Sous tutelle françafricaine, Patrice Talon, le président du Bénin, a décidé de se livrer à un chantage énergétique contre le Niger. En jeu : la réouverture de la frontière Niger-Bénin contre l’accès au pétrole pour l'Etat du Sahel. Inacceptable pour les Autorités nigériennes qui, depuis leur coup d’Etat souverainiste (juillet 2023), craignent une déstabilisation voire une agression militaire venue du Bénin, sur ordre de la France. (I’A)
Le 5 juin dernier, les Autorités béninoises arrêtaient et emprisonnaient cinq ressortissants nigériens au port béninois de Sème-Kpodji. Le motif officiel : «s’être introduit sur le site sans décliner leurs identités». Parmi les interpellés, on trouve la directrice générale adjointe de la société chinoise Wapco, Mme Ibra Hadiza, et quatre ingénieurs nigériens de cette même société.
La société Wapco dispose dans la région de deux filiales, l’une nigérienne en charge de l’extraction du pétrole de la région de l’Agadem, l’autre béninoise en charge de la plate-forme côtière de Sème-Podji, au sud du Bénin, par laquelle est exportée le pétrole nigérien. La décision de construire un pipeline du Niger au Bénin est prise en 2019 dans le cadre d’un accord tripartite entre la Chine, le Bénin et le Niger.
D’une longueur de 2000 kilomètres, ce pipeline a couté 5 milliards de dollars à la société chinoise Wapco et doit permettre de faire passer la production pétrolière nigérienne de 20 000 barils par jour à plus de 110 000 barils.
Contextes de crise
Inauguré le 17 mai dernier par un premier chargement d’un supertanker d’un million de barils de pétrole brut à destination de la Chine, ce projet géant porte pour le Niger des enjeux économiques de taille. L’enjeu est d’autant plus important que le projet comporte une raffinerie construite près de la ville de Zinder, permettant ainsi une hausse encore plus importante des recettes d’exportation.
La part du pétrole dans les recettes d’exportations devaient ainsi passer de 16 %, actuellement, à 68 %. Le secteur pétrolier devait dans ce projet atteindre 24 % du Produit Intérieur Brut, le transformant ainsi en levier principal du développement nigérien. Le Bénin, pour sa part, est également gagnant du fait des droits de passage de ce pétrole sur son territoire.
L’enjeu est tel que le gouvernement béninois n’a pas hésité à en faire un objet de chantage portant sur un autre conflit l’opposant au Niger, celui de l’ouverture des frontières. L’inauguration du premier chargement de pétrole nigérien via l’oléoduc géant était en effet prévue le 6 mai mais n’a pas pu avoir lieu, le gouvernement béninois conditionnant celui-ci à l’ouverture de la frontière entre les deux pays. Le journal Actu Niger titrait ainsi de manière significative, le 6 mai dernier : « Patrice Talon en apprenti maître chanteur ». Le 15 mai, le gouvernement autorisait de nouveau le chargement en précisant qu’il s’agissait « d’une autorisation ponctuelle et provisoire qui ne doit pas être comprise comme une règle de conduite ».
Nous sommes bien en présence d’une logique de chantage que le journal Courrier International résume comme suit dans son édition du 14 mai : «Frontière fermée, pétrole bloqué ».
Security reasons
Rappelons que ces frontières ont d’abord été fermées par le Bénin, dans le cadre de l’application des sanctions imposées par la CEDEAO au Niger, à la suite du Coup d’Etat du 26 juillet 2023. Ces sanctions ont couté très chers au peuple nigérien, compte-tenu du fait que 80 % des importations nigériennes transitaient par le Bénin.
La levée des sanctions de la CEDEAO, le 25 février dernier, a conduit le Bénin à rouvrir sa frontière mais le Niger refuse de faire de même pour des raisons de sécurité. En reliant les deux questions, l’exportation du pétrole via le pipeline et l’ouverture de la frontière terrestre, le Bénin asphyxie économiquement le Niger.
