Journée de réflexion IEV sur l’évolution de l’OTAN
07.12.05, Bruxelles
Je voudrais tout d’abord remercier l’IEV d’avoir laissé une place à la société civile et en l’occurrence à la CNAPD dans cette journée de réflexion.
Je voudrais ensuite préciser que la CNAPD n’a pas pris de position récente concernant l’OTAN, si ce n’est en filigrane sur d’autres dossiers, et que les réflexions que je vous livre sont des éléments d’un débat encore en cours.
Contrairement à ce que disait monsieur Régibeau, il y a bel et bien un intérêt des citoyens pour les questions internationales et de paix , les 100.000 personnes qui sont descendues dans la rue contre la guerre à l’Irak en sont la preuve.
Jean-Arthur Régibeau (cabinet Flahaut) nous interpelle en disant « Des changements majeurs ont lieu au sein de l’OTAN, vous ne pourrez pas dire dans quelques années que vous ne le saviez pas ».
Il précise d’entrée de jeu que « notre appartenance à l’OTAN n’est pas en jeu » mais que « nous pouvons discuter des évolutions et modalités »
C’est le moment où jamais d’avoir un grand débat public !
Je vais rapidement vous montrer ce que je ressens comme une évolution très préoccupante, à savoir comment l’OTAN a progressivement glissé d’une alliance défensive qui devait agir sur son territoire dans le respects de l’ONU vers une force d’intervention préventive partout dans le monde et si nécessaire sans mandat de l’ONU.
Cette évolution est d’autant plus préoccupante qu’elle a tendance a gagner également la Politique Etrangère et de Sécurité Commune de l’Union Européenne, que d’aucuns présentent comme un nécessaire contrepoids à l’OTAN. En effet, dans le document stratégique de Solana et dans la proposition de traité constitutionnel européen, il y a de véritables portes ouvertes à des intervention préventives et il n’y a pas mention de la nécessité d’un mandat du Conseil de sécurité mais bien le même genre de formule sibylline qu’on retrouve dans les documents de l’ONU à savoir « dans l’esprit de la charte ».
Repartons du Traité de l’Atlantique Nord, entré en vigueur le 24 août 1949.
L’OTAN se présente alors comme une alliance militaire défensive sur le territoire des états membres et dans le respect du droit international.
Dès son introduction, le Traité de l’Atlantique Nord affirme la primauté de l’ONU.
L’article 7 précise que ce traité n’affecte pas la « responsabilité primordiale du Conseil de Sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale »
Le Traité affirme que l’action de l’OTAN est limitée au territoire des membres : les articles 5 et 6 présentent un projet d’auto défense collective (cfr art 51 charte ONU), une réponse collective en cas d’attaque armée « survenant en Europe ou en Amérique du Nord » et, précision importante, « ces mesures prendront fin quand le Conseil de sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales ». C’est donc le Conseil de Sécurité qui reprend la main dès que possible.
Notons que la seule fois dans l’histoire où cet article 5 a été activé, au lendemain du 11 septembre 2001, les Etats Unis ont refusé l’aide des alliés de l’OTAN car ils ne voulaient pas avoir à négocier les conditions de leur riposte. C’est ainsi qu’ils ont créé la ‘coalition of the willing’ en bilatéral avec une série de pays prêts à travailler aux conditions définies par les seuls Etats Unis.
Le Traité réclame un accroissement des capacités militaires… toujours dans une optique défensive : Art 3 les parties « accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée ». Faut-il rappeler que nous mouvements sont opposés à toute augmentation des budgets militaires ?
L’OTAN est également dès son origine une alliance politique (du « bloc de l’ouest ») pour endiguer la vague communiste et plus tard « favoriser dans la région de l’Atlantique Nord le bien être et la stabilité ».
Rappelons que contrairement à une idée répandue, l’OTAN a été créée avant le pacte de Varsovie!
Le libre échange (et son extension) est aussi un objectif de l’OTAN.
