Le lundi 18 novembre, le comité Free.Assange.Belgium a organisé sur la place de la Monnaie à Bruxelles un rassemblement en hommage aux journalistes palestiniens assassinés en Palestine par l'armée israélienne. Cela relève de son combat pour le droit à l'information. Au cours de ce rassemblement, plusieurs personnes ont pris la parole : Lode Vanoost du site Dewerelmorgen, Manon Marée de l'ABP (association Belgo-palestinienne), Pamela Morinière de l'FIJ (Fédération Internationale des journalistes). Ce lundi 18 novembre à Ramallah se tenait la Première conférence des médias palestiniens au cours de laquelle la FIJ a remis à 22 médias palestiniens des subventions destinées à payer les salaires en retard et à reconstruire des installations à long terme...
Défendre le droit à l’information a été un des axes principaux du comité Free.Assange.Belgium depuis sa création. Pendant cinq années, il a mis l’accent sur la nécessité d’empêcher l’extradition de Julian Assange et demander sa libération. Assange est maintenant libre mais comme il l’a dit lui-même – c’est notamment un des points qu’il a souligné dès le début de son témoignage devant la commission des affaires juridiques et des droits humains du Conseil de l’Europe à Strasbourg- il est libre « non parce que le système a fonctionné mais parce qu’il a accepté de plaider coupable de journalisme ».
Il a été libéré parce qu’il a plaidé coupable d’avoir cherché à obtenir des informations d’une source et d’avoir publié ces informations pour nous informer.
Ce qui est effectivement le travail d’un journaliste. Dans cet accord, il y a une grande absente, c’est la justice.
Si l’on s’en réfère à la Charte d’éthique mondiale des journalistes (adoptée lors du 30e congrès mondial de la FIJ à Tunis, le 12 juin 2019) , on y voit souligné dès le préambule que « Le droit de chacun.e à avoir accès aux informations et aux idées, rappelé dans l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits Humains, fonde la mission du journaliste. La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. »
Ce fait que les journalistes n’ont à rendre compte qu’au public pas aux dirigeants est à ne jamais oublier.
Mais les États-Unis ne se soucient pas d’éthique, ils veulent, avant tout, préserver leur domination et pour cela, il y a des choses que le public ne doit pas savoir.
Avant d’être arrêté, Julian Assange avait attiré notre attention sur le fait que pour entraîner les peuples dans la guerre, les dirigeants doivent mentir. Personne n’a réellement envie de voir la guerre dévaster l’endroit où l’on vit, de voir la mort frapper autour de soi, voisins, familles…alors il faut mentir au peuple afin qu’il ne voit plus d’autres solutions que la guerre. Que son opposition diminue, voire qu’il devienne favorable à la guerre. La guerre contre le terrorisme, commencée en 2001, a ouvert la voie à toutes celles qui ont suivi (sans parler de la répression interne), sous couvert de défense de « nos valeurs » et de notre protection.
En 2006, pour les États-Unis, un média – WikiLeaks- qui révélait leur mensonge, les vraies raisons de l’entrée en guerre en Afghanistan, en Irak, le vrai visage des guerres dites humanitaires, était un média à faire taire par tous les moyens, tous vraiment.
L’acharnement contre Julian Assange était un de ces moyens, enfermer un journaliste pour faire comprendre aux autres le risque qu’ils pouvaient encourir si l’envie leur prenait à eux aussi de révéler le vrai visage des guerres entre autres secrets.
Lorsque Julian Assange a été libéré, c’était une victoire, nous le savions mais nous savions aussi que ce n’était pas une victoire totale. Au moins, les États-Unis n’avaient pas réussi à tuer l’homme, il n’avaient pas réussi à l’extrader vers la prison à vie mais, à travers les années de poursuite et de torture psychologique, ils avaient réussi à faire passer le message vers les journalistes du monde : pour eux, un journaliste doit rester aux ordres, sinon, il sera considéré comme un espion.
Condamner un journaliste en vertu d’une loi sur l’espionnage n’a pas de sens. Un journaliste ne vend pas ses informations à un ennemi, il informe le peuple. Les différentes administrations des États-Unis pensent peut-être que le peuple est un ennemi…
Quoiqu’il en soit, bien des militants qui se sont battus pour la libération d’Assange ont pensé que leur tâche n’était pas finie.
