Résistance chaviste à la renaissance du néoliberalisme

“De l’or, de l’or, de l’or, j’achète or, argent, dollars….” Autour du Parlement, la cantilène des contrebandiers accompagne passants et touristes:ils proposent d’échanger de l’argent au marché noir, en affichant les barèmes imposés par le site de Miami Dolar Today.Un dollar peut s’échanger jusqu’à 900 bolivars.C’est à ce taux de change , et pas à celui officiel (un dollar pour 2,15 bolivars)que l’on échange dans une grande partie des magasins, en dépit de la loi sur “le prix juste”, qui interdit un gain de plus de 30% par rapport au coût de production.Pas très loin, un très bon restaurant , équilibré et biologique,subventionné par le gouvernement offre par contre un menu à moins de 500 bolivars.

Voilà deux aspects d’un pays traversé de contradictions et d’innovations. Le Chavisme résistera-t-il à l’ondée néoliberale promise par les droites qui le 5 janvier doivent prendre le contrôle du Parlement ?Pour annoncer ce tsunami, il a fallu une vieille figure de la socialdémocratie, Ramos Allup, dirigeant du Parti d’Action Démocratique (AD).L’alliance qui a battu le Chavisme aux législatives du 6 décembre(114 députés contre 55), rassemble dans la Table de l’Unité (MUS) 18 partis de diverse extraction, de l’extrême droite à des résidus trostskistes.Leurs différents leaders sont déjà en train de se disputer pour des places, mais ce qui les rassemble c’est leur intention ferme de faire table rase de 17 années de conquètes sociales, pour répondre rapidement à leurs financeurs internationaux.La défaite du Chavisme (la seconde en 20 élections) produira-t-elle une restauration semblable à celle qui a vu le Nicaragua faire naufrage après la défaite électorale du sandinisme ?

“L’Esquina caliente” (le bouillant coin de rue), siège permanent d’un collectif historique, accueille des débats quotidiens, la place Bolivar est pleine tous les jours.Mouvements et Associations catégorielles se réunissent en différents points de la ville, des manifestations spontanées se forment devant Miraflores pour demander à Maduro “de ne pas lâcher”. Les droites ont déjà réclamé l’abdication du Président et “de nouvelles élections avant un mois”, sans attendre le référendum révocatoire, possible dès la mi -2016.

Hier la MUD a présenté à la presse son programme : un corpus de lois basées sur le modéle néolibéral des démocraties européennes : forte greffe du secteur privé dans le public, liquidation des programmes sociaux et retour au système de gestion de la IV° République.C’est contre les résistances et l’inefficience de ceux qui se sont incrustés dans les privilèges des fonctionnaires, que se mobilise parallèlement le “pouvoir populaire” : les Conseils présidentiels (cercles de discussion directs avec la Présidence, décidés par Maduro l’an dernier), s’activent pour organiser des Assemblées, élaborent des propositions à présenter à Miraflores lundi prochain.Hier Maduro a reçu des comités de pêcheurs, de paysans, de retraités, de féministes et LGBT dans son émission hebdomadaire, qui s’est passée à Miraflores. Avec ces femmes et ces délégués de la diversité sexuelle il a pris des engagements précis et il a prononcé des serments symboliques.

La droite prend l’Assemblée ?Le Venezuela se démarque du municipalisme, en renforçant le “pouvoir populaire”.Lors de sa dernière séance ordinaire, la majorité chaviste en déclin a installé la première session du Parlement communal national.En même temps une enquête est menée sur la forte incidence des bulletins nuls, au moment où le pétrole chute pour la première fois à 29 dollars le baril. Un encouragement -a dit Maduro- pour construire”la nouvelle économie productive”, basée sur le gouvernement des Communautés.Les résultats électoraux indiquent que le PSUV reste le parti qui recueille le plus de votes dans le pays, avec plus de vingt points d’avance sur le premier parti en tête de l’opposition, la formation de Centre -droit Primero Justicia.

Malgré sa majorité des deux tiers au Parlement, la droite ne pourra pas faire ce qu’elle veut:la constitution, basée sur un équilibre des pouvoirs qui servent de contre poids, ne le lui permet pas. Un groupe de constitutionnalistes l’a expliqué hier lors d’une conférence très suivie au Théâtre de Place Bolivar, qui a dû laisser à l’extérieur une foule de personnes.Une grande partie des gens malgré tout, dénonce les étroitesses, le bureaucratisme et la perte des idéaux. Quelle est l’emprise réelle du chavisme ? Nous avons participé à de nombreuses assemblées nationales, et rassemblé analyses et propositions. Les travailleurs de la chaîne radio-télé de l’Assemblée ont discuté à fond la décision du parlement, qui a remis l’émetteur entre leurs mains suite à la menace de Ramos Allup de les licencier tous : l’autogestion est un avantage, mais aussi un risque de saut dans le vide , disent certains. N’aurait-il pas été mieux de rester une entreprise d’état en attendant qu’elle affiche son nouveau visage féroce, et tenter de résister ensuite ?Mais le noyau agissant des travailleurs met en lumière que le parasitisme étatique est un des éléments de la désaffection et il entend bien réagir à la “gifle salutaire” (c’est ainsi que Maduro a qualifié ce revers électoral).