Art 2 : « (les parties) s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d’elles ou entre toutes »
Plusieurs articles consacrent le poids décisif des Etats Unis dans l’OTAN :
Ainsi l’article 10 : « Tout état ainsi invité peut devenir partie au traité en déposant son instrument d’accession auprès du gouvernement des Etats Unis d’Amérique ». Il en va de même pour la pour la ratification du traité (Art 11)
L’article 13 précise que toute partie peut se retirer du traité avec un préavis d’un an.
Il semble cependant que les volontés d’autonomie de la sécurité européenne soit considérées comme une quasi déclaration de guerre par les Etats Unis, dans un contexte où « si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ».
La révision du Traité était prévue par l’article 12 : « à toute date ultérieure, les parties se consulteront en vue de réviser le traité, en prenant en considération les facteurs affectant à ce moment la paix et la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ».
Avec la Chute du mur en 1989 se pose la question de la disparition ou d’une évolution de la mission de l’OTAN.
Comme le notait Bernard Adam (GRIP), l’OTAN, comme toute institution, a tendance à vouloir se maintenir, même si les raisons qui ont justifié sa création ne sont plus de mise.
C’est ce qu’a également dit, dans d’autres mots, Jean-Arthur Régibeau, pour qui
o nous avons avec l’OTAN un instrument militaire qui a fait ses preuves
o le risque d’une attaque armée contre les membres de l’OTAN est faible
o se pose alors la question : que faire de ces moyens ?
Avec le concept stratégique de l’Alliance (avril 1999), l’OTAN
o évolue vers une force d’intervention hors de son territoire et
o se donne le droit d’intervenir même sans mandat de l’ONU.
L’Introduction du Nouveau Concept Stratégique énumère les nouveaux risques « liés à des politiques d’oppression, à des conflits ethniques, au marasme économique, à l’effondrement de l’ordre politique et à la prolifération des armes de destruction massive »
La déclaration de Washington affirme : « La défense collective demeure la vocation essentielle de l’OTAN » (ce n’est donc pas la seule)
La partie 1-6 du Nouveau Concept stratégique déclare que: « L’objectif essentiel et immuable de l’Alliance, tel qu’il est énoncé dans le traité de Washington, consiste à sauvegarder la liberté et la sécurité de tous ses membres par des moyens politiques et militaires ».
Le Concept stratégique ajoute cependant aux missions de l’OTAN des « missions non liées à l’article 5 » (auto défense collective). C’est donc une véritable révolution !
Monsieur Struye, ambassadeur belge auprès de l’OTAN a présenté ce qu’il considère comme les 3 contributions de l’OTAN à la paix
1. l’élargissement de l’OTAN (vers l’Est). Il a rappelé que tout guerre entre membres de l’OTAN semble aujourd’hui impossible
2. la politique de Partenariat pour la paix comme une politique de « bon voisinage »
3. les opérations sélectives, dont certaines peuvent porter sur des intérêts vitaux des pays membres, comme l’approvisionnement en énergie.
Sur le Partenariat pour la paix dans le NCS de 99 : « L’OTAN est un pilier essentiel d’une communauté plus large de valeurs et de responsabilités partagées. Oeuvrant ensemble, Alliés et Partenaires, y compris la Russie et l’Ukraine, développent leur coopération et effacent les divisions imposées par la guerre froide, afin d’aider à construire une Europe entière et libre, où la sécurité et la prospérité sont un bien commun et indivisible »
Pour reprendre les mots de Warren Christopher, ancien ministre américain, « le danger pour la sécurité de ses membres n’est plus la possibilité d’une agression mais bien des menaces contre leurs intérêts collectifs au delà de leur territoire ».
Si l’on peut très bien comprend que la défense du territoire soit du ressort de l’intérêt collectif, quels sont ces « intérêts au delà de nos territoires » et sont-ils réellement collectifs ?
Si l’approvisionnement en pétrole (par exemple) est considéré comme un intérêt vital et collectif, pourquoi ne pas annoncer la couleur et dire clairement quand des interventions sont menées pour défendre cet intérêt vital ?
L’histoire nous a appris à nous méfier du concept de « défense » : aucune armée, même celle d’Hitler, n’a jamais prétendu attaquer mais toujours uniquement se défendre.
