A French soldier from the Barkhane force patrols on the Borkou plateau overlooking the palm groves of Faya-Largeau, in northern Chad, on June 2, 2022. The Barkhane detachment in Faya-Largeau in Chad is one of the oldest detachments of the French anti-terrorist force. They carry out support missions for the benefit of the Chadian national army and develops civil-military projects. (Photo by AURELIE BAZZARA-KIBANGULA / AFP)AFP

Redéploiement de la Françafrique au Tchad

L'envoi du Jean-Marie Bockel en Côté d'ivoire, puis au Tchad - deux places fortes du pré-carré néocolonial français -, indique un repositionnement élyséen après les  bras d'honneur du Niger, du Mali et du Burkina-Faso envers toute tutelle française. Sans en tirer la moindre leçon pertinente, Macron s'obstine à maintenir la traditionnelle présence militaire française en Afrique de l'Ouest dont le Tchad apparaît comme la tête de pont (I'A).  

Le 2 février dernier, Jean-Marie Bockel était nommé par Emmanuel Macron « envoyé personnel du président en Afrique ». Il a pour fonction précise sa lettre de mission «d’accompagner le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Tchad dans le cadre de l’évolution de la présence militaire française dans ces pays. »

Contraint de prendre en compte les revers français au Mali, au Burkina Faso et au Niger, pays qui ont exigés le départ des troupes françaises et confrontés à une opinion publique africaine de plus en plus hostile à la présence militaire française, Emmanuel Macron décide donc de mettre en œuvre ce qu’il appelle des « adaptations » que son nouvel envoyé personnel est chargé d’aller expliquer aux chefs d’Etat des pays où la France maintient des bases militaires.

Le caractère néocolonial des liens qui unissent la France à ces pays ressort de la démarche qui est adoptée. Il ne s’agit en effet pas d’élaborer une politique commune contractualisée mais de définir unilatéralement une stratégie à Paris et d’aller l’expliquer ensuite aux chefs d’Etat Africains. Conscient du caractère unilatéral de la démarche la lettre de mission précise pour en atténuer l’aspect humiliant :« expliquer tout en étant à l’écoute de leurs besoins en matière de formation, de coopération et d’équipement. »

Au-delà des discours de justification, la démarche de l’Elysée est de rendre moins visible la présence militaire dans la région en diminuant les effectifs tout en maintenant une présence conséquente et des infrastructures pouvant être renforcées rapidement en cas d’urgence. Il s’agit ce faisant de prendre en compte, par une stratégie de discrétion, l’opinion publique africaine hostile à la présence française.

Rassurer les agents françafricains


Bien entendu, les chefs d’Etat de ces quatre pays s’inquiètent de ces réformes françaises unilatérales, la présence de l’armée française étant pour eux une garantie d’intervention en cas de difficultés avec leurs peuples comme l’ont prouvé de très nombreuses ingérences militaires françaises. Jean-Marie Bockel est donc chargé de les rassurer.

Comme à son habitude, Emmanuel Macron aime à jouer la dimension symbolique pour légitimer ses actions. Le choix de Jean-Marie Bockel n’échappe pas à la règle. En effet celui-ci a été construit médiatiquement, en 2008, comme étant un « Pourfendeur de la Françafrique » par l’ensemble des grands titres de la presse française.

Il était alors secrétaire d’Etat à la coopération de Nicolas Sarkozy et avait appeler, lors de ses voeux de nouvel an, à « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Il ajoutait  : « Je veux tourner la page de pratiques d’un autre temps, d’un mode de relations ambigu et complaisant, dont certains, ici comme là-bas, tirent avantage, au détriment de l’intérêt général et du développement ».

