Rawan Odeh: “Toute initiative culturelle en lien avec la Palestine est menacée”

Le Festival Ciné Palestine est organisé depuis dix ans en France, à Paris et Marseille. Journaliste et confondatrice du festival, Rawan Odeh nous a raconté comment se passe son quotidien en tant que Palestinienne vivant en France. Malgré la répression, les initiatives culturelles continuent.

Comment se passent vos activités dans le domaine de la culture depuis les attaques du 7 octobre ?

Ce n’est plus possible de travailler et de vivre normalement, on se fait harceler juste parce qu’on est Palestiniens. Des réalisateurs palestiniens voient l’aide de la région annulée, des personnes perdent leur travail. Une Palestinienne qui habite ici à Marseille a mis le drapeau palestinien à sa fenêtre, les voisins sont venus la harceler, ils sont venus plusieurs fois lui faire peur. Trois Palestiniennes ont été arrêtées à la manifestation, une placée en garde à vue pendant 24h pour le seul motif d’avoir tenu dans les mains un drapeau. Celle qui a dû rester 24h en garde à vue n’a pas pu jouer dans une pièce de théâtre dans laquelle elle devait se produire à cause de son arrestation abusive.
Un événement qui devait avoir lieu au Mucem sur la Palestine a été arrêté. Il y a un spectacle de danse à la Joliette qui doit bientôt être joué dans le cadre de Visions d’exil 2023 – Focus Palestine. Cela s’appelle “Losing it” avec les Palestiniens Samaa Wakim & Samar Haddad King , j’espère que ça ne sera pas annulé là aussi.

De mon côté, si je mets un commentaire sur les réseaux sociaux je risque de me faire embarquer. Les Palestiniens se font traiter de terroristes ainsi que les pro-Palestiniens, sachant que pro-Palestiniens signifie « personnes qui défendent juste le droit de vivre des Palestiniens ».

Il faut aller voir aussi ce que pensent les juifs parce qu’Israël fait tout ça au nom des juifs, mais tout le monde n’est pas d’accord, c’est loin d’être homogène. Ce n’est pas normal d’intimider les gens, de harceler. Avec plusieurs collectifs on essaie d’organiser des événements pour savoir comment se comporter face à cette répression politique. Les événements qu’on voudrait essayer d’organiser pour expliquer la situation, à travers la culture, le cinéma, la musique, sont très mal vus, sont empêchés voire même sont annulés.

Des manifestations ont été interdites à Paris et à Marseille, en France et à la télé, seuls les Israéliens sont autorisés à s’exprimer. Une femme qui a fait sa thèse sur la résistance des femmes palestiniennes a pris la parole. Elle se sent sur écoute. On ne sait plus ce qu’on peut faire, ce qu’on peut dire…

La grande manifestation à Paris déclarée interdite a ensuite été autorisée, peut-être est-ce le rapport de force qui a joué?
Ils ont commencé à dire que c’était finalement autorisé grâce à la persévérance des organisateurs. Mais normalement ce n’est pas illégal de manifester dans un pays démocratique. Je n’ai plus le sentiment de vivre en France, dans une démocratie et je ne suis pas la seule à le penser. Un article disait que Macron voulait bloquer les réseaux sociaux, qu’est-ce qu’il reste ensuite si on ne peut plus manifester ni publier sur internet ?
Karim Benzema s’est prononcé en soutien du peuple de Gaza et on le menace de lui retirer la nationalité française, c’est totalement surréaliste.

On observe beaucoup d’agitation politicienne, de réactions surdimensionnées à travers les radios et chaines d’info en continu. Des choses graves sont dites mais une information ou une polémique en chasse une autre…

Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas d’appel à cesser le feu. A l’époque où Chirac avait été en Palestine, le travail diplomatique était plus sérieux, il était respecté. Là, avec Macron on se demande ce qu’il fait, il est contre le cessez-le-feu. Il n’y a pas d’humanité! Parmi les pays qui se disent démocrates, ceux qui tiennent le monde, on ne voit plus d’humanité.
Beaucoup de gens du peuple ne pensent pas comme leur gouvernement, mais qu’est-ce qu’on peut faire face au lobby sioniste, je ne sais pas. Si tout ce qu’on voit à Gaza n’est pas une preuve d’injustice, qu’est-ce qu’il reste ?

