L’adjudant Stefaan Vanpeteghem, du Service de Déminage et d’enlèvement des engins explosifs (Sedee) de Poelkapelle ne reviendra pas de sa première mission à l'étranger.
Sa mission, et sa vie, se sont achevées mercredi matin sous l'effet d'un terrorisme que, pourtant, aucune autorité belge ne dénonce ni ne poursuit. Les poseurs de cette bombe-là sont des amis. L'explosif qui a tué n'avait pas, il est vrai, été posé là par Bertrand Sassoye …
3 septembre 2008
Ce démineur expérimenté, 35 ans, marié et père de deux enfants, est une victime à retardement de la guerre d'agression menée par Israël contre le Liban il y a deux ans, au cours de laquelle l'armée israélienne a subi une défaite historique et a été contrainte à une retraite peu glorieuse, non sans avoir causé la mort d'un millier de civils dont un tiers d'enfants.
Ceux-ci continuent, et continueront sans doute longtemps encore, à payer très cher les suites de l'agression de "l'armée la plus morale du monde", dont les éternels laudateurs d'Israël ne se lassent pas de vanter "la pureté des armes".
L'agression israélienne contre le Liban, et plus particulièrement contre les milices du Hezbollah, a duré 34 jours. Elle s'est achevée le 14 août 2006.
Les bombes à "sous-munitions", peu avant leur impact au sol, à une altitude déterminée à l'avance, libèrent sur une vaste aire, des milliers de petites charges explosives, dont beaucoup (environ 40%) n'explosent pas. Du moins pas immédiatement. Mais elle le feront des jours, des mois, voire des années plus tard. Par exemple si un enfant ignorant du danger les ramasse, ou marche dessus.
Au total, ce sont plus d'un million de ces charges explosives qui ont été semées dans tout le sud du Liban par les israéliens. Qui plus est, il est établi que c'est dans les 72 heures qui ont précédé leur retraite que les forces israéliennes ont largué l'immense majorité de ces explosifs meurtriers. Des cadeaux d'adieu, dont personne ne pouvait ignorer qu'ils tueraient presque exclusivement des civils (dans une proportion de 98% selon Handicap International), et certainement une forte proportion d'enfants.
UN CRIME CONTRE L'HUMANITE
Pour cette raison, cette action correspond parfaitement à la définition juridique du crime contre l'humanité, à savoir des meurtres de masse ou « d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » commis dans le cadre d'une « attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l'attaque »
L'objectif poursuivi était, stricto sensu et sans aucune discussion possible de nature terroriste : elle ne correspondait à aucun impératif militaire "légitime" (si tant est qu'une armée d'invasion puisse poursuivre des buts légitimes dans les territoires envahis), et ne pouvait poursuivre aucun autre but que semer la terreur dans la population civile, et rendre de vastes zones du territoire libanais littéralement inhabitables pour des années.
Voici le témoignage d'un gradé de l'armée israélienne qu'on a pu lire dans le quotidien israélien de référence Ha'artez (édition électronique du anglais du 12 septembre 2009), sous la signature de Meron Rappaport :
"What we did was insane and monstruous, we covered entire towns in cluster bombs", the head of an IDF [1] rocket unit in Lebanon said regarding the use of cluster bombs ans phophorous shells during the war.
Quoting his battalion commander, the rocket unit head stated that the IDF fired around 1.800 cluster bombs, containing over 1,2 millions cluster bomblets.
In addition, soldiers in IDF artillery units testified that the army used phosphorous shells during the war, widely forbidden by international law. According to their claims, the vast majority of said explosive ordinance was fired in the final 10 days of the war.
The rocket unit commander stated that Multiple Launch Rocket System (MLRS) platforms were heavily used in spite of the fact that they were known to be highly inaccurate.
MLRS is a track or tire carried mobile rocket launching platform, capable of firing a very high volume of mostly unguided munitions. The basic rocket fired by the platform is unguided and imprecise, with a range of about 32 kilometers.
The rockets are designed to burst into sub-munitions at a planned altitude in order to blanket enemy army and personnel on the ground with smaller explosive rounds. The use of such weaponry is controversial mainly due to its inaccuracy and ability to wreak great havoc against indeterminate targets over large areas of territory, with a margin of error of as much as 1,200 meters from the intended target to the area hit.
The cluster rounds which don't detonate on impact, believed by the United Nations to be around 40% of those fired by the IDF in Lebanon, remain on the ground as unexploded munitions, effectively littering the landscape with thousands of land mines which will continue to claim victims long after the war has ended."
"Monstrueux". C'est un gradé de l'armée israélienne qui le disait.
