Plan eau : Macron fait suer les écologistes

Depuis les Hautes-Alpes, Emmanuel Macron a finalement dévoilé le plan du gouvernement pour préparer la France à la sécheresse de cet été. Des engagements insuffisants selon les organisations environnementales.

 

C’est sur les rives du lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes) — plus grand lac artificiel de France — que le président de la République a finalement dévoilé le « plan Eau » de son gouvernement. Attendu depuis plusieurs mois, maintes fois reporté, ce programme censé nous préparer aux sécheresses à venir s’inscrit dans un contexte tendu. Lutte contre les mégabassines, déficit de pluie hivernale, nappes au plus bas

Selon l’Élysée, ce plan doit enclencher « un vrai tournant dans notre approche de la gestion de l’eau en France face au défi du changement climatique ». Qu’en est-il vraiment ? Pour Julien Le Guet, du collectif Bassines non merci, « ce plan entérine une approche technosolutionniste »Reporterre fait le point sur les mesures annoncées.

1• Pour l’agriculture, l’équation impossible : plus d’irrigation… sans prélever plus

Emmanuel Macron a mis du temps à aborder le sujet… L’agriculture n’était que le quatrième des « cinq axes stratégiques » de son plan. Le secteur absorbe pourtant près de 60 % des 4,1 milliards de mètres cubes annuels consommés en France. L’eau est un enjeu majeur pour le secteur. En 2022, la sécheresse a entraîné des pertes de rendement de l’ordre de 30 % sur les céréales — en particulier pour le maïs — et de l’ordre de 25 % sur le fourrage.

© Clarisse Albertini / Reporterre

Comment faire face à ces pénuries chroniques ? Emmanuel Macron a réaffirmé l’importance de l’irrigation et des stockages d’eau, comme la mégabassine contestée de Sainte-Soline« La règle, c’est bien le partage de la ressource », a-t-il cependant indiqué, promouvant la « concertation ». Sauf que les outils actuellement en place, comme les projets de territoire pour la gestion de l’eau, sont bien souvent ignorés ou bafoués par les irrigants, comme ce fut le cas à Caussade ou à Sivens.

« C’est la grande faute de Macron, estime Benoît Feuillu, des Soulèvements de la Terre. Pour faire redescendre la tension, son premier geste aurait dû être de faire cesser les travaux. Il aurait dû dire clairement : il n’y aura pas un chantier de plus sur les mégabassines. »

« Il faut tout faire pour réduire l’irrigation, mais étendre les surfaces irriguées », a insisté le président, en pariant sur des « solutions innovantes ». Robotique, numérique, nouveaux OGM ? Les détails, là encore, ne sont pas encore connus. « On ne pourra pas se passer d’arroser les plantes, approuve Jean-François Périgné, membre de la Confédération paysanne. Mais il faut se remettre en adéquation avec le niveau d’eau disponible. On ne peut pas prélever plus que ce que les milieux peuvent fournir. » Le syndicat prône ainsi un plafonnement des prélèvements, et une répartition équitable entre tous les paysans.

« L’été dernier, raconte le syndicaliste, ceux qui avaient des réserves ont pu remplir, avec dérogations accordées par l’État, tandis que celles et ceux qui n’étaient pas raccordés à un stockage d’eau n’ont pas pu arroser, c’est injuste ! » Les maraîchers, notamment les nouveaux installés, ont été particulièrement lésés.

En France, le maïs représente 60 % des surfaces irriguées et sert essentiellement à nourrir nos animaux d’élevage. Unsplash/CC/Jesse Gardner

« Quand on voit les millions d’euros publics investis dans les gros projets de stockage, tout cet argent serait mieux utilisé à changer les pratiques agricoles », tempête Jean-François Périgné. Lui préconise « un retour à l’essentiel » : « Il faut retrouver des sols vivants, qui sont les meilleurs stockages d’eau, avec de l’agroforesterie, des haies… L’urgence, c’est de changer de modèle agricole. » Un point rapidement évoqué par Macron, « alors que ce devrait être la mesure phare du plan », dénonce Julien Le Guet.

