Conférence donnée par Roland Weyl* à l’Ambassade de la République Bolivarienne du Venezuela en France, le 7 mars 2018, lors de la commémoration à la mémoire d’Hugo Chavez. Pour bien comprendre la manipulation qui est faite à l’ONU par les États-Unis et comment les règles du droit international sont dévoyées pour servir les intérêts de l’Empire.
Monsieur l’Ambassadeur,
C’est pour moi un grand honneur et un agréable devoir de célébrer ici la mémoire d’Hugo Chavez.
C’est plus particulièrement en raison de l’importance qu’il a donnée au pouvoir du peuple, c’est-à-dire à la souveraineté populaire, que la célébration de son apport est d’une particulière actualité.
En effet, la gestion du Monde est aujourd’hui l’enjeu d’une alternative fondamentale.
Le développement des moyens de communication a fait que la mondialisation est une réalité matérielle.
Mais elle pose l’alternative entre pouvoir vertical d’en haut sur les peuples, ou pouvoir horizontal de coopération entre peuples souverains et égaux.
Or la réponse a été apportée voici un peu plus de 70 ans, en 1945, par la Charte des Nations Unies qui a marqué une étape grandiose de civilisation en mettant la guerre hors la loi.
Par son article 2.4, elle interdit le recours à la force ou même à la menace de la force dans les relations internationales.
Pour faire appliquer ses règles, elle crée l’ONU, avec un Conseil de Sécurité chargé de faire la police en interposant ses forces entre des pays qui risquent de se battre ou en mettant fin à une agression.
Et, parce que beaucoup d’agressions ont été commises sous prétexte de se défendre contre une menace, elle interdit même la défense préventive et n’admet la légitime défense que quand on est effectivement attaqué et seulement en prévenant le Conseil de Sécurité pour que ce soit lui qui mette fin à l’agression.
Et même le Conseil de Sécurité ne peut intervenir que pour ce maintien ou ce rétablissement de la paix
Et encore ! c’est le chapitre VII de la Charte qui lui donne ces pouvoirs de police par la force, mais il ne peut le faire que s’il a tout fait pour ne pas avoir à s’en servir en utilisant le Chapitre VI qui lui donne des pouvoirs pour faciliter la solution pacifique des différends.
Mais une organisation, que ce soit l’ONU ou son Conseil de Sécurité, n’est jamais qu’un instrument de pouvoir, et il reste à savoir de qui, en vertu de la Charte, elle est cet instrument de pouvoir.
Et c’est alors que nous trouvons l’importance de la notion de souveraineté populaire : Comme ce sont les peuples qui sont les principales victimes des guerres, c’est entre leurs mains que la Charte a mis la sécurité internationale :
Dans le Préambule de la Charte ce sont les Peuples qui s’expriment : « Nous Peuples des Nations Unies…. »
Et il ne dit pas « Moi peuple du Monde » mais Nous Peuples » au pluriel, car il n’y a pas un peuple mondial, mais des peuples, chacun sur son territoire, avec des besoins et des possibilités différents, qui en font des nations différentes.
Et ce sont les peuples qui sont les souverains et qui gouvernent par leurs États. Ces derniers sont seulement les instruments des peuples pour l’exercice de leur souveraineté.
La Charte proclame donc comme principe de base pour l’organisation du monde que chaque peuple doit être seul maître de ses affaires sur son territoire et dans ses relations avec les autres, dans l’obligation de se respecter mutuellement, sans qu’aucune intervention étrangère puisse porter atteinte à ce droit. C’est le principe de non-ingérence. L’article 27 interdit même à l’ONU d’intervenir dans les affaires qui relèvent de la compétence des Etats pour la gestion des affaires intérieures.
Cela ne laisse aucune place pour ce qu’on a appelé l’ingérence humanitaire qui permettrait de violer le droit des peuples à leur libre disposition sous n’importe quel prétexte prétendument humanitaire. Cela a été le cas en Libye, où, parce que des puissances pétrolières voulaient éliminer Khadafi, l’ONU a violé la Charte. Et on voit le résultat.
C’est parce que les peuples sont souverains et leurs États leur moyen de pouvoir que le Préambule déclare : « (Nous peuples) avons décidé… en conséquence nos gouvernements….» : ce sont les peuples qui décident et les gouvernements exécutent ce que les peuples
ont décidé.
