A real estate project is under construction in Huai'an, Jiangsu Province, China, on March 7, 2024. (Photo by Costfoto/NurPhoto) (Photo by CFOTO / NurPhoto / NurPhoto via AFP)AFP

Une croissance de 5 % en 2024 est-elle réalisable pour la Chine ?

Le gouvernement chinois table sur un taux de croissance d’ « environ 5% » dans ses projections pour 2024. La viabilité de ce chiffre fait débat. Coup d’œil sur les principaux points de vue chinois ainsi que certains avis occidentaux influents.

Lors de l’assemblée générale annuelle du Congrès national du peuple – le parlement chinois – le  Premier ministre Li Qiang a dévoilé des plans économiques pour 2024. D’un point de vue graphique, ces plans apparaissent comme une réplique de ceux de 2023, avec le même taux de croissance attendu d’environ 5 %. Mais derrière cette apparente continuité se cache une situation très différente. Ce taux de 5 % est-il atteignable dans le contexte actuel ?

Xi donne la priorité à un développement de qualité

Le président et chef du parti Xi Jinping a participé à un groupe de travail avec des délégués de la province de Jiangsu. Il a invité les délégués à se concentrer sur la priorité absolue actuelle : l’amélioration de la qualité des progrès de la Chine. Cela signifie davantage d’efforts en matière d’innovation technologique, de soutien aux industries émergentes, de plans proactifs pour développer les secteurs à fort potentiel tout en modernisant les industries plus traditionnelles.

Selon Xi, l’amélioration de la qualité du progrès chinois passe par un meilleur fonctionnement des institutions qui encadrent l’économie socialiste de marché : un marché plus efficace ; un soutien à l’innovation dans le secteur privé ; une utilisation plus efficace de la recherche, de l’éducation et des ressources humaines ; un environnement attrayant et prévisible pour les entreprises internationales ; une ouverture plus qualitative aux pays étrangers ; moins de bureaucratie et plus de créativité ; davantage d’efforts pour améliorer les conditions de travail et de vie de la population.

Xi se concentre donc sur de nouvelles réformes pour une société de meilleure qualité, avant tout sur le plan technologique. Ces réformes sont un travail de longue haleine. Entre-temps, la croissance reste nécessaire, bien sûr. Mais il semble que pour Xi, un pour cent de croissance en plus ou en moins n’est pas une préoccupation majeure pour l’avenir de la Chine.

Premier ministre Li Qiang : 5 %, c’est ambitieux, mais nous pouvons y arriver

Le Premier ministre Li a commencé son rapport au Parlement en résumant les réalisations et les défis de 2023. Il a évoqué “une situation internationale exceptionnellement complexe et les tâches difficiles que représente la poursuite de la réforme et du développement intérieurs tout en maintenant la stabilité sociale“. Il a également souligné l’importance des efforts concertés de tous les Chinois “pour faire face aux pressions extérieures et aux difficultés intérieures“.

En 2023, l’économie a connu une croissance irrégulière et les résultats obtenus n’ont pas été naturels, selon Li.

L’économie mondiale s’est faiblement redressée. Les conflits géopolitiques se sont intensifiés, le protectionnisme a progressé. Rien de tout cela n’était bon pour l’économie chinoise.

Sur le plan intérieur, la Chine s’est retrouvée avec l’héritage du covid-19, avec d’anciens problèmes qui se sont aggravés et de nouveaux qui sont apparus. La demande étrangère a chuté et la demande intérieure a stagné. Les risques liés au secteur immobilier, à la dette des collectivités locales et aux petites banques ont augmenté dans certaines régions. À cela s’ajoutent les catastrophes naturelles.

Malgré tout, les objectifs pour 2023 ont été atteints. Cela a nécessité l’engagement de tous. Li a souligné que l’année écoulée avait permis de tirer de nombreux enseignements en matière de gestion des problèmes. Il est confiant pour l’avenir.

Li a présenté les principaux résultats pour 2023 que nous avons décrits dans un précédent article précédent. Voici encore quelques-uns des plus intéressants : plus de 12 millions de nouveaux emplois ; 28,6 % de contrats technologiques en plus ; récolte record de céréales ; augmentation de 6,1% du revenu disponible par personne ; cette augmentation est même de 8,4% dans les zones rurales les plus pauvres.