Il y aurait donc au Liban environ 500.000 "bomblets" non explosées, des charges comme celles qui ont tué le démineur belge mercredi dans le sud du Liban. En deux ans, les démineurs belges en auraient détruit 14.000. A ce rythme, il faudrait donc 71 ans pour que les gosses du Liban ne risquent plus de se faire tuer ou arracher un membre par les "cadeaux" abandonnés derrière eux par les Israéliens.
Ces explosifs ont été expédiés un peu au hasard (elles ne sont pas guidées) à 32 kilomètres de distance, et chacune des bombes qui les contenaient a pu les disséminer totalement au hasard dans un rayon de 1,2 km de son point d'impact.
Il s'agissait donc pour l'armée israélienne, en se retirant, de submerger la zone qu'elle évacuait, le territoire du sud-Liban, d'explosifs meurtriers. "Des villes entières.." jonchées d'explosifs, témoigne le militaire cité dans l'article de Ha'aretz.
Quant aux munitions au phosphore – théoriquement interdites par les "lois de la guerre" internationales – elles sont destinés à cause "de sévères brûlures" suivies "d'une mort lente et douloureuse", précisait Ha'aretz.
Mais ne croyez surtout pas que ce crime de guerre à grande échelle ait fait l'objet d'une quelconque campagne de dénonciation. En Israël même – vous savez, "la seule démocratie du Moyen-Orient" – les seules questions que cette guerre souleva dans l'opinion portaient sur la question de savoir comment il était possible que les milices du Hezbollah puissent tenir en échec l'armée juive (les citoyens israéliens arabes en étant évidemment exclus). Israël – rapportait Gideon Levy [2] était submergé par une vague de nationalisme exacerbé, d'autant plus facilement que les média israéliens ont censuré les images provenant du Liban :
"In war as in war: Israel is sinking into a strident, nationalistic atmosphere and darkness is beginning to cover everything (…)
The devastation we are sowing in Lebanon doesn't touch anyone here and most of it is not even shown to Israelis. Those who want to know what Tyre looks like now have to turn to foreign channels – the BBC reporter brings chilling images from there, the likes of which won't be seen here.
How can one not be shocked by the suffering of the other, at our hands, even when our north suffers? The death we are sowing at the same time, right now in Gaza, with close to 120 dead since the kidnapping of Gilad Shalit, 27 last Wednesday alone, touches us even less. The hospitals in Gaza are full of burned children, but who cares? (…)
Chauvinism and an appetite for vengeance are raising their heads. If two weeks ago only lunatics such as Safed Rabbi Shmuel Eliyahu spoke about "wiping out every village where a Katyusha is fired," now a senior officer in the IDF speaks that way in Yedioth Aharonoth's main headlines. Lebanese villages may not have been wiped out yet, but we have long since wiped out our own red lines.
Lebanon, which has never fought Israel and has 40 daily newspapers, 42 colleges and universities and hundreds of different banks, is being destroyed by our planes and cannon and nobody is taking into account the amount of hatred we are sowing."
Si, comme l'écrit Gideon Levy, Israël a semé la haine (et pas seulement la haine d'Israël, la haine de l'occident en général) au Liban et dans tout le Moyen-Orient, un peu plus encore qu'ailleurs et que depuis 60 ans, son armée a aussi plus concrètement semé des explosifs meurtriers par centaines de milliers, autant de pièges destinés à tuer ou à mutiler gravement des victimes innocentes. Mais comme elles les tuent un ou deux à la fois, on n'en parle jamais comme d'un meurtre de masse ou d'un massacre, alors que c'est bien de cela qu'il s'agit. D'aucuns n'hésiteraient pas à parler (à tort) de génocide pour moins que cela.
Le "casque bleu" belge tué mercredi, quoique portant un uniforme, est l'une de ces victimes innocentes. Mais pour les autorités belges, ce crime n'a pas de coupable…
"UN ACCIDENT"
Yves Leterme a transmis ses "condoléances à la famille de Stefaan Vanpeteghem.
Le ministre de la Défense, Pieter De Crem, le chef de la Défense (CHOD) et le général August Van Daele "déplorent au plus haut point cet accident", a indiqué l’armée dans un communiqué.
Pour Karel De Gucht, "cet accident souligne encore une fois à quel point la situation au Liban est dramatique et donc la nécessité du travail d'hommes tels que l'adjudant Vanpeteghem".
Le CDH s'est quant à lui déclaré "très ému".
Prenons le pari que dans les journaux de demain AUCUN responsable politique [3] ne prononcera UN SEUL MOT pour rappeler qui a placé là l'explosif qui a tué le militaire belge (le quatrième), et avant lui des dizaines, voire des centaines de civils, sans même parler de ceux qui ont survécu mais sont mutilés à vie.