Le premier ministre nigérien, Ali Lamine Zeine, a déclaré ceci :
« En sachant pertinemment que la position de notre pays est le maintien de la frontière fermée pour des raisons de sécurité, cette condition du président Talon relève du chantage. […] Dans les accords à la fois bilatéraux et tripartite, il est prévu que toutes les parties soient présentes au moment du chargement du pétrole. Les responsables de WAPCO-Niger qui ont été arrêtés étaient en mission officielle pour superviser le chargement du pétrole brut dans un pétrolier chinois. Le poste initial de brut de Koulele à Agadem sera en conséquence fermé si les détenus ne sont pas libérés. »
Significations et enjeux
La crise actuelle s’inscrit dans une séquence plus large marquée par le départ des troupes françaises du Niger, du Burkina Faso et du Mali et par le début du retrait des 946 soldats états-uniens du Niger. Ce départ doit se clore le 15 septembre 2024 et vient de commencer l’évacuation de 269 soldats le 8 juin. Ces départs n’ont pas conduit Paris à renoncer à sa présence militaire dans la région mais à repositionner ses troupes dans les pays encore alliés de la zone.
C’est justement l’existence de bases françaises non officielles au Bénin que critique le Niger par la bouche de son premier ministre le 11 mai dernier : « Nous avons souverainement décidé de garder notre frontière fermée avec le Bénin pour la bonne et simple raison que nos anciens amis, que sont les Français, sont revenus sur le territoire béninois après leur départ du Niger. »
Cette éventuelle présence française non officielle est considérée comme une menace par le Niger qui considère que Paris peut l’utiliser comme moyen pour le déstabiliser. En particulier, le soupçon d’entraîner des terroristes pour déstabiliser la région et y justifier la présence militaire française est de plus en plus explicite dans de nombreuses analyses, tant au Niger qu’au Bénin.
La multiplication des critiques contre cette présence secrète a contraint le gouvernement français à donner des explications. C’est ce qu’a fait l’ambassadeur de France au Bénin, Marc Vizy, le 14 juillet 2023, en déclarant : « la France et le Bénin font face à un même ennemi : le terrorisme, le djihadisme. Il y a donc une coopération entre les deux pays pour contrer la menace… Ce sont des groupes de 3 à 12 qui restent juste durant 15 jours […] mais il n’y a pas de base militaire française au nord du Bénin ».
Point d’appui militaire français
L’ambassadeur de France joue ici sur les mots en présentant le changement de formes de la présence militaire française comme la fin de cette présence. Emmanuel Macron a lui-même précisé cette mutation des formes militaires françaises lors d’un de ses voyages en Afrique, le 27 février 2023 :
« Au fond, la logique, c’est que notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui. Demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées, fonctionnant avec des effectifs français qui demeureront, mais à des niveaux moindres et des effectifs africains qui pourront aussi accueillir, si nos partenaires africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires ».
C’est également ce que confirme le gouvernement béninois en réponse aux accusations nigérienne d’abriter des bases françaises non officielles. Ainsi le porte-parole du gouvernement béninois, Wilfried Léandre Houngbédji expliquait le 12 mai dernier : « Le Bénin n’accueille aucune base militaire étrangère sur son territoire mais a mis en place des postes avancés fortifiés et de petits camps militaires sur le territoire béninois, destinés à sécuriser le pays et à lutter contre le terrorisme. Nous en réalisons et nous en avons aujourd’hui une bonne vingtaine, et il y en a d’autres qui sont prévus pour être réalisés ».
Rien de surprenant à ce que le Bénin devienne un point d’appui essentiel de la présence militaire française dans la région, que rejette tous les peuples de la zone. Rappelons que le président béninois, Patrice Talon était le plus fervent partisan d’une intervention militaire de la CEDEAO contre le Niger.
Après les échecs des tentatives d’isolement politique du Niger et d’intimidation en le menaçant d’une intervention militaire, ce qui est tenté aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une tentative d’asphyxie économique en privant l’économie nigérienne d’un de ses atouts de développement essentiel, l’exportation de son pétrole. La technique est connue, elle consiste à susciter la misère et la pauvreté pour que le peuple se retourne contre les autorités. C’est ce que l’impérialisme a fait et fait à Cuba depuis des décennies, c’est ce qu’il tente au Niger.
Saïd Bouamama
Pour aller plus loin :
« Frontière fermée, pétrole bloqué : le Bénin et le Niger engagés dans un bras de fer », Courrier International, 14 mai 2024.
« Supposée présence de bases militaires françaises au Bénin : Le PCB s’invite dans le débat », Le Matin Libre, 3 juin 2024.
Source : Investig’Action
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