L’occupation est condamnée à l’échec en Irak, car un pays dans son intégralité, sauf en cas d’annihilation complète de sa société, ne peut être accaparé, acheté ou vendu, écrit Abdul Ilah Albayaty, analyste politique irakien basé en France.
Depuis les années 1920 jusqu’à nos jours, le principal critère déterminant le vrai patriotisme dans l’histoire du mouvement national irakien, a été de lutter pour la souveraineté de l’Irak sur ses terres et ses richesses, contre « l’hégémonie » des puissances étrangères.
La nationalisation des ressources pétrolières par l’Irak, et son succès à investir ses revenus pétroliers dans des projets d’infrastructure et de développement économique, a démontré sa capacité à construire un cadre pour la bonne administration des industries pétrolières, et à faire en sorte que cette industrie serve les intérêts de l’Irak. L’Irak a toujours refusé toute justification pour léguer la propriété de ses champs pétroliers à une autre entité que l’état. Même lorsque expertise, capital ou un quelconque besoin d’assistance étrangère est nécessaire, l’Irak peut le faire sous forme de contrats et de coopération.
Le destin du pétrole irakien est vital pour le futur de l’Irak. Aucun gouvernement ne pourra survivre s’il accepte de mettre le pétrole irakien entre les mains de parties étrangères, sans être protégé par des armées étrangères. Le peuple irakien est très conscient de ce fait, et ne renoncera jamais à sa souveraineté sur son territoire et ses ressources. Toutes les lois internationales soutiennent l’Irak à cet égard.
Les Irakiens, en tant que société, sont opposés au plan américain de diviser et contrôler l’Irak au travers de ce qui est abusivement appelé le processus politique et la constitution. En plus de contrôler et piller les ressources naturelles de l’Irak, la stratégie des Etats-Unis a consisté à abolir le concept de citoyenneté, base de tout état moderne. Ils ont annulé la souveraineté de l’état irakien, détruit son héritage et sa mémoire, usurpé les richesses irakiennes afin de diviser le pays et de détruire son appartenance géopolitique et civilisationnelle arabo-musulmane. L’occupation a essayé et continue à vouloir remplacer l’Irak par un état subordonné basé sur l’ethnicité et l’identité sectaire : un état de partis, d’ethnies et de sectes, plutôt qu’un état de citoyens libres et égaux. En divisant l’état en trois ou plus entités faibles et conflictuelles, selon des lignes sectaires ou ethniques virtuelles, les Etats-Unis ont en fait dessiné une carte qui correspond aux intérêts pétroliers de l’occupation. Cette division programmée a nécessité l’abolition de l’état irakien, le démantèlement de son appareil et de ses institutions, la privatisation de ses industries, de son patrimoine, de ses terres et services publics.
Même si l’occupation réussit a crée des politiciens locaux corrompus, des féodalismes politiques et religieux et des chefs de guerres qui profitent d’elle, la société elle-même, en particulier : la classe moyenne éduquée, marginalisée et appauvrie, la classe ouvrière qui a perdu les aides des larges services publics, et la jeunesse qui souffre du chômage et de l’absence de libertés civiles rejettent la politique des Etats-unis en Irak. Tout cela est et sera la source de l’incessante lutte sociale contre l’occupant, et en définitive de la défaite de l’occupation, et de toutes ses stratégies.
En liquidant l’état irakien, en détruisant ses réalisations et ses institutions et en effaçant sa mémoire, les Etats-Unis se sont retrouvés directement face à la société irakienne. Ils ont oublié que la société n’est pas simplement un mouvement politique qui peut être conquis, ou un nombre d’individus qui peuvent être appréhendés, soudoyés ou même tués, mais toutes les personnes vivantes dans un pays donné. Comme d’autres sociétés vivantes, la société irakienne possède d’immenses potentiels, un héritage sophistiqué, d’anciennes civilisations et un mouvement patriotique expérimenté. Les stratégistes américains, alors qu’ils définissaient leur modèle pour l’Irak, ont ignoré, délibérément ou non, le fait que les mouvements sociaux sont basés sur des réalités solides et des expériences vécues, et ne peuvent en aucun cas être le résultat d’une décision politique ou de formes de pression insidieuses.
L’incapacité des forces d’occupation à contrôler la société irakienne à travers des intrigues ethniques et des mesures répressives s’explique par l’expérience concrète des irakiens avec les Etats Unis. En effet, toutes les données géopolitiques de l’Irak sont contraires au plan de division ethnique et raciale de ce pays et au plan impérialiste américain. Si les Irakiens partagent une quelconque expérience sociale commune face aux Etats-Unis, elle découle du siège douloureux imposé par les Etats-Unis à travers les Nations Unis pendant 13 ans, et de la destruction causée par l’invasion américaine de leur pays. De plus, la société irakienne a un large héritage politique, civil et culturel qui lui permet de s’unir face à n’importe quel plan impérialiste réactionnaire qui tente de faire revenir l’Irak au Moyen-Age, avec ses systèmes féodaux et ses bourgeoisies religieuses et ethniques.
