Palestine : Comment les paysans de Bilin s'organisent contre le vol de leurs terres

En marge de la projection du film du réalisateur Shai Carmeli Pollak, Bil’in Habibti (Bilin mon amour) (vidéo, vo sous-titrée angl., 84 minutes), au Festival Visions du réel à Nyon, nous nous sommes entretenus avec son réalisateur, militant du groupe israélien « Anarchistes contre le mur » [1] rencontré à Bil'in en Palestine.

Tu as réalisé ce film qui raconte la lutte des habitant-e-s de Bilin contre le mur d’apartheid qu’Israël construit depuis 2002 en Cisjordanie. Peux-tu nous parler de cette lutte ?

Bilin est un petit village proche de Ramallah. La décision de le priver de ses terres a été prise en 2005 et ses habitant-e-s ont rejoint la lutte des villages sous occupation israélienne contre la confiscation de leurs terres et la construction du mur [2]. La participation d’Israélien-nes à de telles luttes a commencé en 2003, au village de Masha. Durant quatre mois, leur tente a été installée sur les terres de ce village qui devaient être confisquées et coupées par la clôture. Des milliers d’Israélien-nes et de gens du monde entier sont venus. Un groupe d’activistes a commencé à se réunir, à établir des liens avec les comités populaires ; il s’est engagé auprès d’autres villages avant que la lutte ne démarre à Bilin.

Peux-tu expliquer ce que sont ces comités populaires ?

Ce sont des structures démocratiques qui réunissent les énergies d’un village pour organiser la lutte en toute indépendance ; elles prennent toutes les décisions. A Bilin, le comité populaire a développé des formes de lutte très créatives, associant actions directes et initiatives artistiques.

En consultant le site du village, on peut se faire une idée de cette richesse créative [3]. Les manifestations hebdomadaires pacifiques sont toujours violemment réprimées par l’armée et la police. Il faut souligner que les villageois-es n’ont jamais abandonné la non-violence et que des centaines d’entre eux-elles ont été blessés depuis le début du mouvement. Pas une manifestation sans blessés graves. Une unité spéciale de soins a été mise en place : le Dr Barghouti, nouveau Ministre de l’information du gouvernement palestinien, y participe souvent.

Les comités populaires sont-ils liés les uns aux autres ?

Un comité national fait le lien entre les comités populaires de villages. A ce jour, seul le village de Budrus est parvenu à faire reculer le mur sur la ligne verte par la lutte, sans procédure auprès du tribunal. Mais je vois des raisons d’espérer parce que la lutte continue, qu’il existe un groupe d’Israélien-nes déterminé à la soutenir et que la solidarité internationale se développe. Avec les comités populaires, nous essayons lutter contre l’occupation, mais aussi pour la paix, car il ne pourra pas y avoir de paix tant que l’occupation durera. Les Israélien-nes qui rejoignent le mouvement doivent comprendre que la paix ne pourra être conclue sans satisfaire les droits des gens, et évidemment sans mettre un terme à l’occupation.

Nous nous sommes entretenus avec le maire de Bilin, qui participe au comité populaire. Il nous a expliqué l’importance d’étendre la lutte à d’autres villages, aux Israélien-nes solidaires, à la solidarité internationale… Qu’en penses-tu ?

Je pense que cette unité est très importante, elle existe à tous les niveaux et concerne tous les aspects de la lutte. Pensons par exemple au jour de la manifestation. Les gens décident de marcher de leur village à la clôture. En l’absence de soutien international ou israélien, la manifestation devient beaucoup plus dangereuse. Car l’armée israélienne modifie ses consignes de feu selon que les Palestinien-nes sont seuls ou non ; ils l’admettent ouvertement. Ils n’adaptent pas leur comportement à celui des manifestant-e-s, mais à leur origine ethnique ! La présence d’Israélien-nes et d’internationaux est donc très importante.

Tu as évoqué les tribunaux auprès desquels les gens de Bilin ont engagé des procédures. [4]

Pas facile, puisque c’était reconnaître le droit pour Israël de se prononcer. De surcroît, la Cour internationale de justice a déclaré la construction du mur illégale, puisqu’elle ne respecte pas la ligne verte de 1967, mais Israël n’a pas reconnu cette décision.

La lutte commune, Palestiniens, Israéliens et internationaux, hommes et femmes, est importante, parce que nos adversaires aussi ont des liens internationaux. Par exemple, la colonie construite sur les terres de Bilin l’est par trois compagnies, l’une israélienne et les deux autres canadiennes. La solidarité avec Bilin doit également comporter un soutien financier au Comité populaire (www.bilin-village.org) ou à notre groupe. Les relations humaines nouées avec des personnes supposée être des ennemis étaient aussi importantes que ma participation à la lutte. On ne peut pas avoir des relations normales entre militant-e-s issus de l’occupation et des zones occupées, sans s’engager contre l’occupation, la colonisation, le racisme.

Comment ton film a-t-il été reçu ?

Beaucoup m’ont dit que je leur avais montré des choses qu’ils ne savaient pas, alors même qu’ils croyaient connaître la situation. J’ai également eu des appels pour me traiter de traître. Certains spectateurs m’ont témoigné leur colère. D’autres m’ont dit que je ne devrais le montrer qu’au public israélien, de crainte qu’il ne nourrisse l’antisémitisme. Je réponds que si quelqu’un est antisémite, il n’a sûrement pas besoin de mon film, et que je suis beaucoup plus inquiet pour l’avenir de la Palestine et d’Israël que par l’antisémitisme.

Le film est pour tous les publics et aussi pour les Palestinien-nes, qui sauront ainsi qu’il existe un groupe d’Israélien-nes qui reconnaît les torts causés par l’occupation, par le sionisme, et je souhaite atteindre aussi un public international. Car je crains que beaucoup de gens ne soient influencés par la propagande israélienne qui présente les Palestinien-nes comme des terroristes. Les gens doivent savoir qui est l’agresseur et qui est la victime.

Ce film montre des êtres humains, des gens merveilleux, ainsi que ce qui leur a été imposé.

Notes

1. « Anarchists against the wall » www.awalls.org.

2. A Bilin le mur consiste en une double clôture autour d’une route militaire.

3. www.bilin-village.org.

4. Les villageois ont ouvert quatre procédures devant les tribunaux israéliens : contre la construction illégale du mur, contre l’expropriation illégale de leurs terres, contre la construction d’une colonie sur leurs terres et ils ont déposé des permis de construire sur leurs terres.

POLLAK Shai Carmeli, MOULAI Aldjia, GRÜNBERG Karl

* Paru dans le périodique suisse « solidaritéS » n°107 (02/05/2007), p. 6. Entretien réalisé par Aldjia MoulaÏ et Karl Grünberg.

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