De son côté Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace, déplore l’absence de mesures concernant l’élevage : « L’élevage industriel est non seulement particulièrement gourmand en eau (le maïs représente 60% des surfaces irriguées et sert essentiellement à nourrir nos animaux d’élevage), mais en plus, il fait peser de graves menaces sur la qualité de l’eau… »

2• Sobriété et efficacité, des mots à concrétiser

Premier enjeu, selon Emmanuel Macron : préparer l’été prochain, qui s’annonce à nouveau très aride. L’an dernier, 93 départements ont connu des restrictions d’eau, et 700 communes ont été privées durablement d’eau potable. Pour faire face, le gouvernement entend appliquer sa recette énergétique. Cet hiver, la France a en effet connu une baisse inédite de sa consommation électrique« On a réussi à le passer sans coupures et sans difficultés majeures grâce à un effort de tous les Français, que ce soit des citoyens, des entreprises, des collectivités », assure-t-on à l’Élysée. Agriculteurs et électriciens — les deux principaux secteurs consommateurs d’eau — seront-ils prêts à fermer le robinet ?

D’ici mai, une sorte d’« Ecowatt » de l’eau, pour suivre au plus près les niveaux d’eau, sera mis en place. « Chaque geste compte », a insisté Macron, invitant les Français à se « responsabiliser ».

À moyen terme, le président a fixé une ambition : 10 % d’économies d’eau dans tous les secteurs d’ici à 2030. Rappelons qu’en 2019, lors des Assises de l’eau, le gouvernement s’était déjà engagé à diminuer les prélèvements dans les milieux, les nappes, les lacs, les rivières de 10 % d’ici à 2025 et de 25 % d’ici à 2035.

Dans le Var, le niveau du lac de Saint-Cassien est exceptionnellement bas. © Maïté Baldi / Reporterre

Emmanuel Macron est cependant resté vague sur la façon de parvenir à ces objectifs, citant les centrales nucléaires qui « devront s’adapter au changement climatique » et les industries. Surtout, il a à peine abordé le secteur agricole, pourtant premier consommateur d’eau : « On ne sent pas l’ambition d’une moindre utilisation de l’eau en agriculture », regrette Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne.

3• Réutiliser les eaux usées, la panacée ?

C’est le nouveau dada du gouvernement : la réutilisation des eaux usées. L’idée, récupérer l’eau qui sort des stations d’épuration pour arroser les champs ou les espaces verts, paraît ingénieuse. « Notre ambition, a déroulé Macron, c’est de passer à 10 % d’eau réutilisée d’ici à 2030. » La pratique reste à ce jour très marginale — moins de 1 % du volume d’eau traitée à l’échelle nationale.

Pour Thierry Uso, la raison en est toute simple : « Ce n’est pas la panacée. » Le militant écologiste, membre d’Eau secours 34, suit le dossier depuis des années… et demeure très sceptique quant à l’intérêt de cette technique. « Environ deux tiers des projets ne sont pas viables économiquement, estime-t-il. Il faut bien souvent des kilomètres de tuyaux pour apporter l’eau des stations vers les parcelles agricoles, avec de la pression, donc de l’énergie. Et puis, les eaux usées sont généralement trop salées par nos urines pour les cultures et demandent donc un traitement supplémentaire, qui peut être coûteux. »

Pour Jean-Claude Oliva, membre de la coordination Eau Île-de-France, il existe des solutions moins chères : « On parle malheureusement peu des eaux de pluie. Récupérer et réutiliser localement ces eaux pour arroser les espaces verts, les jardins, c’est pourtant peu coûteux et accessible à tous. » Le président a annoncé des aides pour soutenir les particuliers — mais aussi les bâtiments publics — à s’équiper de récupérateurs de pluie.