Depuis le jour de l’arrivée des forces d’occupation en Irak et le démantèlement de l’état irakien, tous les mouvements et organisations irakiens, y compris ceux de défense des droits de la femme, de la jeunesse au chômage, des droits de l’homme, des prisonniers, de l’environnement, les syndicats, les associations professionnelles, et toutes les autres organisations politiques et culturelles se sont soulevés au côté des communautés provinciales et tribales et des groupes de résistance civils et militaires, face à l’occupation. Tous se sont levés selon un agenda politique non écrit qui lie toute la société irakienne. Sa légitimité découle de la fierté nationale et l’identité arabo-musulmane de l’Irak.
Géographiquement, historiquement, culturellement et stratégiquement l’Irak appartient à son contexte arabo-musulman. Cette appartenance n’est ni ethnique ni religieuse, mais plutôt culturelle et géopolitique. L’identité arabo-musulmane est profondément enracinée dans la conscience et l’âme de chaque citoyen irakien, quelle que soit son idéologie. Elle est le ciment qui permet un langage mutuel et un projet politique conjoint pour la société, en particulier aux membres des groupes nationalistes, islamistes et gauchistes. Ils partagent tous les mêmes principes:
Tout d’abord, nos ressources naturelles, notre héritage matériel, et les richesses de notre culture et civilisation sont la propriété de la totalité du peuple d’Irak, de toutes ses générations successives passées et futures. La propriété de ces richesses, soit en partie ou en intégralité, ne peut être aliénée par aucune entité publique ou privée.
Deuxièmement, l’intérêt général et les services publics sont la justification et la responsabilité de l’état. Il est interdit d’utiliser l’appareil d’état ou ses institutions, à des fins personnelles ou sectaires.
Enfin, la sécurité, la défense, la justice, la santé, l’éducation, la communication, l’eau, l’énergie, et tous les services publics principaux, y compris la gestion des finances publiques, des ressources naturelles et de l’héritage matériel et culturel du pays, sont de la responsabilité de l’état. Chaque citoyen a le droit de jouir de ces services sans aucune forme de discrimination.
L’état irakien devrait donc adopter les principes qui s’ensuivent. La totalité des citoyens constitue le peuple d’Irak. Le peuple est la seule source de souveraineté et de légitimité constitutionnelle, politique et judiciaire. Le gouvernement est responsable et redevable devant tous les citoyens. La solidarité entre les citoyens, les générations, les différents territoires qui constituent le pays, et avec les vieux, les malades, les enfants et les orphelins, ceux dans le besoin, et chaque être humain qui se trouve en situation de faiblesse, doit former la base de la politique sociale du gouvernement.
En fait, cette identité arabo-musulmane n’est pas seulement une protection de la société irakienne face à l’hégémonie impérialiste, c’est un catalyseur qui place la lutte de la société irakienne au sein du mouvement social progressif qui grandit à travers le monde et s’oppose à la mondialisation néo-libérale et aux plans impérialistes américains. Ce mouvement défend la construction d’un autre monde plus humain que le monde contemporain, celui-ci est caractérisé par la barbarie et les abus de pouvoir flagrant, s’attaque aux faibles et aux pauvres, détruit l’environnement, crée des guerres et du chômage, et réduit nos libertés civiles et politiques. Il est évident que la stratégie américaine dans la région n’est qu’un maillon d’une longue chaîne de dessins impérialistes dans diverses parties du monde, tous visant les mêmes cibles et utilisant des justifications similaires pour écraser les autres.
Ceci étant, l’hégémonie impérialiste américaine qui place le libre mouvement du capital au-dessus de la liberté des peuples, et s’organise pour piller la richesse naturelle d’autres pays en brandissant la bannière de l’économie de marché, est de plus en plus démasquée et refusée par les peuples du monde. L’opposition au projet impérial américain s’est même répandue dans les pays développés car il n’est plus seulement une idée théorique mais une réalité qui entraîne de plus en plus de pauvreté pour les pauvres, de richesses pour les riches, tout en laissant le classe moyenne totalement marginalisée même à l’intérieur des Etats-Unis. Plus personne ne croit à la propagande néo-libérale selon laquelle « le capital n’a pas de pays», et que son passage sans entraves dans l’économie globale amènerait progrès et développement et créerait plus de liberté, de stabilité et de justice.
Les Etats-Unis ont sans aucun doute réalisé de grands progrès grâce au modèle démocratique qu’ils ont adopté sur leur territoire. Nous ne contestons pas cela. Même, nous ne refusons pas d’être membre de ce « Village Mondial » dont ils parlent. Nous sommes prêts à échanger culture, idées, biens, techniques, personnes, pour permettre une compréhension et un développement mutuel. Ceci étant, les Irakiens et leurs mouvements sociaux s’opposent et s’opposeront aux plans impérialistes américains qui ne leur apportent que destruction et ruine.
Les peuples du monde attachés à la justice et qui espèrent un monde plus humain, doivent soutenir les irakiens dans leur lutte pour recouvrir leur souveraineté, demander le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les troupes étrangères du sol irakien, et que de justes compensations soient payées pour les pertes matérielles et humaines subies par l’Irak depuis le début de cette invasion illégale.
Publié dans Al Ahram Weekly.