Et quand la Charte crée l’ONU pour faire respecter les règles et principes de ce droit de la paix, elle la définit comme étant le lieu où, représentés par leurs États, les peuples unissent leurs efforts, dans l’égalité des nations grandes et petites.
Ainsi la souveraineté populaire est portée au rang de valeur universelle, chaque peuple exerçant cette souveraineté par le moyen de l’État qu’il se donne, la répartition de cette souveraineté populaire entre les peuples constituant les souverainetés nationales.
C’est une construction parfaite de démocratie.
En effet, le mot « démocratie » vient du grec ancien « démou-kratos » qui veut dire pouvoir du peuple, pouvoir d’en bas contre pouvoir d’en haut sur le peuple.
Et dès lors que c’est le pouvoir du peuple, il y a une unité démocratique, une solidarité entre la démocratie au niveau international et national.
Au plan international, un peuple ne peut jouir de sa souveraineté et l’exercer dans ses relations mondiales que s’il est souverain chez lui,
C’est d’ailleurs pourquoi on ne peut pas parler de citoyenneté du monde ou de citoyenneté internationale mais de domaine international d’exercice de la citoyenneté nationale.
Et cette interdépendance de la souveraineté populaire au plan national et international est consacrée par les textes fondamentaux en matière de Droits Humains.
Il est certain que les droits individuels des membres d’un peuple ne peuvent lui être garantis que s’il n’est pas victime d’ingérences étrangères. Cela a fait dire que l’un des principaux droits de l’individu est son droit aux droits de son peuple.
Et il est significatif que les deux pactes des Nations Unies de 1966 sur les Droits Humains, celui sur les droits civils et politiques et celui sur les droits économiques sociaux et culturels, ont le même article 1er qui rappelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme socle nécessaire de tous les droits Humains.
Pourtant cela ne suffit pas, car il ne peut pas y avoir de pouvoir politique sans pouvoir économique.
Ce n’est pas le moindre aspect du message d’Hugo Chavez et plus généralement de la révolution bolivarienne qui construisent la souveraineté populaire sur deux piliers : la démocratie participative et les nationalisations.
C’est pourquoi, quand les peuples d’Europe voient leur pouvoir économique soumis à une Union Europénne dont la loi capitaliste est « une concurrence libre et non faussée », ils peuvent regarder avec envie l’association de peuples égaux et souverains que constitue l’ALBA.
Mais au plan international, la Charte n’a donné aux peuples que le pouvoir politique.
Avant sa signature, les puissances financières avaient conduit les États occidentaux à signer les accords de Bretton-Woods, qui créaient les Institutions Financières Internationales, FMI, OMC, Banque Mondiale, dont la règle n’est pas “un pays-une voix”, mais
“un dollar-une voix”.
Et elles font tout pour exercer leur pouvoir sur les États et par les États en les confisquant aux peuples pour en faire leur propre pouvoir sur eux, et, au mépris du droit international, font des États-Unis leur gendarme sur le monde.
Elles le font dans les affaires nationales des peuples, en utilisant leurs États pour leur imposer des régimes d’austérité au bénéfice des banques, mais elles le font aussi à l’ONU.
C’est pourquoi l’ONU elle-même viole la Charte.
Et les mêmes puissances financières qui gouvernent le monde font tout pour démobiliser les peuples et le leur faire accepter, notamment par les moyens idéologiques dont elles disposent par leur maîtrise des médias. Ainsi, on ne parlera jamais de la Charte des Nations Unies, mais seulement de l’ONU dont on veut faire non plus un organe de concertation horizontale entre les peuples dans une logique inter-nationale, mais une sorte d’organe vertical de gouvernement mondial.
Plus généralement, ces puissances s’emploient à inverser la souveraineté des peuples pour parler de la souveraineté des États, alors qu’un État n’est qu’un appareil d’exercice du pouvoir et ne peut donc pas en être le détenteur, et que la question est toujours et seulement de savoir de qui il est l’instrument de pouvoir, du peuple ou sur le peuple.