Ils préfèrent parler d'un "accident", comme si l'explosion d'une "sous-munitions" larguée par une armée dotée des armes les plus sophistiquées avait quoi que ce soit d'accidentel.
On n'a jamais entendu les mêmes – par exemple – qualifier d'accident la mort des pompiers qui furent tués par l'attentat des CCC, le 1er mai 1985 à la rue des sols à Bruxelles, en dépit des avertissements lancés par les poseurs de la bombe en question… Pierre Carette et ses camarades avaient pourtant, cela n'est pas contesté, tenter d'éviter que leur bombe fasse des victimes. L'armée israélienne, au contraire, a largué les siennes, par centaines de milliers, dans le but de faire des morts et des invalides à vie.
C'est pourtant la bombe des CCC qui est unanimement qualifiée de crime, tandis que la mort de l’adjudant Stefaan Vanpeteghem est qualifiée de "regrettable accident". De tous les autres morts causés par les agissements criminels d'Israël il n'est même pas question un seul instant.
LA BELGIQUE PLUS PROMPTE A VOTER UNE LOI, QU'A L'APPLIQUER
Pourtant, la Belgique fut le premier état du monde à adopter, en 2006, une législation qui interdit formellement la fabrication, le stockage, l'utilisation et le commerce de bombes à fragmentation.
En mars 2007, cette législation fut complétée : toute institution (banque, compagnie d'assurance, fonds de placement) présente en Belgique qui "finance directement ou indirectement une entreprise dont l'activité, ne fût-ce qu'accessoire, consiste à fabriquer, utiliser ou détenir des sous-munitions ou des mines antipersonnel, sera pénalement responsable" devant les tribunaux belges. La loi belge assimile ce type de délits à du blanchiment d'argent et au financement du terrorisme.
La loi qui a été votée prévoyait l'établissement d'une "liste noire" d'entreprises actives dans le domaine des mines antipersonnel et de sous-munitions, auxquelles les institutions financières ne pourraient donc apporter aucun concours sans subir les foudres de la loi.
En l'absence d'une liste officielle, chaque banque applique ses propres critères et croise les doigts (rassurez-vous ils ne sont que modérément inquiets et ce n'est pas à eux qu'on apprendra comment contourner une telle loi en l'absence de législation internationale bien établie).
La liste devait être publiée avant le 1er mai de cette année. Mais – oh surprise ! – on n'a rien vu venir. Le Ministre des Finances Didier Reynders était trop occupé. L'initiateur de la loi, le sénateur PS Philippe Mahoux lui a posé une question parlementaire en mai.
Réponse de Reynders : "L'établissement d'une telle liste suppose de disposer d'éléments probants. Reprendre sur une liste un certain nombre d'entreprises, sur la base de simples allégations, entraînerait une responsabilité civile, voire pénale, des autorités publiques. Il faut donc se montrer prudent. Logiquement, on devrait pouvoir s'appuyer sur des condamnations déjà prononcées".
Autrement dit, toujours soucieux de ne murmurer à l'oreille des riches que des choses agréables, Reynders entend clairement circonscrire l'application de la loi aussi étroitement que possible… et le plus tard possible. Hâtons-nous lentement.
Une fois de plus, le discours des politiques en présence de la mort d'un militaire en "mission de paix" (pour une fois, s'agissant d'un démineur au Liban, c'est vrai) est fondamentalement hypocrite.
Non seulement ils ont le front d'en parler comme d'un "accident", non seulement ils refusent d'en désigner et d'en condamner clairement les responsables – la crainte sans doute d'être cloués au pilori comme antisémites dans le prochain édito de Philippe Val ou la prochaine diatribe de BHL ? – alors qu'ils sont bien connus, mais en plus ils trainent des pieds autant qu'il est possible pour exécuter une loi qu'ils ont eux-mêmes votée afin de lutter contre la répétition de pareils crimes.
"Monstruous", disait l'officier israélien.
[1] IDF = "Israël Defense Forces"
[2] Ha'aretz – édition électronique en anglais – 30/7/2006
[3] Quant aux médias, on a déjà pu apprécier leur attitude : mercredi soir, par exemple, le Journal Télévisé de RTL-Tvi a réussi ce tour de force d'évoquer la mort du démineur belge avec un grand luxe de détails (jusqu'au type de munition en cause : M-77) mais sans citer à aucun moment le mot Israël.
Tout au plus évoque-t-on de manière vague "le conflit qui a eu lieu il y a deux ans"…
Source: Les doigts dans la crise
http://www.lesdoigtsdanslacrise.info/index.php?post/2008/09/03/Un-casque-bleu-belge-victime-du-terrorisme-au-Liban