Pour votre travail avec les réalisateurs en vue de l’organisation du festival, vous sentez un traitement différent depuis le 7 octobre?

Oui il y a eu la décision la semaine passée de bloquer toute aide à des cinéastes à qui une aide avait déjà été accordée! Par conséquent, ces personnes sont bloquées, mais cet argent a déjà été dépensé pour faire leur film. C’est maintenant impossible de vivre à Gaza! Dans les hôpitaux ils doivent acheter du vinaigre pour arrêter les inflammations. Je reçois des vidéos des chars israéliens qui entrent à Ramallah. Car à Gaza c’est les bombardements, mais aussi en Cisjordanie, des gens sont arrêtés de manière totalement arbitraire, il y a une stratégie de mise en place de plus de pression, de la Cisjordanie vers Jordanie et de Gaza vers l’Égypte. Israël dit on va envoyer tout le monde au Sinaï, mais le Sinaï n’est pas à eux et ils n’ont pas le droit de déplacer les gens comme ça.

Comme vous dites, la question d’épuration ethnique apparaît de manière de plus en plus forte… On n’ose pas dire le mot “génocide” même si des articles d’auteurs étasuniens réputés le font…
Oui, ils essaient de ne pas montrer les preuves, mais on le sait déjà. Israël ne fait plus semblant. Malheureusement, ce ne sont pas les peuples qui gouvernent, le problème pour nous Palestiniens c’est le manque de soutien des gouvernements internationaux. S’ ils agissaient dans le sens du droit international ça changerait directement, il y aurait la paix chez nous. Déjà, il faudrait qu’Israël arrête la colonisation, qu’on revienne à la question de la terre, à la situation qu’on avait avant. Pour parler d’une paix juste il faut bien sûr qu’Israël stoppe la colonisation, avant ça ce n’est pas possible ! On se fait bombarder, humilier, on nous traite d’animaux.

Et après ça on accuse de soutenir le terrorisme toute personne qui soutient les Palestiniens. On n’accepte pas d’entendre que la Palestine est sous occupation depuis 75 ans et que c’est légitime qu’il y ait une résistance, on est sur un blocus horrible et on doit juste attendre qu’Israël nous élimine. Quelle loi dit qu’on doit accepter ça? Que les enfants meurent comme ça par milliers? Il n’y a pas d’humanité. J’ai arrêté de suivre les médias français, car c’est trop dur. Ils font l’amalgame entre Daesh et le Hamas, c’est comme si ce qu’a fait le Hamas c’est ce qu’il s’est passé au Bataclan, ou le 11 septembre à New York. Non ça n’a rien à voir, je suis désolé, mais vous n’avez rien compris, ici il y a tout un contexte de résistance. La résistance est légitime lorsque l’on vit sous occupation.

Il ne faut pas abandonner le travail médiatique, je pense que pour arrêter l’occupation et l’agression israélienne il faut changer les mentalités et montrer comment les enjeux politiques sont mis en place, il faut donner une image alternative de ce qu’on entend ici, ce sont surtout les échos du gouvernement israélien.

Comment font les gens pour vivre quand on entend que 6 000 bombes ont été envoyées par Israël sur Gaza, autant qu’en une année en Afghanistan par les Etats-Unis ? Ziad Medoukh par exemple a dit qu’il restait, préférant éviter une seconde Nakbah.

De mon côté, je regarde des personnes comme la jeune fille qui poste en direct de Gaza, elle dit chaque jour « je suis encore vivante ». Son nom est Bisan Wizard, elle parcourt les rues et filme. Moi j’ai ma famille à Ramallah et c’est très compliqué aussi là-bas, on l’entend moins mais il y a des Palestiniens tués également par les Israéliens en Cisjordanie.