Assange lui-même ne pourra pas faire appel – devant la CEDH- , c’est stipulé dans l’accord qu’il a signé, ni même avoir recours à la loi sur la liberté d’information pour accéder aux documents concernant le traitement de son affaire. Cependant cela peut être fait par d’autres journalistes. Et cela devra être fait. Car si l’on sait que la justice restera à jamais absente dans cette affaire (Assange parle de justice irréalisable), il est important que le droit d’informer, jumeau du droit l’information, soit reconnu et protégé.
Alors même qu’il signait l’accord de plaidoyer, Assange a souligné que le droit d’informer n’a rien à voir avec l’espionnage et qu’en cela l’Espionage Act qui a été utilisé pour l’accuser est en contradiction avec le Premier Amendement de la Constitution de États-Unis qui lui garantit la liberté d’expression.
C’est un axe sur lequel continuer à se battre. La députée Rashida Tlaib au Congrès des États-Unis a commencé ce combat.
Mais ce n’est pas le seul axe de combat.
La guerre qui se déroule actuellement à Gaza, en Cisjordanie et au Liban a montré de la façon la plus violente qui soit l’acharnement des dirigeants à cacher, masquer, travestir actes et décisions.
Depuis le 7 octobre 23, 188 journalistes, hommes et femmes, ont été tués en Palestine. Et le nombre ne cesse d’augmenter chaque jour.
Des journalistes ont été ciblés parce qu’ils étaient journalistes et alors qu’ils étaient en train de faire leur travail. Reconnaissables à leur gilet indiquant clairement qu’ils faisaient partie de la presse, ils sont devenus des cibles pour l’armée israélienne.
Dans tous les conflits, des journalistes sont tués mais en Palestine, ils sont volontairement visés par les soldats.
En Palestine, le mot presse sur leur gilet s’est transformé en une cible accrochée dans leur dos. Certains autres ont été tués dans des bombardements, ils ont connu la même mort que la population de Gaza à cause du manque d’eau, de soins, de nourriture… Pour la FIJ, depuis octobre 2023, nous sommes dans la période la plus sanglante de l’histoire du journalisme. La mort des journalistes nous prive de l’information qui devrait nous aider à agir. C’en est le but ! L’assassinat de journalistes prouvent que l’armée israélienne et les dirigeants d’Israël veulent taire la vérité sur le génocide en cours.
En plus de tout cela, il est interdit aux journalistes étrangers d’entrer à Gaza. Ce qui s’y passe n’est officiellement connu que par des communiqués de l’armée d’occupation. Pourtant dans tous les conflits, les journalistes sont protégés, le droit international prévoit des protections précises pour les journalistes en zones de guerre, qu’ils soient journalistes de l’armée, journalistes reconnus comme correspondants de guerre ou simples journalistes. Mais à Gaza, il n’existe plus aucune protection, plus aucun droit pour personne.
Les journalistes palestiniens sur place font le maximum même s’ils risquent leur vie à chaque sortie. Certains ont même été visés dans leur maison, repérés à cause d’une connexion pour faire passer l’information.
Lors d’une conférence organisée au parlement européen, Ashraf Mashharawi, journaliste et réalisateur palestinien de Gaza, a évoqué le cas d’un jeune garçon de 19 ans, devenu journaliste dans l’action, devenu journaliste parce qu’il voulait rendre compte et qui a été littéralement pulvérisé dans sa chambre alors qu’il venait de se connecter.
Oui, les journalistes sur place font le maximum, mais ce qu’ils arrivent à faire passer n’est pas suffisamment diffuser. Lors de son intervention à Strasbourg, Julian Assange répondant à une question a souligné que lorsque WikiLeaks avait publié des vidéos de crimes de guerre, cela avait, à l’époque, provoqué des débats publics mais aujourd’hui, alors que de telles vidéos existent, c’est l’impunité qui règne.
Aujourd’hui, des journalistes veulent faire connaître la situation terrible à Gaza, l’horreur quotidienne de la privation des choses les plus élémentaires, les plus indispensables à la vie, l’eau, la nourriture, les soins – sans parler de l’éducation, de la culture-. Éducation et culture qu’il faut détruire car pour les sionistes, il faut faire oublier jusqu’à l’existence de ce peuple palestinien qui résiste à la colonisation destructrice depuis plus de 75 ans.
Mais alors que ces journalistes courageux sont assassinés par l’armée israélienne, les journalistes de la presse mainstream ne les soutiennent pas, les oublient et communiquent en usant de ce que l’occupant israélien leur livre comme info.
