Depuis 2015, l’Arabie saoudite bombarde le pays le plus pauvre de la péninsule arabique. L’objectif avancé de Ryad est de mâter la rébellion houthiste, perçue comme une percée de l’influence iranienne. D’après l’UNICEF, un enfant meurt toutes les dix minutes au Yémen. Pour Vijay Prashad, ces morts ne sont pas des tragédies, ce sont des crimes dont l’Occident est complice. (IGA)
Jeudi dernier (27 juillet 2017), le président de l’UNICEF, Anthony Lake, est arrivé à Amman, en Jordanie après avoir observé les ravages de la guerre insoutenable au Yémen. « Arrêtez la guerre », a dit Lake. C’était un message clair. Aucune ambiguïté. « Nous tous » a-t-il dit « devrions sentir une immense pitié, même l’agonie, pour tous ces enfants et d’autres qui souffrent, et ils devraient sentir de la colère, et de la colère pour notre génération apeurée par l’ irresponsabilité des gouvernements et d’autres qui permettent à ces événements de se produire.”
Le message de Lake est sorti sans trouver d’écho. Tout comme la voix de tous ceux qui ont essayé de lancer un débat sur les atrocités commises au Yémen. La nuit dernière (1er août), l’association caritative Save the children (Sauvez les Enfants) a tiré l’alarme une fois de plus. Dans un bref rapport, Save the Children a dit que plus d’un million d’enfants qui souffrent d’une malnutrition aiguë vivent dans des zones du pays touchées par le choléra.
« Après 2 ans de conflits armés, » a dit Tamer Kirolos, le directeur de Save the Children au Yémen, « les enfants sont coincés dans un cycle brutal de faim et de maladie. Et c’est simplement inacceptable ». L’équipe de Kirolos, dans la plus dure des zones touchées, a trouvé « un scénario horrible de bébés et de jeunes enfants qui sont non seulement mal nourris, mais aussi infectés par le choléra. » Le mélange est mortel. Ce qui est devant nous est apocalyptique : la mort en masse d’enfants provenant de la faim et de la maladie combinées.
En juin, l’UNICEF a rapporté qu’un enfant yéménite meure toutes les 10 minutes. Ces morts ne sont pas des tragédies. Ce sont des crimes.
La guerre au Yémen, poursuivie par l’Arabie saoudite et ses alliés est soutenue avec l’armement venant de l’Occident. Elle a détruit les sources de nourriture du pays, les infrastructures d’eau et les infrastructures sanitaires. En janvier 2016, un avion saoudien a bombardé une entreprise de désalinisation de l’eau au nord de Al-Mocha. Ce bombardement, de quelques minutes, a laissé le million de résidents de la ville Yéménite de Taiz sans eau. L’eau courante n’est plus une option pour la plupart des Yéménites. Ils comptent sur les citernes d’eau ; l’eau est devenue plus chère tout comme le pétrole dont le prix a explosé. Le mois dernier (juin), Gabriel Sánchez de Médecin sans frontières (MSF) au Yémen a dit dans un quartier, « notre équipe voit une situation sanitaire extrêmement déplorable et des accès insuffisants pour nettoyer l’eau potable. » L’absence d’eau potable a aidé à répandre l’épidémie de choléra qui s’est développée en mars.
Les groupes d’aide, de l’ONU et d’autres organisations, comme des groupes de citoyens à travers le Yémen ont essayé de remédier à la crise, mais l’amplitude de ce désastre engendré par l’homme est énorme. 4 enfants sur 5 au Yémen ont besoin d’aide humanitaire. Aucune agence de sauvetage ne peut résoudre cette crise si la guerre continue – en particulier si l’infrastructure fragile continue à être bombardée et si la réparation de cette infrastructure continue à être empêchée. L’Arabie saoudite a bloqué ce pays et a bombardé son principal port. Cela n’a pas seulement gêné le travail des groupes caritatifs. Cela implique aussi un plus grand besoin de matériel de réparation qui ne peut atteindre le Yémen. Le pays est en train d’être isolé dans la désolation.
Mardi (1er août), le directeur de l’Agence de Développement de l’ONU au Yémen (PNUD) Auke Lootsma a dit que 60 % de la population du Yémen ne sait pas d’où leur prochain repas va provenir. Lootsma, qui habite à Sanaa (Yémen), a parlé aux reporters via une vidéo-conférence. Save the Children a dit qu’un million d’enfants sont sur le point de mourir à cause du choléra. Lootsma a annoncé près du double des chiffres. « Nous nous attendons à ce que l’épidémie de choléra continue et cause des ravages malgré les efforts des agences de l’ONU » a-t-il dit. Plus de 90 % de la nourriture du Yémen est importée. Avec une combinaison du blocage de l’Arabie saoudite, des réserves d’échanges avec l’étranger laminées et la pauvreté qui règne dans le pays, la nourriture est inaccessible pour les familles. Le Yémen, Lootsma a dit froidement, « est comme un bus se dirigeant vers le bord de la falaise. »
Des histoires terribles nous proviennent du bord de ce précipice, en particulier cette famille yéménite désespérée qui a commencé à vendre ses enfants pour de la nourriture. Quand le coordinateur des aides d’urgence de l’ONU, Stephen O’Brien, est venu informer le Conseil de Sécurité de l’ONU en mai, il a déclaré: « Les familles sont en train de marier leurs jeunes filles de manière folle pour avoir quelqu’un d’autre qui prend soin d’elles, et ils utilisent souvent la dot pour payer les nécessités. » De telles tactiques de survie, dans le dos des enfants, vont avoir un impact à long terme sur la société yéménite. Cette guerre mène les gens à une grande barbarie.
