Le rééquilibrage de la politique américaine au Moyen-Orient est-il envisageable sous l’administration Obama ? Le succès du barrage à la nomination de l’ambassadeur Charles W. Freeman, au poste de président du National Intelligence Council, permet d’en douter.
Le journal Al Hayat, libéral peu suspect d’engagement politique, résume le sentiment dans le monde arabe après la décision de Charles W. Freeman de renoncer au poste, en mettant en cause un « lobby puissant décidé à empêcher que soit diffusée toute opinion autre que la sienne, et encore moins de laisser les Américains comprendre les tendances et les évènements au Moyen-Orient ». « Il est interdit à qui que ce soit aux États-Unis de le dire. Ce n’est pas seulement une tragédie pour les Israéliens et leurs voisins au Moyen-Orient, mais cela nuit de plus en plus à la sécurité nationale des États-Unis. »
Officiellement, l’AIPAC, l’omnipotent lobby israélien aux États-Unis, affirme ne pas avoir exercé de pressions contre la désignation de Charles W. Freeman, ancien ambassadeur américain en Arabie Saoudite. Pourtant, dès l’annonce de sa nomination le 19 avril, l’ordre de bataille a été déclenché. Des blogs néoconservateurs, alimentés par des informations fournies par l’AIPAC, ont violemment attaqué l’ancien ambassadeur, coupable à leurs yeux de collaborer avec un think tank financé en partie par les Saoudiens, de liens présumés avec les Chinois et, surtout, de déclarations critiques à l’égard d’Israël. Le premier à ouvrir le feu contre la nomination de Charles Freeman a été David Rosen, un ancien responsable de l’AIPAC, sous le coup d’une accusation d’espionnage au profit d’Israël qui doit être jugée en avril. La campagne d’hostilité intense et vindicative, menée dans des blogs politiques, a été relayée au Congrès. Les attaques ont poussé une vingtaine d’anciens ambassadeurs à publier un texte affirmant que « Charles Freeman est un très bon choix » en soulignant son « intégrité et sa grande intelligence » et rejetant « catégoriquement l’idée que l’expression d’opinions personnelles en désaccord avec certains, devrait être une raison de refuser à la nation le service de cette personnalité qualifiée ».
Lynchage, lâchage, profil bas. Devant la Commission spécialisée du Sénat, l’amiral Denis Blair a soutenu Freeman, « une personne ayant des opinions tranchées, un esprit inventif et un point de vue analytique ». Estimant que les propos de Freeman étaient sortis de leur contexte et que ses opinions politiques n’étaient pas un sujet de débat, il relevait que « ni moi, ni quiconque travaillant pour moi, ne fait de politique. Notre métier est d’apporter des informations ». C’était l’ultime défense officielle de Charles Freeman.
L’administration Obama observe un profil bas total et oppose un « no comment » à la presse après le désistement tonitruant de Charles Freeman. La teneur de sa lettre de renoncement est celle d’un patriote américain blessé par les attaques et très directe. Il met cause un lobby israélien dont la stratégie « touche le fond du déshonneur et de l’indécence » et dont l’objectif est « le contrôle du processus politique par l’exercice d’un droit de veto sur la nomination des personnes qui contestent le bien-fondé de son point de vue, la substitution d’une justesse politique de l’analyse, et l’exclusion de toutes les options pour la prise de décisions par les Américains et notre gouvernement autres que celles qu’il favorise ». L’ancien ambassadeur a dit renoncer au poste, car le National Intelligence Council ne peut fonctionner de manière efficace « si son président fait constamment l’objet d’attaques venant de personnes peu scrupuleuses avec un fervent attachement aux opinions d’une faction politique dans un pays étranger ». La lettre de renoncement, exprimée en des termes vifs qui relancent le débat, quasiment tabou, sur le poids du lobby israélien dans la politique extérieure des États-Unis, laisse entendre que l’ambassadeur a bien été lâché par l’administration Obama.
Illustration caricaturale L’affaire Freeman conforte la thèse défendue par deux universitaires américains, Stephen Walt et John Mearsheimer. Publiée il y a trois ans, l’étude, « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », fortement étayée, met en exergue le poids démesuré du lobby pro-israélien qui conduit les États-Unis à mener une politique contraire à ses intérêts nationaux. Les deux universitaires ont été littéralement carbonisés sur le thème de l’antisémitisme. Charles Freeman leur fait désormais écho en relevant que « l’incapacité de l’opinion publique américaine à débattre, ou du gouvernement à examiner toute option de politique américaine au Moyen-Orient opposée à la faction au pouvoir en Israël a permis à cette faction d’adopter et de maintenir des politiques qui à terme menacent l’existence de l’État d’Israël (…). Il est interdit à qui que ce soit aux États-Unis de le dire. Ce n’est pas seulement une tragédie pour les Israéliens et leurs voisins au Moyen-Orient, mais cela nuit de plus en plus à la sécurité nationale des États-Unis ». Dans le monde arabe, où l’affaire est largement commentée, le message a été clairement perçu : Obama respectera l’interdit. La portée de son message annoncé au monde musulman risque déjà d’en être affectée…
Source : http://www.lesafriques.com