Les défis économiques selon Li

Le Premier ministre chinois a parlé ouvertement des problèmes et des défis économiques auxquels la Chine est confrontée.

L’économie mondiale s’essouffle. Les conflits régionaux ne cessent d’éclater. Il y a des problèmes de logistique.

Sur le plan interne, les bases de la reprise économique après la crise covid-19 ne sont pas assez solides. La demande est trop faible, il y a des surcapacités dans certains secteurs, les attentes ne sont pas élevées et il y a toutes sortes de risques plus ou moins cachés. Les petites et moyennes entreprises sont en difficulté. L’emploi connaît des problèmes temporaires et structurels. Les services publics sont encore insuffisants dans certains endroits. Certains gouvernements locaux ont du mal à joindre les deux bouts.

La Chine est toujours à la traîne dans le domaine des sciences et des technologies, la protection de l’environnement est loin d’être parfaite et il reste du travail à faire pour améliorer la sécurité sur le lieu de travail.

Il est également nécessaire d’améliorer le style de travail. La bureaucratie, le formalisme, le manque de responsabilité et la corruption dans certains domaines nécessitent de nouvelles réformes.

Li a assuré le Parlement que ces problèmes et défis seront résolus en 2024 et que tout sera mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés.

Il a ensuite abordé les objectifs pour cette année, que nous avons également abordés dans un article précédent. Nous en reprenons quelques-uns en particulier : augmentation des salaires parallèlement à la croissance économique ; équilibre de la balance des paiements (= taux de change stable) ; réduction de 2,5 % de la consommation d’énergie par unité de PIB ; meilleure protection de l’environnement.

L’approche de Li

À propos de l’objectif de croissance de 5 %, Li a déclaré qu’il ne serait pas facile à atteindre et qu’il nécessiterait une politique correcte et un grand engagement. Il a énoncé quelques principes pour guider le travail.

Le principe de base de la politique de cette année est la combinaison du progrès et de la stabilité. Toutes les mesures prises à tous les niveaux doivent promouvoir le progrès. En même temps, il faut se méfier des effets secondaires négatifs sur les attentes, la croissance, l’emploi et la qualité de vie en général.

La Chine doit aller de l’avant, le modèle de croissance doit être adapté à la nouvelle réalité, avec des ajustements structurels, une meilleure qualité et une plus grande efficacité.

Li a réitéré les recettes habituelles : prendre des mesures qui atténuent les fluctuations cycliques ; mener une politique fiscale proactive, une politique monétaire prudente et une meilleure coordination entre les ministères.

En ce qui concerne la politique budgétaire (impôts, subventions) pour 2024, les attentes étaient élevées, y compris à l’étranger. Le gouvernement chinois allait-il mettre en place de nouvelles incitations fiscales fortes pour stimuler l’économie ? Li est resté sibyllin : la politique budgétaire sera “renforcée de manière appropriée“. Les mesures fiscales ne doivent pas faire peser une charge insoutenable sur les finances publiques. Comme l’année prochaine, le déficit budgétaire restera à 3 % et le financement hors budget (avec des obligations spéciales) restera également à peu près au même niveau.

Le gouvernement opte pour une inflation de 3 % (ce qui était prévu en 2023 sans être atteint). La politique monétaire (taux d’intérêt, réserves) augmentera la masse monétaire pour atteindre l’objectif d’inflation. Il est important que cela se fasse de manière à ce que l’argent supplémentaire aille à des investissements judicieux et non vers des comptes bancaires ; par exemple, il y aura des mesures en faveur des PME, pour des projets technologiques, numériques et environnementaux ainsi que pour des fonds de pension.

La coordination entre les différents ministères doit être renforcée pour parvenir à une politique cohérente qui tienne compte de tous les aspects et de toutes les parties prenantes d’un problème, tant au niveau national que local.

Li ne s’est pas contenté d’une ligne directrice générale. Il a présenté 10 tâches économiques concrètes pour 2024. La plupart tournent autour des “nouvelles forces productives de qualité”.

En voici un bref aperçu : modernisation industrielle ; amélioration de la science et de l’éducation ; augmentation de la demande intérieure ; poursuite des réformes structurelles ; ouverture plus qualitative aux pays étrangers avec des avantages mutuels ; sécurité et gestion des risques dans certains secteurs ; poursuite de l’engagement en faveur des zones rurales ; meilleure intégration urbaine-rurale et optimisation de la spécialisation régionale ; investissement dans l’environnement et le climat. Enfin et surtout, l’amélioration du bien-être de la population et le développement de meilleures méthodes de gouvernance sociale.