Pour ce qui concerne notre collectif du festival, on a essayé de montrer des films de cinéastes avec qui on travaille, qui vivent à Gaza. Mais d’abord on a pensé que ce n’est pas très éthique de les contacter pour leur demander les liens alors qu’ils sont sous les bombardements. Par la suite on s’est dit que c’est une manière de leur montrer qu’on pense à eux, on leur a donc écrit même s’ils ne voient pas les emails. Mais on ressent le besoin de créer des événements. On a organisé une soirée dimanche dernier au Vidéodrome, c’était très doux, ensuite il y a eu une discussion. On organise une autre projection en solidarité avec le peuple palestinien, nous mettons en honneur sa résilience culturelle par une série de projection, la deuxième sera ce vendredi 27 octobre à 19h30 au cinéma le Gyptis à Marseille avec le film “Le Conte des trois diamants” de Michel Khleifi précédée d’une discussion avec une militante palestinienne, Mariam Abu Daqqa.

Frédéric Lordon expliquait dans son dernier article comment les Israéliens sont plaints et leur situation expliquée dans tous les détails alors que les Palestiniens sont juste des chiffres.

A entendre la manière dont les médias parlent de nous oui, on a l’impression de n’être que des numéros, il y a d’ailleurs un site d’information qui s’appelle We are not numbers. Ces derniers jours, il y a 43 familles qui ont été totalement effacées à travers les bombardements. J’ai l’impression qu’on est pas égaux, on n’a pas le droit d’exister. Israël donne des informations puis bombarde, les gens se font balader partout. C’est dur de rester calme face à ce déluge d’atrocités. Là c’est clairement une démarche pour effacer les gens, effacer leur mémoire, c’est tout simplement un génocide.

Les initiatives de boycott aident beaucoup, ça met la pression, ça permet de vulgariser aussi. La campagne BDS fait beaucoup de travail pour savoir comment communiquer. On ne peut pas rester neutre. Apparemment, le mouvement est assez limité ici à cause de la répression. En Allemagne il a été interdit récemment. Des Juifs ont manifesté pour la paix, seraient entrés au Pentagone.
Megaphone news, média libanais anglophone, montrait cette information pas ou peu relatée en France. C’est important de le montrer, car ce que les médias font penser à beaucoup comme je le disais précédemment, c’est que c’est les Juifs contre les Arabes alors que c’est bien au-delà de ça, c’est politique, il s’agit d’une colonisation, on nous vole nos terres.

Malgré tout, comment vous organisez-vous pour rendre l’activité culturelle possible ?

Étant donné que le financement de la mairie, de la région sont menacés et qu’on est indépendants on essaie d’organiser des soirées de soutien, du crowdfunding, ou encore des ventes de goodies pour permettre ce financement.
Des réalisateurs palestiniens, artistes arabes, un groupe de musique nous ont contactés pour proposer un événement ciné-concert pour récolter de l’argent pour l’envoyer à l’aide humanitaire à Gaza. On est en train de voir les lieux qui vont nous accepter. Cela fait maintenant dix ans qu’on organise le festival, le but c’est qu’ils viennent, qu’on ait une discussion, qu’ils nous expliquent pourquoi ils l’ont fait, comment ça s’est passé…

Malheureusement la question des visas est compliquée. On a fait une édition sur Gaza mais plusieurs réalisateurs n’ont pas pu venir. On a fait des skypes avec eux et il y a eu des soutiens de Gazaouis de partout. Le problème c’est toujours de trouver des financements d’où l’importance de soutenir des initiatives culturelles comme le Festival Ciné Palestine pour ouvrir l’espace à la discussion sur ce qu’il se passe en Palestine et montrer une image alternative à ce que la propagande d’Israël et les médias imposent.


Source : Investig’Action

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