Que se passe-t-il au Guatemala ?

Le nouveau souffle progressiste qui balaie l’Amérique latine emportera-t-il aussi le Guatemala ? C’est en tout cas le choix de la majorité des électeurs qui se sont rendus aux urnes et c’est historique. Mais dans un pays où l’oligarchie s’est longtemps maintenue au pouvoir par la répression et les coups tordus, pas sûr que le nouveau président, Bernardo Arévalo, pourra tranquillement prendre ses fonctions en janvier 2024… (I’A)


 

Le Guatemala traverse une crise démocratique sans précédent dans son histoire moderne. Pour comprendre cette situation, il faut tenir compte de l’une des plus longues guerres civiles du continent qui a ravagé ce pays au cours du siècle dernier (1960-1996). Cette guerre était la conséquence directe de l’intervention du gouvernement US qui, par l’intermédiaire de la CIA, a renversé le projet démocratique que les présidents Juan José Arévalo et Jacobo Arbenz[1] étaient occupés à mettre en place au cours de la décennie allant de 1944 à 1954.

Avec la guerre de Colombie toujours en cours, le conflit qui a ébranlé le Guatemala a été l’un des plus longs et des plus sanglants de l’hémisphère occidental. Cette guerre a été marquée par un génocide dans les années 1980, des dictatures militaires et la barbarie. Après la signature d’accord de paix en 1996, un échafaudage juridique et étatique a été mis en place pour construire une « démocratie » qui inclurait tous les peuples du Guatemala.

Mais ce processus a été tronqué par l’élite guatémaltèque, l’une des élites les plus violentes et les plus rancies du continent, par l’intermédiaire de ses caporaux (la classe politique), qui a tout fait pour que le pacte social connu sous le nom d’Accords de paix (ADP) n’entre jamais en vigueur. En 1999, par le biais d’une consultation populaire, une tentative de modification de la Constitution a été menée. Mais elle n’a pas abouti et la guerre a continué. Il ne s’agissait plus vraiment d’une guerre déclarée, mais plutôt d’une guerre de basse intensité comme l’a qualifiée Noam Chomsky. Les maras (gangs) et le trafic de drogue devenant la norme.

Ce conflit s’est poursuivi de 1996 à aujourd’hui. Le trafic de drogue, les élites oligarchiques, les églises protestantes et d’autres secteurs conservateurs du pays ont maintenu le statu quo afin que le pillage de l’État devienne le principe cardinal de la politique guatémaltèque. Toutefois, un résultat étonnant a surpris les Guatémaltèques lors du scrutin présidentiel du 25 juin dernier. Briguant le mandat présidentiel pour la troisième fois, Première dame de l’ancien président social-démocrate Álvaro Colom de 2008 à 2012, Sandra Torres est arrivée en tête avec 15.8% des voix[2]. Elle était suivie, avec plus de 11.7%, par Bernardo Arévalo. Fils de Juan José Arévalo, premier président de la révolution guatémaltèque (1944-1954), cet homme politique de centre-gauche représente le Mouvement Semilla, un parti relativement nouveau qui a émergé lors des manifestations de masse de 2015 contre la corruption systématique et l’impunité qui régnaient dans le pays.

Cependant, ce scrutin est resté dans les limbes pendant plusieurs semaines parce que la Cour constitutionnelle a ordonné au Tribunal électoral de ne pas rendre officielles les données des dernières élections, et ce en raison du fait que les mafias intégrées à l’État ont placé un certain nombre d’astuces juridiques qui ont retardé le processus électoral. Cela a conduit le peuple à défendre bec et ongles le résultat du scrutin, afin que la fraude électorale – ou même la tentative de coup d’État comme l’ont qualifiée certains intellectuels – ne s’installe pas dans ce pays d’Amérique centrale. Elle aurait permis d’instaurer une forme d’incertitude juridique pour permettre au gouvernement autoritaire d’Alejandro Giammattei de se maintenir au pouvoir. À l’heure d’écrire ces lignes, ce scénario n’est toujours pas exclu.

Le scrutin

Le 20 août, lors du second tour, les Guatémaltèques ont élu Bernardo Arévalo et Karin Herrera comme président et vice-présidente du Guatemala, avec plus de 58% des voix contre 37% pour la candidate conservatrice Sandra Torres de l’Unité Nationale de l’Espoir (Unidad Nacional de la Esperanza).

Une fois de plus, un certain temps s’est écoulé après les résultats du vote. Et c’est seulement le 28 août que le Tribunal électoral a officialisé et légitimé la fiabilité du scrutin, déclarant Bernardo Arévalo président élu et Karin Herrera vice-présidente élue pour la période de 2024 à 2028.

Mais quelques heures plus tôt, le Registre des Citoyens annulait le statut légal du Mouvement des Semences, remettant en cause tous les candidats élus le 25 juin, tels que les maires et les députés.

Face à cette nouvelle manœuvre illégitime des secteurs conservateurs du pays, des doutes subsistent, mettant en péril l’investiture des députés, des corporations municipales et même du président et de la vice-présidente. Un scénario redouté : Bernardo Arévalo et Karin Herrera ne pourront pas prendre les rênes du pays le 14 janvier 2024.

Le Guatemala est à la croisée des chemins avec d’un côté, la voie de la continuité de la corruption et de la tyrannie et de l’autre, la voie d’un gouvernement démocratique. L’issue dépendra de nombreux facteurs juridiques. Mais aussi de la mobilisation des Guatémaltèques. Ils sont déjà nombreux à être descendus dans la rue pour défendre le choix du peuple dans un contexte de grave crise démocratique qui traverse le pays, crise aggravée par la longue période qu’il reste à achever jusqu’au 14 janvier.

Le Guatemala est un récit typique du réalisme magique latino-américain. Mais sans magie et avec beaucoup de terreur.

 

Traduit de l’espagnol par GL

Source: Investig’Action

Photo:  Festivales Solidarios

Notes:

[1] https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-48686137

[2] https://trep.gt/#!/tc1/ENT

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