Comment ont-ils calculé une croissance de 5 % et comment y parviendront-ils ?

Le 5 mars, le gouvernement chinois a tenu une conférence de presse. Le porte-parole était Huang Shouhong, chargé de préparer le rapport annuel du gouvernement. Il lui a été demandé comment le gouvernement avait calculé un taux de croissance de 5 % et comment il comptait l’atteindre.

Huang Shouhong a expliqué que l’objectif de croissance économique était le résultat de la prise en compte de nombreux facteurs différents, tant nationaux qu’étrangers, à court et à long terme. La croissance doit être suffisamment élevée pour répondre à un certain nombre de problèmes urgents : il faut créer de nouveaux emplois (en particulier pour les jeunes), augmenter le revenu des ménages (pour stimuler la consommation intérieure) et réduire les risques existants (secteur immobilier, dette). Les objectifs du plan quinquennal ont également été pris en compte.

Comment cet objectif sera-t-il atteint ? Huang est convaincu que les mesures prises au cours du second semestre 2023 pour stimuler l’économie se poursuivront en 2024. Des mesures supplémentaires seront également prises cette année en fonction des besoins pour assurer la croissance et le développement social.

Les étrangers sont sceptiques

Faiseur d’opinions, l’agence de presse Reuters a laissé Tao Chuan, analyste en chef chez Soochow Securities, s’exprimer : “Cette année, il sera plus difficile que l’année dernière d’atteindre les 5 %, car le niveau de référence est désormais plus élevé. C’est une indication que le gouvernement est sérieux dans sa volonté de soutenir la croissance“.

Mais Ben Bennett, conseiller en investissement stratégique chez Legal And General Investment Management, voit les choses différemment : « Les décideurs semblent vouloir poursuivre les politiques actuelles. C’est une déception pour ceux qui espéraient des mesures de relance fortes“. Il se demande comment le soutien promis pour la réduction de la dette des gouvernements locaux et du secteur immobilier se traduira en mesures concrètes.

Chez le concurrent Bloomberg, le ton est plus radical. Alicia Garcia Herrero, spécialiste de l’Asie à la banque Natixis, y écrit : “Il s’agit d’un objectif sans plan …. Cela montre qu’ils ne comprennent pas la gravité de la situation. Les salaires ont baissé. Il y a de la déflation. Comment s’attaquer à cela ? »

Ren Shuli, ex-banquier et chroniqueur pour Bloomberg, note que la croissance a été stimulée l’année dernière par la fin du covid-19, ce qui ne sera pas le cas cette année. Or, les principaux objectifs économiques quantifiés (PIB, inflation, dette publique et déficits budgétaires) sont les mêmes que l’année dernière. Selon le chroniqueur, en raison de la détérioration de l’environnement économique, ces objectifs sont désormais contradictoires et irréalistes.

Nomura estime également que le taux de 5 % est élevé. Le secteur immobilier trébuche, les gouvernements locaux de 12 provinces sont surendettés, les investissements dans les nouvelles énergies sont susceptibles de diminuer et les résultats de janvier et février ne sont pas brillants.

ING a déclaré que le principal moteur de la croissance en 2023 était la consommation intérieure. La faible confiance des consommateurs et ses effets négatifs sur les capacités vont faire grincer ce moteur en 2024. Les consommateurs dépenseront davantage pour les loisirs, la nourriture et le tourisme, mais moins pour des investissements tels que le logement ou les voitures. La croissance du commerce extérieur n’est plus non plus un moteur. Le risque de protectionnisme augmente, ce qui pourrait nuire aux exportations croissantes de véhicules électriques. Pour atteindre l’objectif de croissance, il faudra davantage de soutien de la part des investisseurs. Mais depuis 2019, ce sont les entreprises publiques qui investissent davantage que les entreprises privées.

Il est intéressant de noter que les commentateurs étrangers ne mentionnent guère la montée du protectionnisme en Occident et les obstacles technologiques posés par les États-Unis parmi les difficultés attendues.

Sources : Manosh Kewalramani Tracking People’s Daily, Press Office National People’s Congress, The China Aademy. Revue Ginger River


Source originale: China Square
Traduit du néerlandais par GL pour Investig’Action

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