une trahison de Jérusalem, d’Al-Aqsa et de la cause palestinienne ».
Nous avons été témoins de nombreux événements au cours des dernières années qui révélaient au grand jour les politiques secrètes des dirigeants des Émirats arabes unis dans leur relation stratégique avec l’État d’occupation. Ces divers événements couvraient tous les domaines de la vie religieuse, politique, économique, sportive, artistique et autres.
Bizarrement certains de ces événements ont été justifiés par la préoccupation humaniste de promouvoir la paix et la coexistence entre les peuples, comme la réunion d’une famille juive yéménite qui avait été séparée pendant plus de 15 ans. Ou encore, l’ouverture de la première synagogue ou du premier temple hindou dans le pays alors qu’on y poursuivait des activistes qui avaient documenté les pires niveaux de violations des droits de l’homme.
Quant aux familles yéménites, elles sont massacrées dans leur pays, leurs richesses sont volées et leur patrie est divisée. Les EAU font également obstacle à toute solution politique en Libye en soutenant le commandant renégat Khalifa Haftar, au détriment de la vie, de l’unité et de l’avenir des Libyens.
La normalisation avec l’ennemi n’est pas seulement une affaire politique, c’est une forme de trahison de toutes ses obligations nationales et humanitaires envers la cause la plus juste de l’histoire moderne : la cause palestinienne. Normaliser ses relations avec l’ennemi revient à lui donner toute latitude pour détruire la sécurité et les capacités de nos pays et de nos peuples afin de servir son projet de colonisation, le « Grand Israël », qu’il a aujourd’hui la possibilité d’avancer avec le soutien ouvert des Étasuniens, en plus de ses propres forces.
Les Arabes en général, et les Palestiniens en particulier, qui savent, pour l’avoir combattu pendant des décennies, que leur ennemi ne respecte aucun de ses engagements et qu’il n’a aucun désir de paix et de coexistence pacifique, s’attendent à de nouveaux désastres nationaux. Ils savent qu’il est prêt à tout pour établir son règne sur la région après avoir chassé sa population et détruit ses structures dans des conflits internes futiles.
Les dirigeants des Émirats arabes unis ne se rendent pas compte qu’ils se sont mis du mauvais côté de l’histoire et que leurs misérables efforts pour prolonger la vie de l’État d’occupation vont échouer. Ni l’histoire, ni leurs propres peuples ne le leur pardonneront.
Jeudi, aussitôt après l’annonce de l’ »accord de la honte », des milliers de citoyens du Golfe, de forces politiques et de représentants de la société civile du Golfe, ainsi que des millions d’Arabes et de musulmans, ont exprimé leur rejet catégorique de cet accord qui n’est pas l’expression des peuples des EAU. Certaines sources proches des dirigeants des EAU ont affirmé qu’il n’y avait pas eu de consultation au niveau fédéral sur l’accord et qu’Abou Dhabi et Dubaï avaient pris seuls la décision
Les dirigeants des Émirats arabes unis doivent relire l’histoire que nous enseignons à nos enfants, en particulier en Palestine. Nous leur apprenons que de nombreux colons sont passés en Palestine, mais qu’aucun n’a réussi à s’y implanter, tandis que ses habitants d’origine sont toujours là.
La Palestine n’est pas seulement un lieu géographique. Elle est étroitement liée au désir de la nation d’obtenir la liberté, la dignité et l’indépendance. La Palestine, avec ses lieux saints islamiques et chrétiens, est au cœur du nationalisme palestinien, et, par conséquent, quelques soient leurs efforts et l’argent qu’ils y mettent, ceux qui normalisent les relations avec l’ennemi ne pourront jamais faire que la boussole de la région n’indique pas son principal ennemi : l’ « État d’occupation » sioniste, et tôt ou tard, cet ennemi disparaîtra.
* Basem Naim, qui réside à Gaza, est l’ancien ministre de la Santé et conseiller du Premier ministre palestinien sur les relations internationales.
Source: Chronique de Palestine