Que se passe-t-il ? Que laisse-t-on se passer ?
Alors que nous sommes à un moment de l’histoire où les médias sont tellement développés, pourquoi les yeux restent-ils fermés et les oreilles sourdes?
Je fais partie d’une génération qui, enfant, vivait dans un environnement où la seconde guerre mondiale était encore présente d’une certaine façon, surtout dans les mentalités. Certains se demandaient comment les Allemands avaient pu laisser faire cela… (oubliant que les premiers à avoir été enfermés dans les camps étaient les communistes allemands résistants à la montée du nazisme), mais aujourd’hui, nous savons, nous voyons…Et que se passa-t-il ?
Deux choses semblent arriver, une propagande qui vise deux buts à la fois. Le premier, en tuant les journalistes sur place et en empêchant les journalistes internationaux d’entrer à Gaza, Israël veut diminuer au maximum la visibilité de ce qui se passe en Palestine.
Le deuxième, servi par le premier, Israël veut diffuser au maximum l’idée que les attaquants, les colonisateurs sont les victimes et qu’ils se doivent de continuer leur œuvre de mort et d’expulsion pour construire leur idéal.
Les deux axes sont parfois parallèles, parfois divergents.
Chez nous, il joue sur la corde de l’antisémitisme. Cette même critique que jeunes étudiantes nous entendions lors des conférences que nous organisions en soutien à la résistance palestinienne. A l’époque, une critique émotionnelle dont nous pensions qu’elle passerait avec le temps et voilà qu’elle est aujourd’hui érigée en système !
Les événements d’Amsterdam en sont une illustration presque incroyable. Aucun des événements avant match et pendant match n’a été relaté. Aucun événement n’a été relaté avec précision. Des vidéos ont été postées et les commentaires ont suivi…
Attaques antisémites contre des supporters du club de Maccabi etc.
Beaucoup des premières vidéos montrées que ce soit sur nos médias ou les médias britanniques (BBC par exemple), des États-Unis (CNN par exemple) avaient été prises par une photographe d’Amsterdam Annet de Graff (@iannetnl). Dès les premiers commentaires, elle a posté sur X un message clair.
(Je suis la créatrice de la vidéo.
- 1. Vous diffusez des fausses nouvelles. Il s’agit d’un groupe de supporters de Maccabi qui se battent et frappent un Néerlandais.
- 2. Supprimez ce contenu. Je ne vous ai pas donné la permission.
I am the creator of the vidéo.
- 1. You are spreading fake news. This is a group of Maccabi supporters starting a fight and beating a Dutch man. 2. Delete this content. I didn’t gave you permission).
Elle a contacté Reuters et d’autres Agences pour expliquer la situation. Il semble que certains aient fait la correction mais Reuters a prétendu qu’un témoin affirmait que c’était les supporters de Maccabi qui étaient les assaillants…mais que « Reuters n’avait pas les moyens de vérifier »…Ils ont continué à transmettre la version fournie par les autorités israéliennes.
Annet de Graff termine un de ses posts par :
Le journalisme consiste à trouver la vérité. Il ne s’agit pas de gagner de l’argent en détournant le scénario.
(Journalism is about finding thruth. Not about making money on a twist of the script).
Quel constat faire? Inquiétant.
Israël contrôle le narratif de nos médias, non seulement sur ce qui se passe en Palestine mais aussi sur des incidents qui se déroulent chez nous.
Défendre le droit à l’information devient donc aussi, résister au contrôle des dirigeants.
Il faut défendre les journalistes menacés mais aussi critiquer les médias qui se plient devant le récit dominant.
Le lundi 18 novembre, le comité Free.Assange.Belgium avait décidé de rendre hommage aux journalistes assassinés par l’armée israélienne à Gaza, en Cisjordanie et au Liban. Leur photo, leur nom, 188 noms lus sur la place de la Monnaie.
Parce qu’il n’est pas possible de se taire quand Israël tue des hommes et des femmes pour cacher la vérité et donc en fin de compte nous manipuler.
Parce que ce que nous savons de la mort brutale ou lente de la population de Gaza suffit à marquer d’un signe honteux nos dirigeants politiques qui se révèlent incapables (ou plutôt sans volonté) de prendre les sanctions qui pourraient mettre fin au génocide.
Source : investig’Action
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