A la station Cité Universitaire, sur la ligne de métro qui nous conduit à l’Ecole de Planification, monte une jeune personne.Elle écoute le dialogue entre deux femmes qui discutent à voix basse.Elle sourit. “On respire déjà un air nouveau-dit-elle- vous ne trouvez pas ?” ” Tu verras combien te fera sourire cet air nouveau”, lui répond une des deux femmes, dont le sentiment politique avait été évidemment deviné par la jeune personne.Une autre passagère aux habits élimés acquiesce : sa gamine tient en main un portable de dernière génération, la Canaimita, distribuée gratuitement dans les écoles par le gouvernement.Un des hémicycles bondés de l’Ecole de planification accueille des délégués provenant de tout le pays.Ici aussi, de nombreux universitaires se servent des tablettes gratuites distribuées par le gouvernement.” Un étourdissement a paralysé beaucoup de jeunes, ils ont oublié l’histoire – dit un jeune de dix-neuf ans qui étudie les relations internationales à l’Université bolivarienne.

Avant l’ère Chavez ma famille n’aurait pas pu envoyer ses enfants à l’Université.Mes amis chiliens, européens le savent bien, et maintenant, il nous faut nous défendre contre ceux qui veulent tout nous reprendre”.Dans les premiers rangs il y a de nombreuses organisations de “gens à activité réduite” : des personnes au visage détruit, non voyants et des groupes sur chariots roulants.”Regardez-nous- crie un délégué de l’état de Vargas en couvrant de sa voie l’intensité de la musique- ici il y a des personnes qui, avant le socialisme étaient maintenues cachées ou enterrées dans des instituts.Aujourd’hui nous ne sommes plus porteurs de handicap, mais de projets, et nous ne sommes pas prêts à lâcher prise…”Un délégué de la santé de l’état de Vargas ajoute :”les cliniques privées spéculent et les grandes entreprises pharmaceutiques accaparent les médicaments en jouant sur la vie des personnes. Nous, nous soutenons un système de santé publique, gratuit et intégral, avec l’aide des médecins cubains.Nous porterons des propositions à Miraflores pour un meilleur contrôle social sur le système privé”.Une déléguée intervient pour les Communautés : dans tout le pays on en a déjà enregistré plus de 1300.Ce sont des structures economico-sociales composées par les Conseils communaux et dotées d’un Parlement propre d’où démarre le nouveau modéle productif construit sur le mutualisme.C’est une architecture -explique la déléguée- qui vise à ébranler l’actuelle structure de l’Etat, c’est pour cela qu’elle rencontre l’opposition des maires et des gouverneurs, fussent-ils chavistes, qui voient se profiler à l’horizon la perte de leur fonction”.

Maduro a décidé le retour dans les rangs, de tous les militaires qui assumaient des fonctions administratives.A Miraflores les représentants des Milices populaires aussi porteront leurs propositions.Un corps de volontaires -explique une sexagénaire en uniforme qui aide les forces armées pour la “défense intégrale” de la population.”Tous les samedis-dit-elle- nous nous entraînons dans les casernes.Le 6 décembre moi j’étais de service aux bureaux de vote de Baruta, un quartier de droite.Nous sommes plusieurs à avoir noté que la stratégie du bulletin nul a été téléguidée.Dans les files d’attente et dans les bureaux, les droites avaient un plan bien orchestré.Maintenant elles agissent pour diviser les forces armées et abolir les Milices populaires.Mais elles ne réussiront pas à détruire l’union civico-militaire”.Une fille avec turban et guitare arrive.” Ce processus est a software libre et non copyright”(logiciel libre mais non copiable) -dit en souriant cette jeune chanteuse compositrice, qui pour ses textes s’inspire des cultures ancestrales”.Le vote indigène a-t-il trahi le chavisme ? “il ne faut pas faire des lectures superficielles-répond-elle- les populations indigènes vivent selon leurs critères propres.Alors que nous, nous leur expliquons les règles du socialisme, elles, elles vivent dans le communisme.”

Traduit de l’espagnol par Jean Fantini

Source : Il Manifesto

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