Elles réussissent même à fourvoyer les forces démocratiques quand celles-ci se demandent « que fait l’ONU ? » alors qu’elles devraient se demander « que faisons-nous faire à l’ONU par notre État ? »
Mais les puissances financières ne réussissent pas toujours à s’approprier l’État, parce que le peuple ne se le laisse pas voler. Alors elles l’attaquent de l’intérieur, en s’appuyant sur des intérêts privés qui veulent eux-mêmes libérer leur loi du profit des contraintes de l’intérêt populaire.
C’est ce qu’elles ont fait en Argentine, au Brésil et ce qu’elles veulent faire maintenant au Venezuela.
Elles le font dans le pays, par les activités de la CIA pour organiser une subversion, et à l’extérieur en pratiquant d’intolérables boycotts étrangers et de non moins intolérables campagnes de discrédit comme cette insupportable façon de parler du « dictateur Maduro » parce que, par un recours exemplairement démocratique à la consultation populaire, il fait échec à leurs entreprises.
Cela dicte l’exigence de notre solidarité avec le Venezuela, pour de multiples raisons :
Bien évidemment pour des raisons morales, mais aussi parce que tous les peuples ont un intérêt commun à une gestion des biens de l’Humanité au service de la satisfaction solidaire de leurs besoins contre leur confiscation au service de la loi du profit et des intérêts privés.
Et encore parce que, puisque notre État n’est que l’instrument d’exercice de notre pouvoir, nous sommes responsables de tout ce qu’il fait ou ne fait pas.
Mais aussi, et peut-être surtout, en raison de l’indivisibilité du droit, qui fait que si nous permettons qu’il soit violé contre un autre, nous permettons qu’il le soit demain contre nous-mêmes.
Alors nous devons défendre le patrimoine Chavez comme participant d’un patrimoine universel et donc comme notre propre patrimoine.
Mais une fois conquise l’affirmation d’un droit, il ne suffit pas qu’il soit écrit sur du papier.
La preuve en est donnée par l’effroyable spectacle que nous donne le Monde d’aujourd’hui où les combats entre puissances et les tragédies de peuples ensanglantés, ne sont possibles que parce que tout se passe comme s’il n’y avait pas de droit international, et pas de Charte des Nations Unies.
C’est donc encore un combat qui nous incombe pour que cette magnifique conquête de civilisation qu’est le droit international, construit avec la Charte des Nations Unies, soit appliquée et respectée.
On entend souvent dire que pour faire respecter le droit, il y a des institutions judiciaires, des tribunaux, des Cours de justice.
Mais quand c’est l’ONU elle-même qui viole le droit? On se voit mal la traduire en justice. Et la condamner à quoi ?
Mais surtout, là encore, tout dépend de qui y a une influence. Et l’expérience montre que même la Cour Internationale de Justice créée par la Charte a rendu des avis contraires au droit qu’elle devait appliquer.
Ce fut le cas déjà en 1950, dans sa quatrième année, quand elle a décidé la guerre en Corée. En effet la Charte disait que pour une telle décision, il fallait un vote majoritaire comportant le vote affirmatif des cinq membres permanents, c’est-à-dire ce qu’on appelait “le principe d’unanimité”. L’URSS s’y était fiée en ne venant pas. Mais sur consultation des États-Unis, la Cour a dit que puisqu’elle ne venait pas, c’est qu’elle était d’accord, et a ainsi transformé l’exigence de vote affirmatif en absence de vote négatif et le principe d’unanimité en droit de veto, et enfin inversé la portée de l’abstention
Plus tard, consultée sur la légalité de l’arme nucléaire, elle dira aussi, mais en l’admettant pour la dissuasion – ce qui est contraire à ce que l’Assemblée générale de l’ONU avait dit en 1961 – qu’elle est illégale et criminelle, en se référant à toutes les conventions sur les lois de la guerre.
Il en résulte que la seule garantie de respect du droit international est dans la vigilance des peuples.
Mais pour que les peuples exercent leur pouvoir, il faut qu’ils le connaissent, et donc la Charte devrait être enseignée dans toutes les écoles du Monde.
Et notre combat est de la faire connaître aux peuples pour qu’ils mènent leur propre combat pour la faire appliquer.
Et cela donne tout son sens à la mise en valeur de la souveraineté populaire et donc à l’importance du message d’Hugo Chavez.