Estimés à 100 000, les Français venus vivre en Israël constituent l’un des réservoirs de voix les plus fidèles pour l’actuel Premier ministre, qui compte sur cette communauté majoritairement à droite pour l’aider à être réélu lors des prochaines législatives.
À Netanya, dans le nord d’Israël, on passe le shabbat, jour de repos hebdomadaire juif, sur la plage. Et dans l’eau, entre les parasols ou dans les cafés, les badauds crient çà et là en hébreu, parfois en russe, mais surtout en français. « Vous êtes au paradis », s’exclame Rachel Atlan, 65 ans, en étendant sa serviette sur la chaise longue dans ce décor de vacances, à moins d’une heure au nord de Tel Aviv.
« Je me sens bien. Je tourne la tête, c’est des juifs : je suis chez moi ! » Cette ancienne esthéticienne a quitté la région parisienne en 2014 pour passer sa retraite ici. Elle avait déjà tenté sa chance dans les années 90, pendant la guerre du Golfe, avant de renoncer, au bout de dix-huit mois. Impossible de trouver du travail et de vivre en Israël sans maîtriser parfaitement l’hébreu.
« La vie est dure. On n’est pas tellement intégrés par les Israéliens, on ne vit pas pareil qu’eux », déclare-t-elle à Middle East Eye. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une idée bien précise de « son » Israël idéal. Pour elle, c’est un État pour les juifs, qui ne doit pas se limiter aux frontières reconnues par l’ONU.
Que pense-t-elle des Israéliens qui habitent dans les colonies – implantations civiles illégales aux yeux du droit international – en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967 ? « Pourquoi n’y iraient-ils pas ? », répond-elle.
Et la loi votée l’an dernier par la Knesset, qui fait primer le caractère juif de l’État d’Israël sur l’égalité et la démocratie ? « C’est important parce qu’on a attendu des milliers d’années pour avoir un État. Il faut quand même qu’il reste de majorité juive », juge Rachel.
Comme beaucoup ici, cette Franco-Israélienne porte Benyamin Netanyahou, le Premier ministre au pouvoir depuis 2009 – « Bibi », comme elle l’appelle affectueusement – « dans son cœur ».
L’un des rares sondages menés dans la communauté française, publié l’an dernier par le journal israélien Makor Rishon, montre que 72 % des Français qui habitent en Israël se considèrent à droite et plus d’un quart (26 %) votent Likoud, le parti de Netanyahou.
Sur l’ensemble des 6,3 millions d’électeurs israéliens, la part des Français n’est pas décisive ; en revanche, c’est un électorat quasiment acquis pour la coalition de droite que Benyamin Netanyahou espère former afin de se maintenir au pouvoir après les élections du 17 septembre prochain. En avril dernier, ses tentatives de former un gouvernement avaient échoué, précipitant le pays vers des élections quelques mois plus tard, une situation inédite dans le pays.
Des kibboutz aux colonies
Kippa sur la tête, maillot de foot de l’équipe de France sur le dos et français teinté d’hébreu : dans les rues de Jérusalem, de Netanya ou d’Ashdod, on estime qu’ils sont 150 000 Français à avoir émigré en Israël depuis 1967. Aujourd’hui, quelque 250 000 Israéliens possèdent un passeport français, parfois conservant un vague lien avec l’Hexagone ; ceux qui ne sont pas nés en Israël seraient environ 100 000.
La plupart sont arrivés après les années 90. L’émigration a surtout commencé à la fin des années 60, début des années 70. À l’époque, les Français qui posent leurs valises en Israël sont en général ashkénazes (originaires d’Europe centrale et orientale), socialistes, biberonnés à l’idéal sioniste, plutôt laïcs. Leur objectif : s’installer dans les kibboutz et participer à la construction du pays.
Désormais, les juifs qui quittent la France sont plus religieux, très majoritairement séfarades (originaires des pays méditerranéens) et souvent poussés par l’antisémitisme, qu’il soit réel ou ressenti.
Sarah, 55 ans, est quant à elle en vacances à Netanya. Mais elle a la nationalité israélienne et tous ses enfants sont nés en Israël, où elle a vécu plusieurs années dans les années 90 et où elle veut revenir s’installer dans quelques mois. L’un de ses fils fait son service militaire, obligatoire dans le pays.
« On sent qu’aujourd’hui la France est capable de lâcher ses juifs », affirme-t-elle, amère. Elle raconte avoir essuyé plusieurs fois en France des insultes liées à sa judéité.
« Au moment de la seconde Intifada [dans les années 2000], il y a eu un raidissement antisémite en France. L’affaire Merah a précipité les choses », juge le journaliste Antoine Spire, auteur avec Jean Leselbaum du Dictionnaire du judaïsme français depuis 1944, faisant référence à l’assassinat à caractère antisémite de trois enfants et un enseignant de l’école juive Ozar Hatorah le 19 mars 2012.
L’émigration des juifs de France a bondi après 2012, passant d’un peu moins de 2 000 « aliyah » – littéralement la « montée » en Israël, comme l’appellent les juifs – à près de 8 000 en 2015, année record. Depuis, le flux est redescendu.
Des chiffres à nuancer car, selon Antoine Spire, 25 à 30 % de ceux qui font leur aliyah reviennent en France, « ce qui est quand même énorme ! », souligne-t-il à MEE. Le plus souvent, pour des raisons économiques ou parce que l’intégration est compliquée, notamment en raison de la barrière linguistique.