Les objectifs de la guerre menée par l’Arabie saoudite ne pourront jamais être atteints au Yémen. C’est maintenant clair. Ils ne peuvent pas bombarder le pays jusqu’à la soumission et ils n’ont pas les forces sur le terrain pour entrer au Yémen et battre les différents groupes de rebelles qui les défient. Une tentative pour obtenir que l’armée pakistanaise intervienne aux frontières du pays a échoué en 2015 quand le parlement pakistanais a adopté une position neutre dans le conflit. En mars de cette année-là, les Pakistanais ont envoyé une brigade pour sécuriser les frontières du sud de l’Arabie saoudite. Cela montre que l’Arabie saoudite, de loin la mieux équipée en pouvoir militaire dans ce conflit, a maintenant peur que la guerre se déplace vers le nord, sur son propre territoire. Les rebelles yéménites ont tiré des missiles de type Scud qui ont filé sur l’Arabie saoudite et en même temps sur des bateaux saoudiens et émiratis qui entraient dans les eaux territoriales du Yémen. Ces attaques montrent que la défaite de la résistance du Yémen à l’Arabie saoudite n’est pas encore jouée.
Pendant ce temps, dans la région des Hadhramawt au Yémen, Al-Qaeda dans la Péninsule Arabique (AQPA) continue à gagner de l’argent. En février, le Groupe de Crise internationale a communiqué un rapport qui dit que l’AQPA « est plus fort que jamais. » L’AQPA et ses alliés sont devenus indispensables pour la guerre que l’Arabie saoudite mène dans les airs. Elle fournit d’importantes troupes au sol à Aden et à d’autres endroits. Les unités de combat tel que Humat Al-Qidah et les Brigades Al-Hassam sont bien soutenues par les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite pour protéger Aden. Ils sont les bénéficiaires directs de cette guerre. Le Groupe de Crise suggère que l’AQPA « se développe dans un environnement d’État en déclin, de sectarisme gonflant , d’ alliances s’inversant, d’une absence de sécurité et d’un développement de la guerre économique. Inverser cette tendance demande de mettre un terme au conflit qui engendre tout cela. Le risque que l’Etat s’effondre est important”. 1,2 million de fonctionnaires yéménites n’ont pas été payés depuis septembre 2016.
Pendant ce temps, l’Occident continue de vendre des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats, offrant ses ventes d’armes comme un moyen de sanctifier la guerre. Avec ces ventes, l’Occident est totalement complice de la guerre menée par l’Arabie saoudite.
La complicité de l’Occident est également engagée dans la manière avec laquelle l’Arabie saoudite accole cette guerre obscène à sa paranoïa de l’Iran. L’Arabie saoudite se défend en disant que le groupe rebelle Houthi au Yémen est un mandataire de l’Iran et que la mainmise des Houtis sur le Yémen ne peut être permise. C’est le pitch de cette guerre. Ce dont on a besoin toutefois, ce n’est pas d’une guerre pour détruire le Yémen, mais l’ouverture d’un sérieux processus entre l’Arabie saoudite et l’Iran pour parler de leur vaste désaccord.
A Istanbul, pendant un meeting d’urgence de la Coordination de l’Organisation Islamique sur les actions d’Israël à Jérusalem, les ministres étrangers d’Arabie saoudite et d’Iran se sont serré la main et ont parlé pendant quelques minutes. Adel Al-Jubeir (Arabie saoudite) et Javad Zarif (Iran) ont présenté plus tard des mots chaleureux à propos de leur meeting. Ce sont de petits gestes. Ils ont besoin d’être amplifiés. Les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran ne répandent pas seulement la guerre au Yémen, mais aussi la guerre en Syrie. Il va y avoir très certainement un enjeu important en octobre quand Donald Trump, le président des États-Unis, devra renouveler sa certification sur la négociation nucléaire avec l’Iran. Si les États-Unis se lancent dans la guerre contre l’Iran, cela sera en partie en raison de la pression saoudienne pour aller dans cette direction.
Comment éviter l’atrocité qui se déroule actuellement au Yémen ? La guerre doit s’arrêter. C’est maintenant une position de consensus parmi la communauté humanitaire. Les armes vendues par l’Occident doivent être stoppées. La pression pour un grand traité entre l’Arabie saoudite et l’Iran doit augmenter. Les vies de 1 million à 2 millions d’enfants yéménites sont en jeu.
Vijay Prashad est professeur d’études internationales au Trinity College à Hartford, dans le Connecticut. Il est l’auteur de 18 livres, incluant Arab Spring, Libyan Winter (AK Press, 2012), The Poorer Nations: A Possible History of the Global South (Verso, 2013) et The Death of a Nation and the Future of the Arab Revolution (University of California Press, 2016). Cet article a été rédigé grâce aux auteurs et aux contributeurs du site AlterNet.
Source originale: Alternet
Traduit de l’anglais par N.D. pour Investig’Action
Source: Investig’Action