En octobre 1998 déjà, Javier Solana annonce qu’il se passera de l’ONU pour intervenir au Kosovo: « L’OTAN a la légitimité d’agir seule. Nous pensons qu’il existe des cas où en restant dans l’esprit et la philosophie de la Charte de l’ONU, nous devons agir ».
L’esprit de la Charte n’est-il pas précisément d’éviter ce genre d’interventions unilatérales ?
C’est un dangereux précédent car il ouvre la porte à d’autres interprétations de l’esprit de la charte par d’autres grandes puissances.
Barbara Delcourt (ULB) a montré comment l’OTAN se place au dessus du droit international par le raisonnement que puisque nous sommes des démocraties, nous pouvons définir unilatéralement ce qui constitue un motif d’intervention, sans passer par le filtre du multilatéralisme onusien.
Elle a également évoqué Robert Cooper, qui a participé à la rédaction du document stratégique de Solana et qui revendique un « impérialisme démocratique ». Pour Cooper, le règne du droit doit prévaloir dans les rapports avec les autres états démocratiques-civilisés-avancés et le règne de la force et de la tromperie doit prévaloir avec les états voyous.
Le Concept stratégique réaffirme « la foi dans les buts et les principes de la Charte des Nations Unies » mais le sommet de 1999 a eu lieu en pleine "guerre du Kosovo" et cette guerre n'était pas autorisée par le Conseil de Sécurité de l'ONU.
L'OTAN s'affirme donc "au-dessus" du droit international.
Dans une interview au International Herald Tribune, le général James Jones (le commandant suprême des forces alliées en Europe, dit SACEUR) déclare
« La réorganisation de l’OTAN présente deux aspects.
L’un est la réorganisation physique de la structure de commandement et la création d’une force de réaction rapide.
L’autre est culturel. Que va-t-on faire de cette nouvelle capacité de projection et d’intervention rapide ? Cela touche la raison d’être essentielle de l’alliance qui a été conçue au 20ème siècle comme défensive ».
Il a encore ajouté que l’OTAN doit encore décider de quelle manière elle veut devenir préventive.
Nous, mouvements de paix, rejetons ces évolutions, au nom de notre attachement au droit international et à un véritable multilatéralisme.
La règle est et doit rester l’interdiction de l’emploi de la force dans les relations entre états avec deux exceptions :
o la légitime défense en cas d’attaque armée et
o les mesures décidées par le Conseil de Sécurité en cas de menace contre la paix.
L’OSCE, dont la Belgique assurera la Présidence en 2006, développe également un concept précieux de « sécurité coopérative » qu’un ancien secrétaire général de cette organisation résumait en une question simple : comment augmenter la sécurité d’un état (ou d’un groupe d’état) sans en même temps créer plus d’insécurité pour d’autres états?
Pour terminer, je voudrais revenir à la situation de la Belgique.
1. Ces évolutions majeures d’un Traité liant notre pays n’ont jamais été ratifiées par le Parlement belge, ce qui est contraire à notre Constitution (selon l’article 68§2).
2. Par contre notre Parlement a récemment voté des résolutions concernant le désarmement et demandant à terme le retrait des armes nucléaires américaines stationnées en Europe et dons également celles stationnées en Belgique, à Kleine Brogel. Mais nos contacts ministériels nous affirment que le dossier est bloqué pour ne pas heurter nos alliés de l’OTAN.
3. On pourrait aussi évoquer le transit de matériel militaire vers l’Irak par le territoire et les infrastructures belges, qui avait été repris dans la déclaration gouvernementale mais a été encommissionné et reste à ce jour sans suite.
En conclusion, cette alliance transatlantique fait donc des dégâts tant au niveau du droit international qu’au niveau de notre démocratie belge. Ne faudrait-il pas nous interroger plus avant sur son prix et les concessions qu’elle nous impose ?
Cette après-midi de réflexion me paraît un bon endroit pour entamer ce débat qui promet d’être long et passionné.
Je vous remercie pour votre attention.
Arnaud Ghys
Responsable secteur Paix
CNAPD