La plupart des nouveaux arrivants s’installent à Jérusalem, Netanya, Ashdod, sur la côte vers Gaza, et Tel Aviv. Mais selon Itzhak Dahan, chercheur au département de sociologie de l’Université de Bar-Ilan, quelque 5 000 juifs français, surtout des jeunes, vivent dans des colonies israéliennes, en Cisjordanie occupée.
Comment expliquer cette démarche, alors que celles-ci sont illégales aux yeux du droit international, dénoncées par la communauté internationale et condamnées par la France comme un obstacle à la solution dite à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien ?
« Dans les années 50-60-70, le kibboutz était l’idéal sioniste », rappelle à MEE le professeur Dahan. « Aujourd’hui, c’est d’habiter dans une implantation [colonie]. Ils se disent : ‘’c’est l’État de la Bible, c’est nos sources, nos racines’’. »
À droite toute !
S’ils sont très peu à réellement s’installer dans les colonies de Cisjordanie, nombre des Français vivant en Israël soutiennent la position du gouvernement vis-à-vis des territoires palestiniens occupés, plébiscitant une politique qui, dans l’Hexagone, serait parfois taxée d’extrême droite. Normal, vu leur background, selon Itzhak Dahan : quelqu’un « qui est d’Afrique du Nord ou séfarade, qui est traditionnaliste, plutôt religieux, je peux vous dire qu’en gros, il est à droite ».
Et les Français, juge-t-il, contrairement aux autres Israéliens, ont tendance à devenir plus religieux en venant s’installer en « terre sainte ».
« En France, ils étaient sans kippa, quand ils viennent ici, ils commencent à la porter », note le chercheur.
« Le choc identitaire a tendance à faire que beaucoup se renferment dans la religion », remarque également Benjamin Lachkar, qui dirige la campagne francophone pour le Likoud pour les élections du 17 septembre prochain.
Les Français d’Israël, selon lui, « sont à droite à l’ancienne » : accent sur la sécurité, sur le contexte régional, bien plus que sur les questions économiques qui sont au centre des préoccupations des autres Israéliens. Voter Likoud, c’est soutenir la politique d’Israël en place depuis l’arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahou en 2009.
À Netanya, John, Français arrivé depuis quatre ans, avoue aussi voter Netanyahou par suivisme. Il ne connaît pas vraiment les autres candidats. « La gauche, c’est un peu comme en France, un peu trop pro-Arabes, on a peur qu’ils cèdent trop de trucs », déclare-t-il à MEE.
Debout à côté de son fils de 8 mois, étoile de David en or autour du cou, il défend sans complexe les programmes politiques de la droite et de l’extrême droite israélienne : bombardement et blocus de Gaza, annexion d’une partie de la Cisjordanie, renforcement de l’image de marque d’Israël et de son armée à l’étranger.
Bulle française
Pourtant, lui n’a pas fait l’armée. Il le regrette, pense qu’il aurait ainsi pu mieux se fondre dans la société israélienne. Et c’est tout le paradoxe de la communauté française, selon Benjamin Lachkar : ils idéalisent Israël mais ne s’intègrent pas vraiment.
« Ils ont ce rapport un peu ambigu à la France. À la fois, pour eux, c’est fini et en même temps, ils suivent ce qu’il s’y passe ».
Rachel, elle, le confesse tout de go : sans son abonnement aux chaînes françaises, elle ne pourrait « pas survivre ».
Même en politique, leur poids est infime. Ils votent en masse, mais ne sont pas adhérents dans un parti. « Ils ont l’habitude que tout vienne de l’État, comme en France. Mais ici, si tu ne demandes pas, on ne s’occupe pas de toi », remarque Benjamin Lachkar, qui tente de les convaincre de s’inscrire au Likoud afin de davantage peser dans la vie politique israélienne.
Au niveau local, « ils ne participent pas aux activités de la ville, ils restent entre eux », rapporte-t-il.
« Il n’y a pas de prototype du olim [celui qui a fait son aliyah] de France », nuance Itzhak Dahan, « mais dans l’ensemble, ceux-ci sont moins intégrés que les autres émigrants occidentaux. »
Barrage de la langue bien sûr, mais aussi appréhensions : « Certains ont peur d’habiter dans une ville où il n’y a pas beaucoup de Français » et parfois « ne parlent pas hébreu après dix ou quinze ans ».
Certains naviguent même chaque semaine entre les deux pays : c’est « ce que j’ai appelé l’aliyah Boeing. Des personnes qui partent le dimanche matin vers Paris et qui reviennent le jeudi soir », détaille-t-il. « Il y a peut-être deux avions qui s’envolent comme ça tous les dimanches. »
Antoine Spire, lui, veut croire que c’est cette déconnexion qui explique que les Français en Israël sont très à droite.
« Au contact de la réalité israélienne, en étant engagés dans la vie de la société israélienne, ces juifs français qui ont décidé d’être des inconditionnels [de Benjamin Netanyahou] commencent toutefois à comprendre qu’il y a des nuances à apporter et qu’il y a plusieurs politiques possibles », relève-t-il.
Sauf que pour l’instant, la droite est largement majoritaire en Israël, où elle gouverne sans partage depuis plus de dix ans, et les nuances semblent rares dans un scrutin qui ne se joue pas entre la droite et le centre-gauche mais entre différents camps nationalistes.
SOURCE: Middle East Eye