Cette déclaration qui n’engageait à rien a suffit pour que des dizaines d’articles soit écrit sur « le tournant » que constituerait la nouvelle vision des relations franco-africaine. Elle ne faisait pourtant qu’exprimer une vieille logique de la domination que l’on peut résumer par la formule « changer pour ne pas changer », c’est-à-dire changer la forme pour mieux maintenir le fond. Tous les présidents de la République française annoncent ainsi, depuis trois décennies, leur détermination à mettre fin à la France-Afrique…

Admiration pour le président tchadien


Jeudi 7 mars l’envoyé personnel de Macron était en visite officielle au Tchad pour mener à bien sa mission. « Le président Macron m’a demandé de travailler en étroite concertation et dans un climat de confiance, en tenant compte de la spécificité du Tchad, à une adaptation, d’être aux côtés de la vision du président de la République sur la continuation du renforcement de la dimension souveraine de la défense du Tchad. Il y aura un certain nombre d’attentes, un certain nombre de besoins, nous pouvons faire mieux. Bien sûr, il faut rester et nous resterons », a déclaré Jean-Marie Bockel.

On notera le changement de vocabulaire entre la lettre de mission parlant de « donner des explications » et les déclarations à la presse tchadienne évoquant de « travailler avec les autorités tchadiennes ». Au cours de cette visite l’envoyé français a également exprimé « l’admiration d’Emmanuel Macron et de moi-même pour la transition du Tchad vers un régime civil ». Le président tchadien, le général Mahamat Déby Itno, est en effet parvenu au pouvoir par un coup d’Etat après la mort de son père, Idriss Déby en avril 2021.

Ce dernier avait été président du Tchad pendant plus de trente ans et était un symbole de cette Françafrique que Jean-Marie Bockel prétend combattre en admirant son fils venu au pouvoir en violant la constitution. Plus grave cette admiration est exprimée alors que le principal opposant du président tchadien pour les élections présidentielles du 6 mai prochain, Yaya Dillo Djerou, vient d’être assassiné, une semaine à peine avant la visite de l’envoyé personnel de Macron.

Ce dernier est décédé le 28 février dans l’assaut du siège de son parti, le parti socialiste sans frontières. L’assaut des forces de sécurité était justifié par le pouvoir tchadien par l’accusation d’être l’auteur d’une tentative d’assassinat du président de la cour suprême à la mi-février. Il était activement recherché depuis. Rappelons que le même opposant avait déjà perdu sa mère et l’un de ses fils en février 2021 lors de l’assaut de son domicile.

Dictatures africaines au service de Paris


Rappelons également que la pratique consistant à accuser ou à emprisonner un opposant dangereux est courante dans la région, comme en témoigne le maintien en détention du principal opposant sénégalais Ousmane Sonko. Malgré ces faits scandaleux, Macron et Bockel continuent d’admirer ladite transition tchadienne.

La visite au Tchad de l’envoyé personnel de Macron a été précédé d’une autre en Côte d’Ivoire le 21 février pour expliquer cette fois-ci à Allasane Ouatara les nouvelles orientations françaises.

Rappelons que ce dernier est arrivé au pouvoir en 2010 à la suite de l’intervention de l’armée française contre Laurent Gbagbo et l’arrestation de celui-ci. Depuis, il a été un défenseur acharné des intérêts français dans les différentes instances africaines. Il s’est en particulier illustré pour ses menaces contre les coups d’Etat patriotiques au Burkina Faso et au Mali et pour l’imposition de sanctions scandaleuses contre leurs peuples.

En Côte d’Ivoire l’envoyé personnel de Macron préfère le terme « remodelage » : « Le terme « remodeler » me parait être le bon terme. L’esprit, c’est de venir avec des propositions, une écoute et ensuite un dialogue qui aboutisse à un accord gagnant entre les deux parties ».

Avec 1000 soldats français au Tchad et 900 en Côte d’Ivoire ces deux pays constituent l’infrastructure militaire de la présence française dans la région. Les deux autres pays qui possèdent des bases françaises, le Sénégal et le Gabon ne regroupant ensemble qu’un effectif de 600.

Loin de constituer une rupture avec la Françafrique ou un changement de doctrine, les réformes proposées par Paris ne constituent qu’un ravalement de façade pour maintenir une présence militaire rejetées par les peuples de la région.

Saïd Bouamama


Source : Investig’Action

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