4• 180 millions d’euros contre les fuites de réseau

Entre l’usine de potabilisation et notre robinet, 1 litre sur 5 d’eau potable fuit des tuyaux. La déperdition représente « l’équivalent de la consommation annuelle d’environ 18 millions d’habitants », selon les calculs du Parisien. Le réseau de canalisation vieillit, et les collectivités peinent à faire face. La situation est particulièrement critique dans les Outre-mer.

Emmanuel Macron a donc annoncé un plan de 180 millions d’euros par an « pour résorber les points noirs ». La modernisation des réseaux doit aller de pair, selon le locataire de l’Élysée, avec « la généralisation des compteurs intelligents », des Linky de l’eau, pour « responsabiliser les usagers » quant à leur consommation.

Aujourd’hui, le taux de renouvellement des tuyauteries des eaux françaises est de 0,61 %. Il faudrait ainsi plus de 150 ans pour renouveler tout le réseau. En cause : un manque d’investissement chronique.

Pour Jean-Claude Oliva, de la coordination Eau Île-de-France, une partie de la responsabilité revient aux entreprises qui gèrent encore la distribution d’eau pour 60 % de la population. « Veolia et consorts sont dans une logique marchande, ils ne réparent les réseaux que quand ça casse, estime-t-il. Dans une logique publique, on renouvelle le réseau petit à petit. » Le retour en force des régies publiques est donc, à le suivre, une bonne nouvelle.

Entre l’usine de potabilisation et notre robinet, 1 litre sur 5 d’eau potable fuit des tuyaux. Unsplash/CC/Claudio Schwarz

5• Une « tarification responsabilisante » de l’eau

Pour inciter à la sobriété, le gouvernement entend généraliser une « tarification progressive et responsabilisante de l’eau ». Dans le Nord, Dunkerque expérimente depuis dix ans un tel système. L’eau essentielle, l’eau utile et l’eau de confort. Entre ces trois tranches (les 80 premiers m³, de 80 à 200 m³ et puis au-delà), trois tarifs croissants. Un dispositif de justice sociale et écologique, qui peine à se répandre en France, même si de grandes métropoles, comme Montpellier, expérimentent ce système.

Il faut aussi s’attendre à une augmentation possible du prix de l’eau, juge Julien Le Guet : « Emmanuel Macron a annoncé des moyens supplémentaires pour les Agences de l’eau, pointe-t-il, or ce sont nous, les usagers, qui finançons ces agences. »

6• Les milieux naturels, laissés pour compte ?

« L’eau est un enjeu stratégique pour le pays », a martelé Macron. Elle n’est pourtant pas qu’un gisement à exploiter, n’en déplaise au président. C’est aussi une ressource et des écosystèmes à protéger. Or les milieux aquatiques — rivières, nappes, lacs — semblent être les grands oubliés du « plan Eau ». Ils auraient pourtant grand besoin d’un coup de pouce. Polluées, canalisées ou artificialisées, très peu de masses d’eau naturelles sont aujourd’hui en bon état.

Ainsi, parmi les grandes absentes de ce plan, la lutte contre les pollutions, note, amère, l’association Générations futures.

Reste la question du financement pour réaliser ce plan : selon un représentant du Sne-FSU, principal syndicat des fonctionnaires de l’environnement, « il y a un manque chronique de moyens, financiers et surtout humains » pour appliquer les politiques environnementales. Ponctionnées chaque année d’une partie de leurs revenus, les Agences de l’eau ont également perdu près de 350 agents en dix ans, soit l’équivalent du personnel de l’Agence Adour-Garonne.

Le locataire de l’Élysée a annoncé 500 millions d’euros supplémentaires par an pour les Agences de l’eau. Cet « effort de la nation », comme l’a présenté Macron, sera-t-il suffisant « On attend de voir, conclut le syndicaliste. Car entre les discours et les actes, il y a souvent un écart non négligeable. »

 

Source: Reporterre

Photo: Capture d’écran Twitter/Elysée

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